Témoignage de trois jeunes Libyens qui utilisent la radio pour pousser leurs dirigeants à aborder les problèmes du pays, à encourager la réconciliation nationale et à mettre fin aux armées privées.

Par Khalid Al-Badawi, Muhammad al-Taip et Mohannad Awn*


 

Originaires de Tripoli, nous avons tous une vingtaine d’années et nous faisons partie de la deuxième génération de Libyens à n’avoir pas connu d’autre autorité que le régime de Mouammar Kadhafi. Lorsque ce dernier est tombé, le monde a vu des rebelles se battre pour contrôler les rues – tandis que nous, nous ressentions le chaos dans nos cœurs. Depuis ce bouleversement, nous avons remis en question notre identité et notre but dans la vie.

Un langage sans détour

Suite à la chute du régime, nous nous sommes mis à rêver à une Libye libre et dynamique, évoluant rapidement pour rattraper un monde qui l’a laissée pour compte il y a bien des années. Que pouvions-nous faire pour que ce rêve devienne réalité ? Nous avons pensé que le peuple libyen avait avant tout besoin d’éducation et de sources d’inspiration – et quel meilleur moyen pour lui procurer ces deux atouts que par la diffusion médiatique ?

Nous avons donc décidé de créer une émission de radio appelée «Rough Talk» (franc parler/parler sans détour).

Dans notre langue natale, ces termes expriment la franchise et la sincérité. Le «rough talk» n’est pas la même chose que le «street talk» (le langage de la rue). Dans le pays tel que nous l’avons connu, personne n’osait exprimer ses pensées en public. Mais nous avons pensé qu’aujourd’hui, il serait possible d’introduire un langage sans détour – une conversation ouverte et sincère sur des sujets majeurs – dans l’espace public. Ce langage nous permettrait d’explorer chaque question et problème qui entravent la construction d’une Libye solide et démocratique.

Bien évidemment, les choses ne sont pas si simples et il est facile de parler.

Nous sommes tous les trois des amateurs de radio de longue date. Et la radio est un des moyens de communication auquel presque tous les Libyens ont accès. Enfants, nous écoutions des émissions de radio internationales qui nous arrivaient de tous les coins du monde. Nous entendions donc plusieurs versions de la même nouvelle et essayions de nous forger notre propre opinion. Actuellement, la Libye n’a ni la structure économique, ni la stabilité politique pour qu’une radio indépendante puisse survivre. Dans notre pays, les chaînes les mieux financées sont sous l’emprise du pouvoir politique et des factions. Nous savions qu’en nous adressant à l’une d’entre elles pour promouvoir notre concept de «Rough Talk», nous devrions probablement nous soumettre à leurs intérêts.

En combinant Youtube et Facebook

Nous voulions tout de même diffuser une émission radiophonique.
En combinant Youtube et Facebook, il est possible de diffuser en ligne une émission radiophonique simple, de la longueur que l’on souhaite. Tout ce dont nous avions besoin était un micro et un ordinateur portable.
Lors de notre premier épisode, nous avons exposé quelques-uns de nos objectifs : pousser les dirigeants à aborder les problèmes du pays ; chercher, puis analyser des solutions qui ont réussi dans d’autres pays et qui pourraient être utiles chez nous ; encourager la réconciliation nationale et mettre fin aux armées privées ; et, par dessus tout, toujours dire la vérité. Nous avons expliqué que la Libye est un pays libre. Elle est libre parce que nous croyons en sa liberté, et elle continuera de l’être tant que nous agirons en accord avec nos croyances.

Lors d’un des premiers épisodes, nous avons débattu des manifestations. Les manifestants sont-ils capables de s’unir pour construire un pays meilleur, ou ne peuvent-ils se mettre d’accord que sur ce qu’ils veulent détruire ? Nous n’avons pas de réponse, mais nous savons que pour l'obtenir, nous devons avant tout poser des questions.

Une autre émission portait sur l’idée de «respect du droit». Nous avons interviewé des amis et des inconnus et leur avons demandé quel était, à leurs yeux, le sens de cette formule. Nous leur avons ensuite montré notre propre définition : un système dans lequel tous les membres de la société sont égaux, grâce à des lois justes, que la population dans son ensemble se charge de superviser.

Répandre la culture du respect de la loi

Depuis le lancement de notre projet, le nombre de fans sur Facebook a progressivement augmenté. Facebook a été l’outil qui nous a permis de développer notre réseau. Par exemple, nous nous sommes joints récemment à un groupe appelé Lawful Culture Online Community, dont les membres sont essentiellement des journalistes arabes attachés à répandre la culture de la tolérance et du respect de la loi à travers le monde arabe. Cette expérience nous a permis de promouvoir des valeurs positives par le biais de projets médiatiques. La participation de cette communauté a rendu le contenu de nos diffusions plus fort et nous sommes fiers d’avoir intégré son comité.

Il existe déjà des signes qui prouvent que notre persistance est récompensée, notamment lorsque Radio Libya nous a proposé de diffuser nos émissions. Radio Libya est une petite station radio, actuellement sous le contrôle du gouvernement de transition. Elle nous a proposé de diffuser nos émissions de manière ininterrompue. Il s’agit d’une occasion en or pour nous que de bénéficier d’un dispositif qui nous permette d’être entendu dans la rue, par les chauffeurs de taxi, les vendeurs ambulants et tous ceux qui veulent nous écouter. Nous croyons fermement que cette occasion concilie notre désir de conserver notre indépendance et notre espoir d’accroître notre public.

C’est une tâche ardue. Mais nous ne baisserons pas les bras tant que nous aurons un public qui partage notre vision d’un avenir florissant pour notre pays.

*Khalid Al-Badawi, Muhammad al Taip et Mohannad Awn sont les cofondateurs de Rough Talk Radio Network en Libye. Cet article a été traduit vers l’anglais par Joseph Braude, spécialiste du Proche-Orient et auteur de ‘‘The Honored Death : A Story of Friendship, Murder and the Search for Truth in the Arab World’’ (Random House, 2011).

Source : Common Ground News Service (CGNews).