Dr Lilia Bouguira écrit – Nos blessés s’éteignent à petit feu et si nous continuons à faire bon dos, nous les perdrons et adieu la révolution car un peuple qui ne respecte ni ses morts ni les blessés pour sa cause ne doit pas vivre un jour dans la liberté.


Les malheurs de Zakaria m’ont fait mal et continuent à le faire non pas comme une plaie fraîche récente mais une plaie suintante qui tourne à la chronicité. Elle attend d’être détergée afin de mieux s’aplanir, s’oxygéner par une justice et seulement la justice et pouvoir enfin vivre.

Je ne veux pas en faire une affaire personnelle mais un précèdent. Que sont mes malheurs devant celui des mamans des «chouhadas» (martyrs) ou encore de celui de ceux qui attendent de l’être ? Que sont les péripéties de mon aimé devant les souffrances des blessés qui ne guérissent pas tant par la quantité de douleur qu’engendrent encore et en non stop leurs blessures que surtout par la scotomisation immonde de la part du gouvernement de Caïd Essebsi et la lenteur des procédures paralysantes de l’administration actuelle de Jebali ?

Tout tourne à la chronicité dans mon pays : nos amours, nos relations, nos disputes, nos compromis, nos procès pour peut-être mieux tomber dans l’oubli et ne rien réaliser.

Mais oublie-t-on vraiment ?

L’oubli est-il vraiment une bonne thérapie, la meilleure lorsque, la nuit, le cauchemar revient vous visiter seul vous poussant à des gestes, des bruits, des sueurs qui vous trempent et vous font réveiller en sursaut ou encore empêchent vos yeux de se fermer, le cœur de ne plus s’emballer au moindre crissement, vos muscles de se relâcher pour se laisser approcher caresser par une nuit réparatrice.

Je veux bien croire que la nuit n’engendre pas que de la nuit et que le jour finit toujours par s’en charger mais est-ce toujours vrai surtout lorsque je regarde autour de moi et que je vois encore le malheur creuser les joues de nos blessés graves.

Il a toujours fallu aux peuples un peuple voisin bouc émissaire que nous moquons sans grande méchanceté, par exemple, les Belges pour les Français, les Libyens pour nous. Les psy pensent que c’est une manière d’exorciser ce que nous acceptons le moins en nous.

Chez notre voisin nous avons toujours moqué sa naïveté voire son incompétence frôlant l’ânerie et pourtant combien ce même peuple après sa révolution s’est démarqué dans la prise en charge de ses blessés en ne lésinant pas en faisant de ces gens une priorité. Il a vite fait de dépêcher les plus graves vers l’étranger avec cette idée que nous les peuples du printemps arabe n’avons pas été préparés à de telles prises en charge que c’est nos premiers face-à-face à des blessures par balle massives, par balle surtout de la moelle épinière.

Pour ne point faire durer les épreuves. Pour ne point faire souffrir plus. Pour ne pas exposer plus à l’aggravation, à la macération et aux complications. Pour ne pas exacerber les tensions, le gouvernement libyen, titubant, malade et non encore remis, a osé prendre de rapides décisions et a adressé ses blessés graves aux différents coins du monde, mettant au service de ses blessés les plus hautes technicités, les plus grandes compétences, les plus performantes des capacités, parce qu’aux USA, en Allemagne, au Canada ou en Angleterre, ils ont déjà eu l’expérience des grands blessés de l’Irak ou de l’Afghanistan.

Ce gouvernement, ce peuple même que nous nous plaisons à moquer dans nos bêtisiers et blagues a été capable de ce que notre gouvernement si «in» refuse encore à nos blessés.

C’est vrai qu’une commission s’est enfin décidée après une inertie frustrante qu’il a fallu, comme à chaque fois, secouer grave par des mouvements citoyens du feu «gouvernement de Caïd Essebsi».

Cette même commission s’active à ramasser les dossiers, colliger, adresser aux compétences et enfin s’affairer en tenant compte d’abord de nos possibilités locales parce qu’il est mal vu d’écorcher la bienveillance de nos éminences patronales sans leur avoir donné la chance d’essayer. Cette même commission oublie que nos professeurs sont certes des meilleurs, bien reconnus dans le monde, mais ces mêmes professeurs ne sont pas dotés dans leurs services des techniques de pointe dont disposent les grands services qui ont accueilli les blessés de guerre en Irak ou en Afghanistan et maintenant en Libye.

Jamais auparavant nos éminents professeurs n’ont opéré des blessés par balle de la moelle épinière ni encore fait des greffes de nerfs comme celui du nerf spinal de Jihad Mabrouk qui continue à souffrir l’insoutenable et qu’on essouffle sans pitié d’hôpital en hôpital, d’examen en examen, alors que son verdict est clair sans grande pompe ni science : une blessure du nerf spinal une première en Tunisie.

Nos professeurs ont été assez humbles pour le dire mais pas assez inhumains pour refuser de le faire et assister pendant de longues heures voire des mois.

Nos professeurs se sont défoncés admirablement pour réparer ce que les gouvernements successifs de ce pays ont blessé ou cassé, que ce soit par des balles des snipers fantômes, que ce soit par des balles perdues de policiers de bonne foi ou en légitime défense ou encore de matraques devenues sous l’ordre de Satan briseuse de reins et d’os.

Mais la plus belle femme au monde ne peut donner que ce qu’elle a !

Nous avons la possibilité après différents contacts d’adresser nos blessés dont la santé et le mental se détériorent jour après en jour en Allemagne, au Qatar et maintenant en France. Une prise en charge gratuite moyennant certainement des dessous de table dont nous, citoyens tunisiens, portons volontiers consentants pourvu que nos blessés, ces mêmes gens qui sont sortis pour nous libérer et crier STOP à la dictature, a été proposée par ces différents pays.

Notre brave commission pourtant au sang frais et jeune continue à marcher dans les pas séniles de Caïd Essebsi et à traîner la patte.

Notre gouvernement suit également ce mouvement de moribond. Il faut dire qu’il a été, «miskine», submergé par beaucoup de visites, d’hôtes, d’invitations, de sommets, de déplacement et, pour le comble, une intempérie et des inondations.

Oui, il faut reconnaître qu’en ce moment on ne peut parler de rentrer dans la grâce des cieux ou des Dieux !

Pour conclure et rester dans un sarcasme douloureux, nos blessés souffrent en  silence, s’éteignent à petit feu et si nous continuons à faire bon dos bientôt nous les perdrons et adieu la révolution car un peuple qui ne respecte ni ses morts ni les blessés pour sa cause ne doit pas vivre un jour dans la liberté !