Il est difficile d’organiser une élection générale dans un an et demi. Aussi l’ambition de Béji Caïd Essebsi de faire revenir les Destouriens (bourguibistes et benaliens) sur les devants de la scène est-elle bien compromise.

Par Jaoued Kacem*


Notre ancien Premier ministre nous a proposé une lecture de la scène politique que nous tous, nous partageons. Le pays vit une dislocation continue de ses valeurs :

- les libertés individuelles et collectives sont menacées ;
- l’anarchie et la violence s’organisent et se donnent une légitimité avec une coloration idéologique d’une ancienne époque ;
- la croissance économique peine à démarrer et le climat des affaires est morose ;
- la société civile est divisée, les partis politiques calculent et optimisent leurs interventions ;
- les réseaux formels et informels s’activent pour prendre la relève ;
- les étudiants sont manipulés pour faire de la politique au lieu d’embrasser la science et la recherche ;
- le gouvernement patine et débat au lieu de décider.

Cette situation ne peut être solutionnée rapidement pour les raisons que je vais développer.

1- L’élection législative et présidentielle dans un an : une affaire cuite

En examinant la situation du pays, il devient difficile d’organiser une élection de cette taille avec une constitution hypothétique. Les grèves et les blocages divers dans le pays ont engendré un ralentissement généralisé de l’activité de la société civile et de l’Etat dans la résolution des problématiques urgentes et quotidiennes. M. Caïd Essebsi sait bien qu’il est impossible maintenant d’organiser une élection générale dans un an.

L’attitude des partis politiques a joué à contre-sens de leur désir d’aboutir à des élections rapides. Pour respecter cette date, il aurait fallu participer à un gouvernement d’union nationale et accélérer le travail du «majless» qui rédige encore son règlement intérieur. Le calcul opportuniste de certains partis politiques consiste à plomber le gouvernement. Aucune facilité n’est permise. Les critiques sont continues sur des bases idéologiques. Les manifestations hebdomadaires pour défendre des causes vagues et évasives afin d’apparaître comme l’alternative réelle pour le pays. Ces tentatives sont à mon sens caduques.


Jaoued Kacem

2- Le corps électoral ne change pas de tendance après un an !

L’analyse politique montre qu’un corps électoral ne change pas la tendance de son vote après un an d’exercice du pouvoir. M. Caïd Essebsi et la majorité de la classe politique n’ont pas d’expérience démocratique pour comprendre ce fait politique. Ils ont tous vécu dans des gouvernements qui fraudent et falsifient les résultats. Le code électoral qui n’existe pas changera encore les données si le scrutin devenait majoritaire.

3- Réorganisation des partis politique et nouveau Rcd !

A ma connaissance, le Rcd est dissous. La proposition de Caïd Essebsi essayera de le ressusciter de nouveau sous une forme plus respectable. La révolution tunisienne a voulu couper totalement avec l’ancien régime. Les ères bourguibiste et bénaliste ne sont plus compatibles avec la Tunisie d’aujourd’hui car elles portent les germes de la dictature, la négation de la démocratie et le mépris du peuple.

N’oublions pas que le gouvernement Caïd Essebsi n’a jamais intégré les demandes de la révolution. Les prochains jours, démontreront ses différentes complicités avec l’ancien régime. Caïd Essebsi, Moalla et ex-Rcdistes doivent être remerciés pour laisser la place aux jeunes qui sont les acteurs de la révolution.

4- Le tâtonnement du gouvernement et son inexpérience

Nous savons tous que ce gouvernement n’a pas d’expérience. Il continue de vouloir plaire à tout le monde en laissant pourrir des situations à l’université ou en ne donnant pas d’ordres clairs et fermes face aux grèves non déclarées et aux occupations illégitimes. Il joue le même jeu que les partis d’opposition. Malheureusement, le résultat est catastrophique pour le pays. Si on a choisi de gouverner, c’est en quelque sorte, pour solutionner les problèmes urgents et stabiliser le pays. Le chef du Gouvernement Hamadi Jebali doit protéger les biens et les personnes. Il doit appliquer les lois en vigueur sans aucun calcul. En définitive, il doit nommer le personnel compétent pour assumer les responsabilités au sommet de l’Etat.

5- Gouvernement et classe politique : dire la vérité !

Nous conseillons le gouvernement et la classe politique de dire la vérité au peuple. Aucun gouvernement, ni parti politique ne peut résoudre en une année ou trois ans les problèmes de la Tunisie. Le chômage est là pour une longue durée. La pauvreté s’est installée et affirmée depuis les années 90. Les régions défavorisées ne peuvent décoller qu’après des études, un aménagement et une mise en place des projets. Cette démarche peut prendre plusieurs mois et même des années. Le développement d’un pays est une affaire longue qui peut s’étaler sur une dizaine d’années. Il faut arrêter de mentir au peuple. On doit lui proposer uniquement le possible avec des programmes viables. Les promesses imaginaires décrédibilisent la classe politique. Il n’y a que la vérité qui doit triompher pour instituer des règles déontologiques qui fondent l’engagement politique.

Aimer ce pays, c’est aimer son peuple avec toute sa diversité.

* Directeur des études à l’université d'Évry-Val d’Essonne (France).