On peut reprocher au gouvernement d’avoir trop promis et de ne pas suffisamment délivrer ; mais on ne peut pas lui demander, en même temps, de ne rien faire.
Par Fatah Mami
Le journal ‘‘La Presse’’ a publié, le 18 janvier 2012 : «Ugtt - Montée des revendications : Appel à des solutions urgentes et à un débat national»). On y lit notamment : «Le bureau exécutif de l’Union générale tunisienne du travail (Ugtt) a réaffirmé son soutien aux revendications légitimes des jeunes sans-emploi et en particulier leur droit au travail et le droit de leur région à un développement équitable.»
L’Ugtt et les revendications des chômeurs
A quoi servent ces revendications ? Quelle est leur utilité ? Vont-elles changer quelque chose ou contribuer à une solution ? Est-ce qu’il y a des emplois dont certaines catégories de chômeurs sont exclues, pour justifier de telles revendications ? Quelle est l’utilité et le but du soutien de l’Ugtt à ce genre de revendications ?
«Dans une déclaration rendue publique hier, à la suite de la vague de protestations provoquée dans plusieurs régions du pays, le bureau exécutif de l’Ugtt met en garde contre le danger que ces mouvements de protestation ne dégénèrent en des actes de pillage qui, estime-t-il, risquent d’entraver le fonctionnement des services publics, d’affecter l’activité économique et d’avoir des répercussions négatives sur les indicateurs de développement», lit-on aussi.
Manifestation de l'Ugtt à Tunis le 25 février
Quel est le but et l'utilité de cette mise en garde ? A qui est-elle adressée ? S’agit-il d’un appel au calme et à la raison, ou d’un avertissement ?
L’appel enchaîne : «La centrale syndicale se dit préoccupée face à la montée de la tension, à cause du sentiment de désespoir qui a envahi les citoyens et de leur manque de confiance en la réussite du gouvernement à remplir ses engagements, précisant que cette montée de tension est due également à la fragilité de la situation dans plusieurs régions illustrée par le chômage, la marginalisation, la pauvreté et l’absence des attributs de développement.»
Si le manque de confiance en la réussite du gouvernement à remplir ses engagements provoque des revendications, qui mènent à des manifestations, des blocus, des sièges, voire des émeutes, une paralysie de l’activité économique, et éventuellement des dégâts matériels et la destruction de structures publiques et privées, il est certain que les craintes des laissés-pour-compte et des marginaux se réaliseront.
Promesses non tenues et instabilité sociale
Il est clair que les partis au pouvoir ont fait des promesses exagérées, excessives..., pour diverses raisons, et que la plupart de ces promesses ne seront pas tenues. Mais, l’instabilité sociale et sécuritaire ne donne pas la chance au gouvernement de réaliser ce qui est possible et un minimum de ce qui est nécessaire, et aux démunis d'en profiter. Tout simplement : les perturbations et les entraves sont contre-productives et vont à l'encontre des intérêts des concernés.
Concernant «le chômage, la marginalisation et l’absence des attributs de développement», c'est la faute à qui ? Qui en est responsable ? C’est contre qui que doit se diriger la colère et le ras-le-bol ? Au fait, s’agit-il de mouvements de revendication et de pression, de façon constructive et productive, ou simplement d’expression de ras-le-bol et de frustration ? Quelle est la solution ? Qui doit faire quoi ?
«Le bureau exécutif de l’Ugtt appelle le gouvernement provisoire à trouver en urgence des solutions pour améliorer la situation dans certaines régions marginalisées et à engager un débat national avec tous les partenaires sociaux et les composantes de la société civile autour des questions de l’emploi et du développement», souligne encore l’Ugtt.
Quid des solutions urgentes préconisées par les syndicats ?
Quelles sont les solutions d’urgence auxquelles appelle la centrale ouvrière ?
Que signifie «le débat national» auquel appelle l’Ugtt ? Dans son communiqué de presse du 26 janvier 2012, Béji Caïd Essebsi a appelé aussi à une consultation nationale. Plusieurs parties appellent à un débat ou une consultation nationale. De quoi s’agit-il, comment conduire cette consultation, et dans quel délai ? S’agit-il de convoquer des représentants du gouvernement, des partis politiques, des syndicats, des associations, ainsi que des personnalités, à un congrès à la coupole d’El-Menzah, ou à des séances de remue-méninges (brainstorming) à travers le pays ? Concrètement et pratiquement, de quoi parlons-nous ?
Nous reprochons au gouvernement d’avoir trop promis et de ne pas délivrer ; puis, nous lui demandons de ne rien faire, et de convoquer une consultation nationale qui décidera concernant les questions de l’emploi, du développement, et autres. La situation est intenable et extrêmement urgente ; en même temps, nous devons prendre le temps et le recul d’une nouvelle, méga-consultation nationale. J’ai du mal à comprendre et à concilier ces demandes.
Si je ne me trompe pas, le débat et la consultation nationaux ont bel et bien eu lieu, à travers une campagne électorale et des élections honnêtes et transparentes (au niveau du déroulement du scrutin ; je ne me réfère pas au déroulement de la campagne électorale, ni aux programmes et promesses électoraux.)
Que ceux qui ne sont pas satisfaits des résultats des élections se mobilisent plus et mieux la prochaine fois pour changer l’issue ; qu’ils expriment, entre-temps, leurs réserves et critiques, mais qu’ils n’essaient pas d’entraver, compliquer et retarder la tâche du gouvernement.
De plus, depuis la Révolution, les politiques, les «experts», les commentateurs et les médias n’ont pas cessé de parler et de débattre de la situation du pays, de son avenir, des possibilités et des choix. Ce n’est pas la faute du gouvernement actuel, donc, de ceux qui ont gagné les élections, si la qualité et l’étendue de cet échange et de ces débats laissent à désirer, et si leur issue est dénuée de solutions réalistes, pratiques et convenables. Nous sommes tous responsable de la médiocrité des débats, des échanges et des disputes qui ont eu lieu – médiocrité qui continue à prévaloir.
«Il s’agit, ajoute le bureau exécutif de l’Ugtt, d’assurer la protection des établissements universitaires contre les intrus et de mettre fin à l’interruption des cours, conformément aux lois régissant les activités universitaires et académiques.»
J’en conviens parfaitement. Toutefois, j’élargirai ce judicieux et sage principe à tout établissement, privé ou public, économique, social, éducatif, culturel, ou autre, contre tout intrus, perturbateur, saboteur et intransigeant, quels que soient son appartenance, son grief et la validité de sa demande.