L’acceptation par Ennahdha du maintien de l’article 1er de la constitution de 1959 et son abandon de l’inscription de la chariâ comme source principale de la constitution est une 1ère victoire du camp moderniste, qui en appelle d’autres.

Par Lotfi Benmosbah

 


N’en déplaise aux nostalgiques de Ben Ali qui essayent de survivre en attisant la peur dans le cœur des Tunisiens, la reculade d’Ennahdha sur la chariâ n’est pas que stratégique ; elle consacre la première véritable victoire du camp moderniste dans la Tunisie postrévolutionnaire. Il est d’ailleurs dommage que ce camp moderniste n’ait pas pris totalement conscience de sa victoire. Ainsi, il laisse encore le champ audiovisuel aux responsables d’Ennahdha, qui viennent faire de la pédagogie, en laissant sous-entendre que c’est uniquement dans un souci de grande générosité qu’ils ont préféré ne pas mentionner explicitement la chariâ comme source du droit tunisien.

La première victoire de la modernité

En fait, en acceptant de ne pas mentionner explicitement la chariâ dans la nouvelle constitution, Ennahdha reconnaît implicitement que, même si la société tunisienne demeure conservatrice et profondément attachée à sa religion, elle n’est plus prête à accepter de revenir à des lois rétrogrades.

Cette première victoire, bien que relative, n’en est pas moins doublement fondamentale. D’une part, elle ancre définitivement la Tunisie dans la modernité et prépare les combats futurs. D’autre part, cette victoire de la modernité est la première obtenue au prix d’une véritable lutte (débats, rencontres, conférences, éditoriaux, analyses, mobilisation de toutes les composantes de la société).

En effet, il faut garder en tête que tous les acquis de la Tunisie n’ont pas été obtenus par des luttes de la société mais accordés par deux régimes dictatoriaux. Et si le premier régime croyait profondément à la nécessité de la modernité pour développer la Tunisie (celui de Bourguiba, Ndlr), le second l’a plutôt utilisée comme un outil de propagande pour faire taire les critiques de l’Occident envers toutes ses exactions.

Préparer les batailles à venir

Cette victoire a également consacré, pour la première fois en Tunisie depuis l’indépendance, la primauté du dialogue, donnant ainsi l’occasion à tous d’assister à des débats souvent de très haut niveau intellectuel, religieux, juridique, philosophique…

Les batailles à venir serviront d’abord à conserver les acquis, que ce soit en matière de droit de la femme, de droit pénal, de droit de l’enfant, etc., mais aussi à avancer dans le sens de la modernisation de la société et de l’affranchissement de l’Etat de toute interférence religieuse.

À mon sens, le combat sera long et difficile. Il sera gagné si la modernité, comme aux premiers temps de l’indépendance, est accompagné de prospérité. Ainsi, dans cette Tunisie post-révolutionnaire, c’est au camp moderniste d’œuvrer non pas seulement pour assoir les libertés fondamentales mais aussi pour une plus grande justice sociale et pour une plus juste répartition des richesses entre les différentes couches de la société.