Harzalli Fadhel* écrit – Les décideurs et aménageurs sont invités à penser sérieusement à ce fléau, qui a encore frappé la semaine dernière à Aïn Draham, pour éviter les dégâts tant humains que matériels.


Dire que la Tunisie n’est pas concernée par les risques naturels est une idée caduque dans la mesure où notre pays est réellement menacé. En effet, les catastrophes, survenues à travers l’histoire en Tunisie, ont prouvé que notre pays n’en est pas à l’abri. Les inondations qui se sont abattues sur la Tunisie, les tremblements de terre qui l’ont secouée sont encore ancrés dans les mémoires. La désertification est aussi une menace sérieuse.

Loin de tout euphémisme et sans sombrer dans le catastrophisme, nous allons aborder le phénomène des glissements de terrain en Tunisie.

Définition et causes

Les glissements de terrain correspondent à des masses de sols ou de roches qui, parce qu’elles sont imbibées d’eau, se mettent en mouvement le long d’une surface inclinée, sous l’effet de leur propre poids, en liaison avec la gravité (Paskoff, 1985, p .80).

Depuis la nuit des temps, les glissements de terrain ont toujours été redoutés par l’homme qui les considérait comme l’un des phénomènes les plus terrifiants. Il pensait que seule une intervention divine pouvait maîtriser des forces aussi puissantes. Dans la préfecture de Nigata, au Japon, où se trouve le temple de Sarukuyoji, l’histoire atteste qu’un prêtre bouddhiste a été placé vivant dans une jarre qui a été ensuite enfouie dans le sol d’un terrain sujet à des glissements dans l’espoir que ce sacrifice apaiserait la colère des Dieux (Masami Fukuoka, 1981).

Les causes des glissements de terrain peuvent être naturelles ou artificielles. Les causes naturelles se résument dans les eaux, les propriétés du sol lui-même, la hauteur d’un talus ou l’érosion d’un talus à sa base. La façon dont le sol a été déblayé ou remblayé est une cause artificielle.

En général, les glissements de terrain ne sont ni aussi spectaculaires ni aussi ruineux que les séismes, les grandes inondations, les cyclones et les autres «risques naturels», mais ils sont plus répandus et, en plusieurs années, ils peuvent causer des pertes matérielles plus considérables que tout autre phénomène géologique catastrophique.

Entre 1971 et 1975, la commission sur les glissements de terrain de l’Association internationale de géologie de l’ingénieur (Aigi) s’est efforcée de rassembler des informations sur le nombre de victimes provoquées par des glissements de terrain dans le monde entier. Selon ces statistiques, d’ailleurs incomplètes, les séismes, les tsunamis, les éruptions volcaniques, les glissements de terrain et les avalanches de neige ou de glace ont tué 19.000 personnes, 84% ayant trouvé la mort dans des séismes et 14% dans des glissements de terrain. (Paskoff, 1985, p. 98).

En Tunisie, les défrichements, sous l’effet conjugué de l’agriculture et des coupes pour les bois de mines et les voies ferrées, se sont accentués dès le début du siècle et ont abouti à une déforestation quasi complète des versants des vallées. Ce sont ces facteurs naturels et anthropiques réunis qui expliquent la fréquence des glissements de terrain dans cette région.

Les glissements de terrain en Tunisie

Les glissements de terrain en Tunisie sont favorisés par les conditions climatiques, lithologiques, topographiques, biogéographiques et tectoniques, séismiques et aussi les activités de l’homme, notamment économiques. Bonvallot (1982) nous présente un exemple de région à risque de glissements de terrain favorisés par les conditions citées. C’est la région d’Aïn Draham en Kroumirie (nord-ouest de la Tunisie). Dans cette région, le climat est de type méditerranéen humide, caractérisé par l’abondance et la régularité des précipitations annuelles (1.563 mm). Ce sont surtout des pluies d’hiver (46% du total annuel), d’automne (27%) et de printemps (23%). Les précipitations neigeuses sont fréquentes en hiver, alors que l’été est toujours remarquablement sec.

Le flysch numidien, tectoniquement très complexe, injecté de trias salifère, est profondément disséqué par de courtes vallées. Il en a résulté un modelé de crêtes parallèles étroites, façonnées dans des grès compacts à des altitudes de 600 à 1.000 m et d’entailles vigoureuses situées entre 150 et 300 m dont les versants argileux ou marneux sont affectés par une multitude de mouvements de masse. Les pentes sont supérieures à 15% et les dénivelés importants, puisque l’on passe de 1.000 m au Jebel Bir non loin d’Aïn Draham aux environs de 100 m à l’aval en moins de 10 km.

Deux exemples de glissement de terrain en Tunisie ont été bien décrits par le journal ‘‘La Presse de Tunisie’’. En effet, dans un article daté du 19 novembre 1982 et signé Mohamed Ayed, ce journal nous informe du glissement de terrain survenu à l’entrée de Korbous dans la presqu’île du Cap Bon : «Un glissement de terrain a affecté la route de Korbous à environ un kilomètre de la localité.

L’affaissement du terrain a entraîné dans la mer une partie de l’accotement (le mur de soutènement), occasionnant une grave fissure dans la chaussée (...). A l’origine de ce phénomène, qui n’est pas le premier du genre dans la région de Korbous, il y aurait essentiellement l’inadéquation de cette route avec l’important trafic dont elle fait l’objet.»

Dans un autre article daté du 17 novembre 1982 et signé Mabrouk Kahia, le journal nous décrit les conséquences d’un glissement de terrain survenu à Joff Aïn Ben Yahia à une dizaine de kilomètres de Zaghouan. L’agglomération, située sur un versant montagneux, a subi d’importants dégâts, puisque pas moins de 20 logements ont été détruits. Par mesure préventive, les autorités ont fait évacuer la population. Le phénomène a en outre intéressé une superficie agricole de 40 hectares environ, complètement endommagée (...). Les dégâts ont été également considérables pour l’arboriculture. On a recensé, en effet, 500 oliviers et 250 arbres fruitiers arrachés.

En Tunisie, les glissements de terrain sont à l’origine de dégâts matériels appréciables aux habitations, aux ouvrages publics, aux champs de culture et des pertes humaines sont parfois enregistrées surtout dans les montagnes du nord du pays notamment en Kroumirie. En témoignent les glissements survenus dernièrement à la suite des précipitations qui se sont abattues sur la région d’Aïn Draham et dont les conséquences seront désastreuses pour notre économie. D’autres régions à risque ne manquent pas non plus dans les alentours, proches ou lointains, de Tunis, Zaghouan, Korbous et surtout Sidi Bou Saïd.

Comment gérer les glissements de terrain ?

Divers dispositifs sont utilisés pour se protéger contre les glissements de terrain : drainage, chenal, barrage souterrain, pieux, contrepoids, enlèvement de terre, puits...

Quelquefois, le seul moyen d’éviter les glissements consiste à utiliser des ponts et des tunnels spécialement pour les chemins de fer et les routes. C’est le cas au Japon.

La photographie aérienne est un moyen efficace pour détecter les zones à risque de glissement de terrain afin de les considérer non constructibles. Dans un but préventif, un conseil scientifique international sur la protection de la lithosphère a été créé en décembre 1980, à l’Unesco en coopération avec le Programme des Nations Unies pour l’environnement (Pnue) pour étudier certains phénomènes, notamment la protection contre les glissements de terrain.

En Tunisie, les décideurs et aménageurs sont invités à penser sérieusement à ce fléau pour éviter les dégâts aussi humains que matériels. Des cartes sont à élaborer, des plans d’intervention rapides et efficaces sont à préparer, des moyens financiers sont à mobiliser…

* Docteur en didactique des disciplines, option géographie, El Ksour, el Kef.