Julie Macfarlane* écrit - Une meilleure connaissance de la «chariâ» peut-elle venir à bout de la peur qu’elle provoque, notamment parmi le public américain, qui estime que les musulmans cherchent à imposer leurs dogmes religieux et juridiques ?


Récemment, la chambre des représentants de l’Etat de Floride a accepté un projet de loi (rejeté ensuite par le Sénat), qui excluait tout droit étranger des juridictions locales. Un tel projet de loi peut paraître inoffensif. Or, si l’on en croit ce que rapporte le ‘‘Miami Herald Tribune’’, des prospectus ont circulé au sein du Sénat décrivant la «chariâ» – les principes islamiques, qui constituent un système volontaire d’obédience personnelle – comme «une menace islamique radicale pour la constitution américaine.»

Le discours des Américains sur l’islam

J’ai observé ce même type de réactions chez mes collègues dans le cadre de la recherche qualitative que j’ai menée sur le mariage et le divorce islamiques en Amérique du Nord. Ils étaient souvent surpris d’apprendre que l’islam autorise le divorce. Lorsque je leur expliquais que les femmes étaient en effet traitées différemment des hommes, mais qu’elles avaient bel et bien le droit de demander le divorce dans un grand nombre de cas, une des réponses fréquentes était : «Mais ne se contentent-ils pas simplement de les lapider?», suivie d’un rire.

Le discours du public américain au sujet de l’islam est la conséquence d’opinions erronées, sur les musulmans en général et sur la «chariâ» en particulier.

Le premier préjugé consiste à croire que les valeurs musulmanes sont différentes de celles des autres religions. Pourtant, il est rare que les personnes qui avancent cette idée soient en mesure de nommer ces valeurs ; ils se contentent de dire qu’elles sont effrayantes. C’est ce que démontrent les propos d’une étudiante sondée : «Je ne connais rien à la ‘‘chariâ’’, je sais seulement que c’est mauvais.»

La plupart des Américains ignorent qu’un grand nombre de lois de la «chariâ» – telles qu’elles sont comprises et pratiquées par les musulmans d’Amérique et par les pays majoritairement musulmans avec un système juridique islamique – portent sur des sujets qui touchent à la famille, y compris les droits de la famille et de la succession. Pour les musulmans d’Amérique, la «chariâ» se limite au rituel islamique du mariage et, dans certains cas, à la demande d’approbation du divorce par un imam – ce qui est bien loin de l’image qui décrit la «chariâ» comme étant une punition pénale brutale.

La loi islamique menace-t-elle l’Amérique ?

Le deuxième préjugé très répandu est dû à la croyance que les musulmans d’Amérique rejettent les normes et les valeurs occidentales en faveur des leurs, qui sont différentes. Mon étude sur le mariage et le divorce dans la population musulmane d’Amérique du Nord, montre que plus de 200 participants – des hommes et des femmes divorcés ainsi que des imams – épousent les systèmes juridiques américain ou canadien et voient leur tradition musulmane comme un supplément et non un substitut en ce qui concerne les exigences du mariage et du divorce. Parmi les personnes ayant pris part à cette étude, 95% s’étaient mariés à la fois par le biais du «nikah» (le contrat de mariage entre un musulman et une musulmane) et du contrat de mariage fournit par la juridiction locale.

Beaucoup d’entre eux avaient aussi divorcé «deux fois», une fois religieusement, avec la bénédiction d’un imam, et une fois juridiquement, en obtenant la dissolution du mariage par un juge.

Je n’ai pas jugé nécessaire d’établir le système juridique islamique parallèle, car la plupart des musulmans considèrent que leurs obligations islamiques appartiennent à la sphère privée et qu’elles sont parfaitement compatibles avec le système juridique formel. Qui plus est, en cas de litige, les participants affirment avoir eu recours aux tribunaux, tout comme l’aurait fait n’importe quel autre citoyen américain.

En 2008, un panneau d’affichage à l’entrée de Detroit, dans l’Etat du Michigan, indiquait : «La loi islamique menace l’Amérique». De tels actes – et le sentiment qui les guide – illustrent la croyance de plus en plus répandue que les musulmans sont déterminés à imposer «leurs valeurs» aux non-musulmans à travers le système juridique (croyance que montrent bien les efforts déployés par les Etats pour faire adopter des lois «anti-chariâ», à l’instar de la Floride).

Les musulmans et l’imposition des dogmes religieux

Ma recherche révèle une réalité contraire aux préjugés qui règnent en Amérique du Nord. Les musulmans ne sont pas le moins du monde intéressés à imposer la «chariâ» aux non-musulmans. De plus, les juridictions américaines ne risquent pas d’appliquer la loi islamique, puisqu’il est interdit d’interpréter et d’imposer tout dogme ou contrat religieux.

La contestation la plus courante du droit islamique par les tribunaux américains concerne le paiement du «mahr». Le contrat de mariage islamique est un contrat similaire à un accord prénuptial, qui spécifie d’entrée ce que la femme recevra durant le mariage et en cas de divorce. Dans le cas du «mahr», les tribunaux ont toujours refusé de faire tenir cette promesse, malgré le fait que le document satisfait toutes les exigences juridiques d’un contrat (il est établi par écrit et de manière consentante, avec, comme témoins, des centaines d’invités du mariage), parce que le «nikah» est un contrat religieux.

Un grand nombre de musulmans qui ont pris part à mon étude et qui se sont aussi mariés religieusement étaient peu pratiquants, mais souhaitaient simplement faire honneur à leur tradition. Après une analyse approfondie, je m’aperçois que la revendication des tribunaux américains, qui veulent être protégés contre «une islamisation rampante», n’a aucun bien fondé.
Si la peur des musulmans et l’hostilité à leur égard peuvent être combattues par une meilleure connaissance, alors nous pouvons espérer transformer un discours public appauvri en un discours qui permette aux musulmans d’Amérique de se sentir à nouveau chez eux.

* La professeure Julie Macfarlane enseigne le droit à l’Université de Windsor et est l’auteure de ‘‘Islamic Divorce in North America : A Shari’a Path in a Secular Society’’ (Oxford University Press).

NB : Ce texte est reproduit avec l’autorisation du service de presse de Common Ground www.commongroundnews.org (CGNews).