L’initiative «5+5» sera véritablement profitable pour les pays de la Méditerranée occidentale et constituera un véritable laboratoire expérimental pour l’ensemble de la Méditerranée dans le cadre du partenariat euroméditerranéen.

Par Jean-François Coustillière*


 

Les relations euro-méditerranéennes connaissent une période délicate et peu productive. La défiance réciproque n’y est pas étrangère.

Le Processus de Barcelone connaît un fort ralentissement depuis 2005 tandis que l’Union pour la Méditerranée (UpM), en suspension depuis fin 2008, est en situation de quasi-échec.

Alors que le conflit israélo-palestinien s’éternise, la situation en Méditerranée s’est dégradée sensiblement: les révoltes arabes de 2011 ont entrainé un état de grandes incertitudes en Egypte, un soulèvement meurtrier en Syrie, un risque de guerre civile en Libye et des inquiétudes dommageables en Tunisie.

Engagement continu de l’UE à l’égard des partenaires méditerranéens

Bien évidemment, ces circonstances accroissent les risques qui pèsent sur la sécurité de l’Union européenne et confortent le bien fondé de la Stratégie européenne de sécurité1 qui affirme : «Il est dans l’intérêt de l’Europe que les pays situés à ses frontières soient bien gouvernés», et préconise: «Les intérêts de l’Union européenne exigent un engagement continu à l’égard des partenaires méditerranéens».

Il importe donc de revitaliser au plus vite ces relations euro-méditerranéennes pour être en mesure de répondre aux attentes de nos partenaires et créer ainsi un indispensable climat de confiance.

Mais la situation en Méditerranée orientale ne s’y prête guère. Il semble difficile dans les circonstances actuelles d’envisager un renforcement de la coopération alors que la région est aux prises avec des conflits et des crises parfois sanglantes. Pour autant, il serait irresponsable d’attendre des jours meilleurs pour prendre ou soutenir des initiatives dans les zones méditerranéennes moins troublées.

C’est d’ailleurs ce que préconise la communication conjointe2, «un partenariat pour la démocratie et une prospérité partagée avec le Sud de la Méditerranée», élaborée au lendemain des premières révoltes arabes, quand elle souligne que l’UE est prête à «apporter son soutien à tous ceux de ses voisins du Sud qui sont en mesure et ont la volonté d’entreprendre de telles réformes au moyen d’un partenariat pour la démocratie et une prospérité partagée».»

En Méditerranée occidentale la situation est plus sereine même si des incertitudes demeurent. En 2011, du fait des révoltes arabes qui avaient fortement affecté deux des membres de l’initiative «5+5»3, les initiatives propres à cette sous-région avaient été mises en attente. Toutefois, aujourd’hui, des signes d’une volonté de normalisation – voire de rétablissement – d’un  relationnel plus confiant apparaissent clairement : réunion des ministres des Affaires étrangères de l’Union du Maghreb arabe (Uma), les 17 et 18 février 2012 à Rabat, 9e conférence des ministres des Affaires étrangères du Dialogue 5+5, le 20 février 2012 à Rome.

Renforcement des relations autour du bassin occidental

Le processus «5+5» est donc en train de rebondir. On peut ainsi penser qu’il porte une bonne partie des espoirs de relance du dialogue en Méditerranée surtout si l’Uma concrétise les avancées attendues.

Ce sont les événements qui commandent: la normalisation en cours des deux pays précités et la nécessité pour tous les membres de renouer des relations rénovées entre les partenaires expliquent naturellement la reprise du «5+5».

Le «5+5» a été créé en 1990, suspendu de 1991 à 2001 (en raison de l’embargo vis-à-vis de l’un de ses membres), puis relancé en 2001 ; il a connu de très belles avancées jusqu’en 2010, même si des aléas – comme un putsch dans l’un des pays partenaires – ont pu ralentir les progrès. A la veille de 2011, il était encore très dynamique. Il n’était alors influencé ni par les difficultés du Processus de Barcelone, ni par l’incapacité de l’UpM à émerger.

Les pistes choisies, qui ont favorisé un fonctionnement exemplaire du 5+5, peuvent conduire les acteurs des autres initiatives à s’interroger sur les raisons profondes de leurs difficultés et tirer ainsi expérience des voies ouvertes par le 5+5.

Les membres du 5+5 partagent, du fait de leur proximité géographique mais aussi humaine, nombre de préoccupations qui souvent sont autant de défis. Faisant volontairement le choix de relations informelles, discrètes, pratiques, au départ plus techniques que politiques et surtout réellement partenariales, la démarche recueille l’adhésion de chacun dans l’exigence de l’équité et réduit le soupçon d’agendas cachés.

Le 5+5 qui prend des formes différentes selon les dossiers, est souple et adaptable. Non contraignant et essentiellement axé sur les priorités des différents membres, il constitue un outil auquel chacun des partenaires est tout particulièrement attaché. A ce titre, il  peut être un laboratoire expérimental au profit des autres initiatives en Méditerranée.

Ce constat conduit évidemment à promouvoir un véritable engagement fort des partenaires européens du 5+5 aux côtés de leurs partenaires du Sud, pour contribuer au renforcement des relations tout autour du bassin occidental, y compris à travers le développement de l’Uma.

‘‘Le 5+5 face aux défis du réveil arabe’’

C’est dans cet esprit qu’une trentaine de spécialistes des questions méditerranéennes, ressortissants des dix pays concernés, ont souhaité se regrouper pour proposer un bilan du 5+5 et de nouvelles pistes pour cette initiative*.

Ensemble, ils ont élaboré un ouvrage collectif qui dresse un état des lieux, une photographie de cette initiative 5+5, avant que de conduire à s’interroger sur les voies à emprunter pour conserver les acquis tout en lançant de nouvelles pistes. Celles-ci évoquent des perspectives qui tiennent compte des aspirations que les peuples ont manifesté, tant à l’occasion des révoltes arabes, mais également des «mouvements des Indignés» dans le nord du Bassin. Divers points de vue s’y expriment : l’intention est de proposer des axes d’orientation et d’approfondissement, sans pour autant viser à refonder une démarche, laquelle doit trouver son équilibre «en marchant» de façon adaptative et autonome.

Il s’agit là toutefois de relations internationales: la démarche se doit d’être coordonnée et suivie par les ministères des Affaires étrangères concernés. Mais il convient que chaque dossier conserve sa liberté d’organisation et de fonctionnement, uniquement selon les choix de ses membres. C’est à ce prix qu’elle maintiendra la forte adhésion de ses membres dans un esprit d’autonomie politique, d’écoute des autres et d’égalité des membres entre eux.

Certes, selon la volonté initiale de ses acteurs, ce processus reste humble dans ses ambitions. Mais la confiance ainsi lentement et sûrement élaborée, sera, n’en doutons pas, le ciment de coopérations plus vastes à l’avenir.

Mais ne précipitons pas les événements. Ne créons pas de nouvelles institutions ambitieuses, lourdes et couteuses avant d’avoir construit une confiance partenariale solide. Les exemples récents montrent que vouloir aller trop vite, sans prendre en considération la complexité du monde qui nous entoure et des situations, ne peut conduire qu’à l’échec et à la gabegie, voire même à un recul.

C’est à ce prix que cette initiative sera véritablement profitable pour la région mais se révélera aussi, sans aucun doute, un véritable laboratoire expérimental pour l’ensemble de la Méditerranée dans le cadre du partenariat euroméditerranéen.

* Consultant indépendant, spécialiste des questions de relations internationales en Méditerranée, Toulon.

 

Notes :

1- «Une Europe sûre dans un monde meilleur» 12 décembre 2003 - «Il est dans l’intérêt de l’Europe que les pays situés à ses frontières soient bien gouvernés. Les voisins engagés dans des conflits violents, les États faibles où la criminalité organisée se répand, les sociétés défaillantes ou une croissance démographique explosive aux frontières de l’Europe constituent pour elle autant de problèmes.»

2- Communication conjointe au Conseil européen, au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au comité des régions  - du 8 mars 2011.

3- «5+5»: Initiative multinationale entre Algérie, Espagne, France, Italie, Libye, Malte, Maroc, Mauritanie, Portugal et Tunisie de coopération autour de la Méditerranée occidentale.

 

* ‘‘Le 5+5 face aux défis du réveil arabe’’, sous la direction de Jean-François Coustillière, éd. L’Harmattan, collection ‘‘Les Cahiers de Confluences’’, Paris 2012.

 

L’initiative 5+5 lancée en 1990 (Algérie, Espagne, France, Italie, Libye, Malte, Maroc, Mauritanie, Portugal, Tunisie) et largement développée depuis, est particulièrement méconnue. C’est sans doute dû à une certaine discrétion du processus , attitude adoptée dès sa création qui a conduit à un déficit de médiatisation ou de promotion politique. Mais cette discrétion n’est probablement pas étrangère à son succès. De fait, les dix membres du 5+5 se sont appropriés l’initiative et manifestent clairement, notamment au Sud, leur attachement à cette démarche jugée pertinente et équilibrée et cela en dépit des aléas auxquels s’est heurté et continue de se heurter le processus.

Fondé sur des règles de fonctionnement originales, le 5+5 mérite d’être mieux connu en anamysant les raisons qui conduisent à une telle adhésion afin d’en tirer enseignement au profit des autres initiatives multinationales mais aussi d’élargir encore le champ d’application de la démarche.

Pour cela, Jean-François Coustillière, spécialiste des questions de relations internationales en Méditerranée, propose dans un premier temps une présentation du chemin parcouru pour ensuite évoquer les pistes qui pourraient être ouvertes afin de bénéficier de la synergie ainsi créée, en confortant les relations autour de la Méditerranée occidentale et en constituant un laboratoire d’expériences au profit des autres enceintes de coopération en Méditerranée.

Pour ce faire, il donne la parole à des spécialistes et des experts, convaincus de l’importance du 5+5 dans cette période troublée que connaît l’environnement euro-méditerranéen, qui apportent à cet ouvrage une véritable vision multinationale façonnée par une volonté de partenariat équitable, de solidarité et de progrès: Tahani Abdelhakim, Adrià Albareda, Hatem Ben Salem, Habib Boulares, Isabelle Calleja Ragonesi, Valentina Cassar, Pierre-Yves Derangere, Vincent Dollé, Louisa Dris-Ait-Hamadouche, Cherif Dris, Noëlle Duck, Antoine Godbert, Rachid El Houdaigui, Jean Robert Henry, João Nunes Henriques, Robert G. Lanquar, Michel Masson, Mario Rino Me, Philippe Navarre, Abdel Kader Ould Mohamed, Arturo M.L. Parisi, Michel Roche, Emmanuel de Romémont, Eduard Soler i Lecha, François Teissier, Marcel-René Tercinet, Pierre Vallaud et Juan Carlos Villamía Ugarte.