Les Tunisiens ont décidé de donner la priorité à la relance de l’économie du pays, la lutte contre les inégalités et le chômage des jeunes. Ils ont décidé de se remettre au travail et de reconstruire leur pays.

Par Néjib Tougourti


 

 

La fièvre révolutionnaire commence à chuter, progressivement, en ce début de la deuxième année de la révolution tunisienne. La scène politique devient moins mouvementée. Les coups de théâtre, les retournements de situation, se font plus rares. Mais l’effervescence dans la rue ne s’est pas, totalement, estompée. La politique, les affaires de la cité, continuent à susciter, fortement, l’intérêt de la population.

Deux camps qui s’affrontent

Les Tunisiens suivent, de très près, les faits et gestes de la nouvelle équipe au pouvoir, qui semblent focaliser toute leur attention. Les partisans de la coalition tripartite, qui dirige le pays, s’attendrissent devant ses premiers pas, et lui pardonnent, volontiers, ses nombreux déboires. Ses adversaires, moins complaisants ou franchement hostiles, donnent libre cours à toute leur amertume, et se livrent à des critiques acerbes et systématiques, contre les nouveaux venus et tout ce qu’ils entreprennent.


La vie reprend son cours normal

Le débat politique reste enflammé. Deux camps s’affrontent. Un premier, pour le changement, plutôt satisfait de l’itinéraire suivi par la révolution, et un deuxième, qui regroupe dans ses rangs une caste autrefois influente, espère un retour au statu quo ante, et prédit les plus grands malheurs au pays, s’il continue dans la voie actuelle. Il mène une campagne soutenue et très virulente, contre le gouvernement en place, dans l’espoir de provoquer sa chute.

Son combat, pathétique, semble, cependant, voué à l’échec. De très nombreux Tunisiens sont conscients du caractère déterminant et irréversible de la nouvelle dynamique, historique, qu’ils vivent en ce moment. Une métamorphose, lente et fascinante, commence à s’opérer, sous leurs yeux, et à transformer leur environnement socioculturel, politique, et économique, locorégional et international, et, plus important, agit en profondeur et modifie leurs conceptions, réactions et conduites. Un processus, quasi biologique, de maturation, qui ne peut être annulé ou inversé. Un processus qu’un mystérieux déterminisme, aux mécanismes encore inconnus et, certainement, très complexes, a effectué, au fil des ans, imperceptiblement, à l’échelle planétaire, en réaction aux grands bouleversements, des dernières décennies, dans les rapports de force entre les nations et l’émergence de nouvelles puissances ; aux mouvements, importants, de populations et au développement des moyens de communication directe, entre les peuples et les nations et la confrontation qu’ils ont provoquée, entre des cultures et civilisations différentes, à la faillite de certains systèmes économiques et aux nouvelles exigences de la mondialisation. Ceux qui s’obstinent à isoler la révolution tunisienne de son contexte historique, international, à croire qu’elle n’est qu’une révolte, une simple parenthèse, qui sera au plus vite fermée, se trompent lourdement. Rien ne sera plus comme avant.


L'avenue Bourguiba de Tunis, tépidation printanière

Le monde a changé. Les Tunisiens, aussi. Ils sont, contrairement aux apparences, encore plus tolérants, encore plus ouverts, aux autres peuples et aux autres cultures. Ils sont plus généreux, moins individualistes et plus sensibles aux souffrances de leurs concitoyens. Les mouvements de solidarité, enregistrés à l’occasion des dernières inondations et intempéries, que le pays a connues, n’ont jamais été, de mémoire de la Tunisie, aussi importants et spontanés.

La révolution tunisienne s’est accompagnée, contrairement aux révolutions classiques, non pas d’un dogmatisme radical mais, étrangement, d’une bonne dose de pragmatisme, et d’une aversion, viscérale, des idéologies.

Les Tunisiens ont changé

Le Tunisien moyen, aujourd’hui, a une vision claire et précise, des grands défis qui se posent, à son pays et à toute l’humanité. Il est beaucoup moins sensible aux discours utopistes. Ses réactions obéissent moins aux stéréotypies, réflexes, qui les ont longtemps caractérisées. Le sentiment antiaméricain de la population, très puissant après l’occupation de l’Irak, a beaucoup diminué. Peu de Tunisiens se sont offusqués du chaleureux accueil réservé au sénateur, ultra conservateur, McCain, en visite à notre pays. Le nationalisme arabe et ses chimères, a perdu beaucoup de ses partisans. Les élans «altruistes», «avant-gardistes» et «révolutionnaires», des nouveaux artisans de la politique étrangère du pays, manifestés en soutien au peuple syrien, dans sa lutte contre la dictature, soulèvent peu d’enthousiasme. Les projets grandioses, unionistes, sont accueillis avec beaucoup de réserve et de prudence. La classe moyenne, triomphante, ayant retrouvé sa position dominante, d’antan, pèse de tout son poids politique et impose ses certitudes et ses choix socioéconomiques et politiques. Sa méfiance à l’égard des discours populistes, son conservatisme, et sa forte résistance aux courants extrémistes, imposent, à l’élite politique, un langage modéré et réaliste, dénué de toute surenchère idéologique, révolutionnaire ou religieuse. Les prêches délirants de certains prédicateurs étrangers ont choqué ses représentants et provoqué leur réprobation. Une priorité absolue est donnée au maintien de l’état précaire d’accalmie relative, que commence à connaître le pays.


Printemps sur l'avenue Habib Bourguiba

Les prémices d’une relance

L’impératif économique semble prévaloir, pour la majorité des Tunisiens, allergiques à tout mouvement d’agitation sociale ou politique, à l’étape cruciale actuelle.

Un vent d’optimisme, prudent, souffle sur le pays. La misère et la désolation commencent à déserter la rue, plus nette, avec la disparition des étalages anarchiques. Les habitants de la métropole et des grandes villes, savourent la diminution, notable, des hordes de mendiants, petits escrocs, arnaqueurs et voleurs à la tire, qui pullulaient dans les avenues, les grands espaces et les stations des bus et du métro. Les enfants de la rue sont moins nombreux. La nuit, on rencontre moins de filles de joie, parfois des adolescentes, dans un état second, excitées par l’alcool et le cannabis. Les agents de l’ordre sont moins agressifs et provoquants. Les transports publics sont plus réguliers. Ses agents traitent les voyageurs avec moins de nervosité, d’insolence et de mépris. Dans les administrations et services étatiques, dans les banques, les employés sont moins tendus, plus affables et accueillants. Le gouvernement a promptement réagi contre la pénurie de certaines denrées alimentaires, de première nécessité et la hausse des prix. Les visites officielles des diplomates et hommes d’affaires étrangers se multiplient au pays. Leurs déclarations sont rassurantes.

Des prémices tangibles d’une reprise économique ont été signalées par la Banque Centrale, dans son dernier communiqué. L’espoir est permis. Les Tunisiens retiennent cependant leur souffle, et redoublent leurs efforts pour gagner le pari de faire aboutir leur révolution et réaliser tous ses objectifs.

Les incertitudes demeurent

De nombreuses zones d’ombre persistent, cependant, au tableau. L’extrémisme religieux, les mystérieux groupes salafistes et leur comportement aberrant et provocateur, les flirts du gouvernement avec le capitalisme financier mondial, qui heurtent la sensibilité des Tunisiens, échaudés par un libéralisme économique sauvage, inhumain, qui a eu des effets dévastateurs sur leur pays, les difficultés de la transition démocratique encore fragile, handicapée par l’agitation stérile et l’amateurisme de nombreux partis politiques de l’opposition et associations de la société civile, coupées des réalités du pays, la dérive de certains médias qui se sont éloignés des règles éthiques et déontologiques de leur profession, l’état de perplexité de la centrale syndicale, qui n’arrive pas, encore, à se débarrasser de son sentiment de culpabilité et à adapter son action aux nouvelles exigences de l’étape actuelle que traverse le pays, la complexité de l’assainissement de la justice, la réforme de l’administration et la lutte contre la corruption, qui s’annoncent longs et difficiles. Mais les Tunisiens ont décidé de donner la priorité à la relance de l’économie du pays, la lutte contre les inégalités sociales et régionales et le désœuvrement des jeunes, sources de toutes les tensions sociales et politiques. Ils ont commencé à se remettre au travail, reconstruire leur pays, tout en gardant un œil vigilant sur les agissements des différents partis et formations politiques, afin d’éviter qu’il ne surgisse une nouvelle dictature, qui les priverait, de nouveau, du fruit de leur labeur et mettrait en péril les précieux acquis de leur révolution.

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