Dr Lilia Bouguira – Pour aider les blessés de la révolution à se faire soigner, des citoyens se sont démenés pour leur offrir les soins que nécessite leur état. En Tunisie, et à l’étranger.
Chokri Riahi, un blessé amputé, depuis le 14 janvier 2011, grâce à une action purement citoyenne, que des hommes, des femmes, des gosses, je dirai sans grand savoir politique ni grandes ressources, se sont mobilisés pendant des mois pour le faire monter, ce samedi 17 mars 2012, dans un avion direction Bordeaux.
Nos amis expatriés en France de l’Association des Tunisiens de France se sont portés garants de la prise en charge sur place sur tous les plans.
Merci nos frères en France de bien vouloir porter le drapeau haut et fier, oui fier des enfants de la patrie où qu’ils soient !
Wael Karrafi est un autre blessé de la révolution, lui aussi amputé, grâce encore à ce corpuscule de citoyens sur ses 11 millions a pris son envol direction Vienne où un grand homme d’affaire l’a pris en charge pour toujours le remettre sur pied sur tous les plans.
Oui nous continuerons à porter le flambeau.
Avant-hier encore, nous sommes allés au palais cette fois non en invités mais en accompagnateurs de blessés graves de la révolution. Seul est là Mohamed Jendoubi, un grave blessé de la révolution, une balle encore logée dans sa moelle épinière. Les quinze autres sont absents pour des raisons que je n’ose décliner. Le manque est immonde, la nécessité infâme.
Un bel enfant, beau comme un soleil, un visage doux, des yeux rieur sur son fauteuil à moteur mais tellement tristes. Il semble porter seul le monde entier sur ses épaules.
Je m’approche, le rencontre pour la première fois. Je me présente et lui dis que je le suis depuis le premier jour où nous avons appris son cas en août dernier. Je lui parle de son courage, de sa force, de nous avoir entraînés dans ce combat loyal, pour ce droit à la santé, à la reconnaissance et à la vie.
Nous voyons un conseiller dépêché d’urgence pour nous dissuader de sit-inner. Nous voulons voir notre président et nous ne bougerons pas d’ici avant de l’avoir vu. Nous restons plus de quatre heures à attendre avec des tentatives de joindre de partout des hommes puissants de l’Etat, des conseillers du président et des conseillères, des intermédiaires pour parler avec les gens de la «troïka».
Tous nous envoient plus ou moins balader.
Que valions-nous si ce n’est une poignée de jeunets assez enflammés, escortée par un petit médecin délurée que j’étais ?
Que pouvions-nous peser si ce n’est une tonne de désillusions et un fameux rêve de justice et d’humanité ?
Je tente un appel. J’ai un conseiller de Samir Dilou, le ministre des Droits de l’homme et de la Justice transitionnelle.
M. Sadkaoui est un homme de foi et de parole. Il m’intime de l’attendre au palais car de la bureaucratie, il se sentait biaisé, annihilé, perdu, sans grand pouvoir mais avec beaucoup de volonté pour nos blessés. Moins d’une heure après, il nous rejoint, demande une audience et s’en va encore pour parler avec les gens de la présidence pendant plus de quatre heures.
Un conseiller, Mohamed il s’appelait, assez beau garçon, assez beau parleur, vient nous baratiner en proposant d’auditionner le seul blessé présent, Mohamed, que Marzouki avait visité chez lui au Kram-Ouest aux premiers jours de son élection à la présidence.
Je me propose de l’accompagner en tant que médecin de Mohamed. Il décline ma requête en me promettant d’envoyer me chercher. Chose qu’il ne fera pas.
Nous poireautons plus de trois heures avant que Sadkaoui, Mohamed et toute une smala reviennent. La nuit a commencé à tomber. Je ne sais pas ce qui s’est vraiment passé, juste que Mohamed semblait épuisé. J’intime à sa sœur de le ramener à la clinique, monte dans la voiture de service de Sadkaoui et partons comme il avait promis à une visite aux parents de Mohamed Jendoubi pour les convaincre de lever la grève de la faim. Son père est malade venant de subir un récent accident vasculaire.
Nous arpentons les rues du fameux Kram-Ouest qui avait avancé un certain janvier 2011 ses enfants comme aucun des quartiers huppés de la Tunisie n’avait encore fait. Ils eurent droit aux plus généreux et crapuleux tirs de notre police tueuse et des snipers dont M. Caïd Essebsi s’amuse encore à nier l’existence.
Une belle jeunesse sacrifiée dans des bains de sang horribles : le sang des vaillants écrasés comme de vulgaires moustiques.
Moustiques sont encore ces gosses lorsqu’ils sont encore là à attendre leur transfert à l’étranger pour des soins qui tardent à venir comme une éternité.
Sadkaoui explique aux parents de Mohamed pourquoi le rabattement de l’Etat sur la proposition du Qatar pour les prendre tous devant la proposition des Allemands de nous dépêcher ses experts en premier.
Il assure aussi que la présidence s’est promise de payer les frais de clinique de Mohamed Jendoubi et de Rached El-Arbi jusqu’à leurs départs. Il ne sort de chez eux qu’après la levée de la grève de la faim de ces derniers. Je l’emmène voir un autre blessé Walid Kasraoui, un autre jeune homme que j’ai découvert en septembre dernier.
Un garçon aux yeux tristes aussi parce que son geste, un certain 14 janvier, enfiévré d’amour pour sa patrie, s’est résumé à une jambe déflagrée, noire, suintante, sept greffes plus ou moins échouées, beaucoup de souffrance et de terribles désillusions.
Mais bon sang de quoi souffrent ces enfants ? Où ont-ils fait faux ? Ne se sont-ils pas suffisamment sacrifiés pour ce drapeau ? Est-ce si difficile de leur prendre la main, les mettre dans un avion et leur offrir la chance de rêver d’aller mieux ?
Je crois surtout qu’il y a une insuffisante volonté pour accompagner le sacrifice héroïque de nos blessés graves...
Alors je suis en droit de répéter, ricaneuse : le peuple a réussi là où l’Etat a échoué !
Articles du même auteur dans Kapitalis :
Pour Gilbert Naccache: «Ecris encore pour nous les enfants de ton pays, la Tunisie»
Tunisie. Guéguerre de blogueurs au Palais de Carthage
Un illuminé se prend pour Dieu...
Adieu la révolution et nous le mériterions !