Pendant près de 55 ans, on nous occupait de football. Maintenant on nous ramène des «doctes de la foi islamique» édictant des bulles, nous détournant des vrais problèmes épineux de la Tunisie.
Par Farouk Ben Ammar*
L’ignorance fait cuire sa soupe au prêtre, dit-on.
Au fil de l’agitation qui a enfiévré, ces derniers temps, la Tunisie, nous ne pouvons que conclure, non sans amertume, que le pays est devenu, depuis sa révolution de la dignité, un ballon d’essai, à tous ceux qui n’ont pas pu faire passer leurs idées sous quelque forme que ce soit, chez eux.
Du cinéaste qui fait converser le tout puissant avec un mortel, dont les protestataires, sont pour l’heure restés sur leur faim, suite à un procès sans fin, du prêcheur qui recommande d’honorer la gente féminine en l’amputant, etc., des artistes, et prédicateurs de toutes les obédiences se régalent en venant dans notre pays, qui a perdu presque tous ses repères, amassant des foules curieuses ou contestataires cherchant l’effet publicitaire qui leur était renié chez eux.
Farouk Ben Ammar
Des extrémistes bénéficiant de sauf-conduit
Ces faits ont causé des coups de semonce qui ne sont pas près d'être oubliés, engendrant violences, et procès interminables médiatisés par les réseaux sociaux et une presse écrite qui cherche à redorer son blason et couper court avec un passé loin d’être glorieux.
Pendant près de 55 ans, on nous occupait de football pour éviter les immiscions dans la politique. Maintenant on nous ramène des «doctes de la foi islamique» édictant des bulles, à la manière des pontifes du Vatican, causant des polémiques qui n’en finissent pas, nous détournant des vrais problèmes épineux de la Tunisie : économie moribonde ; éducation déficiente ; sûreté précaire ; chômage ; exclusion des compétences nationales politiquement neutres du processus de reconstruction de la nation ; une presse reptile ; indépendance de la magistrature ; tourisme battant des ailes, etc.
Coup de théâtre : ces prédicateurs, longtemps financés par l’Arabie Saoudite, peuvent désormais sillonner la Tunisie de long en large puisque le visa n’est plus exigé des ressortissants de ce pays, en guise de promouvoir le tourisme !
Ces prêcheurs, auront désormais droit de cité. Des extrémistes bénéficiant de sauf-conduit et circulant librement dans le pays.
Fraternité arabe oblige, dit-on ! Une sournoise façon de s’en sortir de la délicate question d’octroi de visas. Ne veut-on pas éradiquer les frontières entre pays frères et musulmans ? Voilà, on est bien servi.
Désormais on a des prosélytes qui se complaisent dans des discours très va-t-en guerre, faisant flèche de tout bois, des flèches aiguisées par des médias qui mettent de l’huile sur le feu au lieu d’informer et d’analyser !
Désormais, les doctes, plus ou moins imbus de leurs personnes, affûtent leurs arguments pour venir nous les vendre, dans le pays des lumières et de la Zitouna avec son escouade d’érudits et de savants qui ont longtemps influencé les plus grandes pensées et courants islamiques du 20éme siècle et qui font encore école !
La trahison des élu(e)s
Sans toutefois omettre l’Assemblée Constituante, dont les «élu(e)s» continuent de croiser le fer sur les modalités de fonctionnement de cette institution, entretenant entre eux des relations de cordiale détestation.
Une assemblée qui fonctionne comme une administration, congés payés salaires conséquents et primes, et qui après quatre mois de sa mise en place n’a pas su rédiger ne serait-ce l’esquisse du premier article de la nouvelle constitution ?
Jaloux de sa liberté d’expression acquise par le sang, le peuple ne pardonnera jamais une dérive autoritaire, politique ou sociétale, les élus seront jugés à ce triple chapitre.
Et c’est là que le bât blesse : on se sent trahis par nos propres élu(e)s. Il y a un grand déficit de confiance envers le gouvernement transitoire. Un déficit pointé par des événements que l’on regarde arriver et partir nous laissant à chaque fois plus divisés.
Bref, le Qatar et l’Arabie saoudite se jouent de notre pays, bien que les deux soient alliés des Etats-Unis. Le Qatar veut passer dans l’histoire comme l’instigateur du printemps arabe et l’Arabie saoudite ne veut pas céder sa place en tant que grand défenseur de la foi islamique.
Ces deux monarchies pétrolifères ont choisi la Tunisie comme échiquier, et c’est les Tunisiens de toutes les strates qui en sont les pions.
Dans tout ce tumulte, peut-on accuser le gouvernement transitoire d’angélisme, de tropisme ou d’hétéronomie ?
Pour l’heure je ne peux que citer quelques recommandations, qui semblent avoir un consensus dans la société civile, à savoir ;
au niveau institutionnel :
- soumettre la Constitution à un référendum, seul garant de la souveraineté du peuple, et inclure dans cette même constitution le recours à la voie référendaire ;
- renforcer le système sécuritaire et ses institutions, car l’insécurité n’est pas générée seulement par la pauvreté mais par l’affaiblissement des institutions et la corruption ;
- contenir l’extrémisme de tous bords, par le dialogue et les tables rondes ;
et au niveau économique :
- émettre des bons du trésor, comme il a été fait au début de l’indépendance, voire lancer des emprunts obligataires garantis par l’Etat pour limiter le recours aux crédits et les emprunts de l’étranger ;
- concevoir un programme d’austérité en concertation avec tous les partenaires sociaux et économiques ;
- développer un système de fiscalité juste et équitable, voire régionalisée, où le riche paie pour le pauvre, pour renflouer les caisses de l’Etat et réduire les différences entre les régions;
- encourager l’épargne et dynamiser les exportations ;
- développer les «clusters» ou zones industrielles sectorielles ;
- renégocier les concessions d’exploitation (énergie, transport, agriculture, etc.) avec les compagnies étrangères en favorisant l’emploi…
Puisse Dieu préserver la Tunisie et renforcer l’unité des Tunisiens et la cohésion de toutes ses strates. On a vu, dernièrement, le grand élan de solidarité, lors de la grande vague de froid qui sévit encore, prolongeons cette solidarité pour reconstruire le pays. Une solidarité qui ne peut sommeiller sous le vent de la liberté qui n’a jamais cessé de souffler.
* Ph.D.