Il serait peut-être judicieux de créer des hôtels pour les voilées et les barbus en qamis avec leurs plages privées et des plages pour touristes à l’instar des pays du Golfe.
Par Mohamed Bouzid*
Je voudrais faire une comparaison de la situation du tourisme qui prévaut actuellement dans notre pays avec celle d’un pays des Caraïbes, la République Dominicaine. Je ne prétends pas apporter quelque chose de nouveau sur la situation de notre tourisme. Ce secteur, dont tout le monde s’accorde sur l’apport important pour notre économie, ne nécessite nullement de grandes théories ou des plaidoiries d’une quelconque partie politique pour identifier le mal qui le ronge. Sa difficile situation actuelle me touche au fonds du cœur, car je suis issu d’une famille qui vit du secteur touristique, de père en fils, et je continue de vivre de ce secteur comme voyagiste, après avoir choisi de m’établir dans un pays de l’Amérique du Nord.
Que l’on me permette tout d’abord de faire part de ce constat : il y a quelques jours, j’étais obligé de me déplacer d’urgence en Tunisie pour assister aux funérailles d’un parent. C’était le début d’un calvaire : trouver une compagnie aérienne, un vol, une connexion, et ceci m’enrageait d’autant que des compagnies qui n’osent pas se comparer à notre compagnie nationale sont présentes et assurent une liaison directe avec leurs pays respectifs. Inutile de dire que, face à une telle insuffisance, les responsables de Tunisair ont toujours une réponse toute prête : ce serait une perte sèche d’assurer une liaison outre-Atlantique, et il avanceraient les mêmes justifications financières simplistes. D’ailleurs, si elle créait une telle ligne, notre compagnie nationale ne tarderait pas d’y affecter des avions où les sièges sont déchirés, les moquettes noires de saleté, les toilettes bouchées, avec en sus un bruit à l’intérieur de l’appareil au moment du décollage.
Hammamet
Un esprit autodestructeur
L’arrivée en Tunisie n’est pas une mince affaire, cela m’a pris plus de seize heures de voyage et de transit. Au terme de ces seize heures, je me trouve dans mon fief, Hammamet, où j’ai choisi de loger dans un de mes hôtels préférés.
Après un court séjour à Hammamet, je n’arrive pas à digérer comment notre pays avec ses merveilleux hôtels, son beau climat et la gentillesse de ses habitants en arrive à souffrir d’une crise du tourisme qui assure la survie de tout un monde (cuisiniers, réceptionnistes, femmes de chambre, chauffeurs, plombiers, électriciens, menuisiers, peintres... et la liste est longue).
D’aucuns attribuent cette crise à la révolution tunisienne. Je ne souscris pas à cette thèse, car la révolution n’a fait que révéler les maux chroniques qui rongent ce secteur. J’attribue plutôt cette crise à un esprit autodestructeur : on prétend aimer son pays, mais en réalité on ne sait pas comment le servir. Je vais essayer de l’expliquer à partir de ce que j’ai vécu une semaine après ma visite en Tunisie.
J’ai effectué un voyage de cinq jours en République Dominicaine (une ile coupée en deux avec Haïti). C’est un pays de dix millions d’habitants (presque autant que la Tunisie) qui manque de ressources mais qui a fait du tourisme la première ressource de son produit national. En arrivant, je trouve devant l’aéroport plein de bus qui attendent les touristes, les guides touristiques sont à pied d’œuvre pour les orienter. Hammamet des années glorieuses me revient tout de suite à l’esprit, et l’espoir de voir la Tunisie reprendre sa place touristique d’antan m’envahit. Tout au long de mon séjour, je cherchais à comparer la Tunisie avec cette moitié d’ile, pas loin de Guantanamo, et qui déborde de touristes de toutes nationalités.
Caraibes
Mon hôtel quatre étoiles est de loin moins joli que celui où j’ai logé à Hammamet, situé dans un très beau site, doté d’un restaurant équipé de belles baies vitrées avec un buffet quotidien bien garni, et une très belle piscine donnant sur la mer. Mon hôtel dominicain, comparé à celui de Hammamet, ne mériterait certainement pas ses quatre étoiles, et pourtant son atmosphère était bon enfant, de jour comme de nuit, sur la plage ou à la piscine, et ceci m’a rappelé le Hammamet d’antan, avec sa quiétude, ses barbecues sur les plages du Sheraton et le Phenicia, où tout le monde s’amusait, les touristes aussi bien que les Tunisiens.
Des scènes moyenâgeuses
Durant mon séjour dominicain, j’ai parlé avec des touristes qui venaient des Etats Unis, et d’Europe, notamment de l’Allemagne, de la France et de l’Italie qui n’ont pas hésité à faire neuf heures de vol dans le but d’oublier leur stress quotidien et de se couper d’une routine qui les tuait à petit feu.
La majorité de ces touristes sont des travailleurs qui ont très probablement acheté leur séjour par carte de crédit et qui vont le rembourser par tranches mensuelles. Les soirées dans cet hôtel sont comparables à celles que la Tunisie d’antan offrait à ses touristes, des soirées théâtrales improvisées, de la musique, des jeux, une gaité toute simple, en somme.
La visite au marché se fait dans le calme ; vous ne trouvez pas un vendeur qui vous opportune ou qui vous force à entrer dans son shop, faute de quoi il vous insulterait dans toutes les langues, comme le font certains vendeurs tunisiens ! Les nationaux se fondent parmi les clients et personne ne se rend compte de leur présence. En un mot, les touristes ne vivent aucun harcèlement verbal ou culturel. Alors que ce qui m’a frappé dernièrement à Hammamet, c’est le nombre élevé de femmes voilées qui fréquentent les hôtels et qui sont accompagnées par leurs anges gardiens, des barbus costauds qui veillent au grain et qui fusillent de leur regard toute personne vêtue d’un bikini ou d’un maillot de bain ! Il n’est pas difficile de comprendre que les Européens, qui ont trop souffert de la tyrannie de l’église et de son immixtion dans leurs affaires, n’accepteront pas de revivre des scènes qui sont pour eux moyenâgeuses. Tout simplement, ils ne viendront pas !
Retrouver une belle image de marque
Le tourisme tunisien s’est développé avec une belle image de marque, loin du tourisme sexuel pratiqué dans pas mal de pays. Notre tourisme a toujours misé sur la propreté et le respect, certes avec des touristes non fortunés mais respectueux. C’est ce qui explique que de nombreux retraités européens ont choisi de prendre leur retraite parmi nous. En outre, les Tunisiens ont développé, à côté du tourisme de vacances, le tourisme médical (thalasso, implants dentaires, etc.) dont la qualité est reconnue par de nombreux européens concurrents.
Étant donné que le critère primordial recherché par tout touriste qui quitte son pays est la quiétude et la sécurité, il serait peut-être judicieux de créer des hôtels pour les voilées et les barbus en qamis avec leurs plages privées et des plages pour touristes à l’instar des pays du Golfe, sans oublier de renforcer la sécurité sur les plages en créant une police spéciale qui veille sur la sécurité des touristes, de faire des réunions d’information avec les vendeurs pour les amener à ne plus importuner les touristes et à les respecter comme hôtes du pays. Ainsi pourrions-nous peut-être commencer à regagner notre tourisme !
(*) Voyagiste tunisien vivant en Amérique du Nord.