L’auteur apporte son témoignage sur ses choix professionnels et personnels, et répond à deux questions qui lui sont souvent posées : pourquoi choisir de travailler dans un pays en pleine révolution ?
Par Christian Jean*
La révolution tunisienne a révolutionné le monde arabe, mais aussi notre perception du monde.
Vivre de l’intérieur la réalité d’un changement si près de nous et pourtant si loin de nos préoccupations quotidiennes est une expérience rarissime.
La Tunisie était pour les Français les plages d’Hammamet et de Djerba, un modèle de pays arabe (sans islamistes), une destination de sous-traitance industrielle à bas coûts à deux heures d’avion de Paris.
Pour ceux qui connaissaient un peu mieux le pays, c’était une réussite économique d’un pays qui ne disposait d’aucune ressource et qui avait réussi à se hisser parmi les premiers avec une croissance insolente à plus de 5%.
C’est également un système d’éducation performant qui place le pays dans les 100 premiers au monde et le premier en Afrique, et qui fournit de nombreuses élites (en particulier dans l’IT).
Une grande leçon de démocratie et de pacifisme
Le 14 janvier 2011, le monde médusé découvre la fin d’une dictature, un pays contrasté, une jeunesse déterminée, pacifique et pleine de courage, d’espoir, une nation unie autour de la démocratie, aspirant à plus de liberté et à des conditions de vie dignes.
Comment ne pas prendre une grande leçon de démocratie et de pacifisme, en assistant à cette révolution non-violente et à ces élections presque exemplaires ?
Comment ne pas mettre en parallèle certaines de nos élections avec de faux-électeurs ou des bulletins de vote dans les chaussettes, ou les bagarres voire les morts chez les colleurs d’affiches… ?
Un pays sans vécu démocratique nous donne une belle leçon de débat et de vote démocratique, preuve de sa maturité et de stabilité.
Les élections ont permis l’arrivée au pouvoir d’un triumvirat qui intègre un parti de mouvance («marjaïa») islamique, première force du pays.
Le choc est rude pour la France, pays de la laïcité et seul pays au monde à défendre «l’universalisme… tricolore», qui ne supporte pas d’entendre le mot «religion» et dans une société occidentale qui a instauré l’islam comme le «mal absolu» dans un «choc des civilisations» prôné comme une valeur guerrière.
Pourtant de nombreux pays intègrent la croyance en Dieu dans leur système politique, dont de grandes démocraties comme les Etats Unis, le Canada, la Grèce, la Pologne, l’Allemagne…
Le choc de la perception de l’islam
Les partis politiques fondés sur des valeurs religieuses chrétiennes ont fondé l’Europe avec la démocratie chrétienne (Italie, Allemagne…) sans oublier le rôle de ce courant politique en France et son influence sur la classe politique française à travers des courants politiques ou sociaux, Joc, Cftc ou des hommes politiques tels que Jean Lecanuet ou Michel Delors.
Le choc est sans doute la perception de l’islam politique dans un pays (la France) où nous avons du mal à intégrer une religion qui a du mal à trouver sa place, à cheval entre une histoire de la laïcité et de l’immigration qui se cherche encore.
Nos peurs viennent avant tout de l’image renvoyée par la pratique de l’islam politique en Iran, Arabie Saoudite, en Afghanistan, ou au Soudan.
Mais comment comparer la Tunisie, qui a donné le droit de vote aux femmes avant même que la Suisse le fasse, qui s’est dotée d’un statut personnel moderniste et qui dispose d’un niveau de formation rapporté au Pib lui permettant d’être l’un des premiers d’Afrique ? Comment comparer un pays comme la Tunisie, ou le premier contingent de doctorants en France (rapporté à la population), à l’éducation inexistante au Soudan ou encore à des systèmes politico-religieux comme l’Iran chiite aussi proches du système malékite tunisien que la France socialiste de François Mitterrand pouvait l’être de Pol-Pot ou de Brejnev ?
Mais oublier les 600.000 Tunisiens de France, les 1,6 millions de touristes français et la place de la culture française, les 1.250 entreprises françaises en Tunisie et les 200 ans d’amitié est une erreur fondamentale.
La démocratie a besoin d’une réussite économique
La Tunisie a son identité multiple, son histoire et son expérience démocratique. Pensez qu’un jour le pays de la révolution «Facebook» puisse se transformer en république iranienne est une erreur grossière.
Il est évident que des peurs subsistent mais souvenons-nous de la panique mondiale (et française) après le 10 mai 1981 et l’arrivée d’un gouvernement socialiste au pouvoir accompagné de communistes qui n’avaient jamais remis en cause le système soviétique… ou, plus près de nous, un certain premier tour de mai 2002 ?
Oui des erreurs sont peut être commises, des excès d’intégristes de tous bords, des manifestations sociales exacerbées mais c’est la preuve d’une démocratie vivace en pleine éclosion.
Il y a des manifestations et des grèves mais sans commune mesure avec les «grandes grèves de 1995» ou les blocages de la Sncf (1000 préavis/an) ou du transport aérien en France…
Des débordements maitrisés aujourd’hui ont eu lieu dans les premiers jours de la révolution, mais les destructions sont bien moins importantes que celles des émeutes de 2005-2006.
La vie est-elle «rose et sans soucis» ? Non, des problèmes demeurent, mais les fondamentaux sont là avec un système démocratique qui s’enracine et protège le futur, l’absence de violence (aucun mort à comptabiliser depuis la nouvelle donne politique), un parlement élu, des investisseurs qui affluent (en particulier Golfe, Turquie, Etats-Unis, Allemagne et Italie), un système éducatif malade certes mais qui reste l’un des plus efficaces de la région, un pays francophone et francophile, une notoriété internationale et un accès privilégié au marché libyen et algérien.
La révolution tunisienne a besoin de réussite économique et d’amis pour passer à une évolution sociétale et politique, c’est dans les périodes difficiles que nous reconnaissons nos amis et que se fondent les grandes amitiés.
Aujourd’hui plus que jamais la Tunisie a besoin de développer son économie pour redonner de la confiance et un avenir à une jeunesse si impliquée et éprouvée.
La démocratie c’est aussi permettre aux démocrates d’échanger et de construire avec d’autres démocrates, pour cela nous devons tenir notre place, être présents pour permettre cette construction, notre absence laisserait la démocratie et l’amitié orphelines et le pays abandonné aux seuls extrémistes de tous bords.
La sécurité des biens et des personnes est assurée sans doute mieux ici qu’ailleurs, les troubles sociaux existent mais 50 ans de mutisme demandent un peu de patience, la parole se libère et les frustrations s’expriment.
La France, mais surtout les Français ont leur place, non pas en dominants mais en égaux sur le triptyque de nos valeurs républicaines partagées : «Liberté-Egalité-Fraternité».
En conclusion découvrir cet enthousiasme et cette énergie de la nouvelle Tunisie est une expérience qui nous redonne l’espoir et l’enthousiasme, dans le possible, la jeunesse et la démocratie, une belle leçon de vie et de partage…
* 48 ans, titulaire d’un master en management interculturel à Paris-Dauphine, directeur du développement des activités d’infogérance d’Oxia, une Ssii offshore en Tunisie, spécialiste en développement informatique, qui propose des solutions logicielles et des logiciels de gestion de projet.
* Les titre et intertitres sont de la rédaction.