«La société tunisienne, la plus moderne et la plus pacifique du monde arabe, a la maturité nécessaire et les ressorts suffisants pour réussir la mutation démocratique», écrit le journaliste et écrivain franco-algérien.
Par Farid Hannache*
L’intifada démocratique des peuples arabes et berbères n’est ni islamiste ni arabiste, elle n’a ni chef ni leader, les peuples sont ses seuls héros...
Les médias ont voulu faire de Mohammed Bouazizi, le vendeur à la sauvette de Sidi Bouzid, un héros posthume. Beaucoup de mensonges ont été dits pour le sanctifier. Ce n’est pas l’immolation par le feu du pauvre jeune Tunisien Mohamed Bouazizi qui a allumé la mèche des révoltes arabes. Dire ceci c’est insulter des milliers de martyrs contre les dictatures et insulter la vie à laquelle aspirent les peuples de cette région. Avant Bouazizi, plusieurs Marocains et Algériens se sont suicidés pour crier leurs désespoirs ou manifester leurs colères contre l’Etat.
Le vrai déclencheur de la révolte tunisienne n’est pas un suicide, mais le rassemblement d’une centaine d’avocats en robe noir, le 6 janvier 2011, chantant l’hymne national, l’hymne à la vie de Chebbi, dénonçant la répression policière. Par maturité, le peuple tunisien s’est révolté cette fois-ci pour se jeter dans les bras de la démocratie. Les autres peuples arabes se sont révoltés pour vomir les dictatures. Tous les pays arabes doivent se libérer des dictatures et s’engager dans la voix de la démocratisation, mais il n’y a, pour l’instant, que le peuple tunisien qui a les moyens et les ressources pour réussir rapidement la démocratie. Ce n’est pas une vision raciste, mais un constat réaliste (…)
Les voies impénétrables de l’argent du Qatar
En attendant des révélations sur les voies impénétrables de l’argent du Qatar, de ses mercenaires envoyés en Libye, de ses armes qui ont atterri entre les mains de l’Aqmi, nous pouvons déjà constater que le Qatar refait avec les Américains ce que ces mêmes Américains ont fait avec les Saoudiens il y a plus 20 ans, faire de Ben Laden un combattant de la liberté et faire du terrorisme une carte géopolitique.
Mais, si les Saoudiens luttent depuis 10 ans contre le terrorisme islamiste, les Américains ont de la suite dans les idées. Après le Grand Moyen-Orient que voulait imposer le criminel de guerre Bush par les bombes, Obama a réussi à imploser ce Moyen-Orient avec des pages internet et des vidéos Youtube couvertes de jasmin.
Pendant plus de deux ans, Carthage était secoué par des guerres intestines, pour remplacer Ben Ali, entre sa hyène d’épouse et l’ex-ministre des Affaires étrangères Kamal Morjane que les Américains redoutaient car trop patriote.
Alors, les Américains ont soutenu les militaires puis les islamistes pour changer la tête de l’Etat. Quant aux islamistes – qui veulent diriger l’Etat pour vivre comme des rentiers comme ils le faisaient avant avec les mosquées ou les associations – ils pourront continuer à collaborer avec les Américains, tout en prétendant abhorrer leurs politiques, comme le fait le Qatar. Tunisie, Egypte, Libye, etc..., la charia ne gêne absolument pas les Américains tant que le pétrole reste dans leur escarcelle et tant que seuls l’Europe et le monde musulman restent La Mecque de la vengeance terroriste islamiste (…)
Le chemin du progrès emprunté par la Tunisie
Le peuple égyptien est le peuple qui a le plus souffert du despotisme arabe et du joug de l’islamisme. Momifié dans les fanfaronnades du panarabisme, ce peuple a souffert de la dictature des généraux ou celle des Frères Musulman et de leurs deux alliés : la pauvreté et l’illettrisme.
Le peuple tunisien est mûr pour la démocratie ; il a pris conscience de sa valeur et il a pris en main son destin. La démocratisation est la continuation naturelle du chemin du progrès emprunté par la Tunisie depuis son indépendance. La Tunisie est un pays apte et capable de réussir la démocratie. La Tunisie, c’est une grande jeunesse instruite, dynamique et pacifique, une riche élite laïque, une large classe moyenne, une énergique diversité culturelle, l’excellence professionnelle et l’indépendance des femmes, la vision moderne et la pratique modérée de l’islam.
A la différence d’autres pays, l’opposition tunisienne n’est ni un vassal ni une façade, et surtout, l’armée n’est pas une mafia étatique ni un clan politique. Jusqu’à présent, l’armée joue un rôle saint. C’est exceptionnel dans le monde arabo-africain. Mais il faut être vigilant ; il ne faut pas qu’une dictature militaire succède à une dictature policière. Il ne faut pas que règne dans la nouvelle Tunisie une nouvelle peur ou un nouveau triumvirat : armée, intégrisme et insécurité. Il ne faut surtout pas sacrifier les autres exceptions tunisiennes et les acquis de l’ancien régime, comme le développement économique, l’infrastructure touristique, le progrès éducatif, le dynamisme culturel, le statut de la femme et la tolérance religieuse...
Personne n’a entendu «Allah Akbar» pendant la révolte tunisienne. Ce ne sont pas les islamistes aftershave d’Europe ni les islamistes offshore du Qatar qui ont provoqué ou mené le soulèvement tunisien. Mais, peut-être ce sont eux qui vont ramasser la récolte.
La révolte du Jasmin est un soulèvement de la jeunesse instruite et cultivée contre l’injustice et l’arbitraire, c’est le soulèvement de la société civile contre l’Etat confisqué. On peut parler du premier coup de force réussi par Wikileaks et Al-Jazira. Mais, contrairement à ce que disent les Guevara en soutane, la révolte tunisienne n’est pas la victoire de l’islam contre un Etat mécréant.
Pendant plusieurs semaines, le Che-Cheikh Qaradhaoui déversait des sermons et des fatwas exaltant les Tunisiens à nettoyer par le sang les résidus d’un Etat athée et les idoles d’une société débauchée. La Tunisie risque de devenir la proie d’un nouveau dessein ou d’un nouveau langage. Certains islamistes exilés sont retournés dans une Tunisie longtemps immunisée contre le fondamentalisme avec des virus et des fantasmes dans leurs bagages. L’Internationale des Frères Musulmans, depuis qu’elle a applaudi la révolte arabe, psalmodie la démocratie intégriste. Les frérots font pousser les gens à voter en les persuadant que «Voter contre les islamistes c’est voter contre l’islam». Les islamistes débarquent avec l’argent des pétrodollars qataris, ils vont promettre monts et merveilles, ils vont corrompre, terroriser et profiter de la mauvaise conscience de l’Occident.
Ce n’est pas parce que l’Occident a enfin admis que la dictature arabe est un Léviathan que les islamistes sont devenus Blanche-neige. Les hypocrisies occidentales sont faites parfois de non-dits et d’ellipses, mais les oublis et les raccourcies mènent à des apocalypses. Au fameux éditorial de Denis Jeambar dans ‘‘L’Express’’ du 8 novembre 2001 : «Ben Ali contre Ben Laden», je préfère «la démocratie contre le terrorisme» ou «l’islam du cheik Ul-Qadri contre l’islam de Ben Laden».
L’histoire des deux pays voisins du Maghreb n’est pas la même. Mon cher pays d’origine, l’Algérie, sort d’une effroyable guerre civile, de la barbarie islamiste et des escadrons de la mort créés par certains généraux. La Tunisie n’a pas connu cela. L’Algérie, qui a gagné son indépendance dans le sang, a d’énormes richesses minières dépouillées ou gaspillées par une partie de ses propres dirigeants. Il ne faut pas que les Tunisiens jettent l’Etat avec les eaux sales du régime. Il faut surtout épargner à la Tunisie un bain de sang que déclenchent les règlements de compte entre miliciens ou entre politiciens.
Peu importe maintenant le rôle de la police et celui de l’armée pendant le soulèvement, peu importe l’identité des snipers, l’essentiel est de sauver la nouvelle Tunisie. Il faut que les Tunisiens ne se laissent pas confisquer ou détourner leur soulèvement. Entre la révolte et la révolution, il y a la réussite de la transition démocratique.
La société tunisienne, la plus moderne et la plus pacifique du monde arabe, a la maturité nécessaire et les ressorts suffisants pour réussir la mutation démocratique. N’oublions pas que le printemps démocratique algérien a duré deux ans. Le gouvernement réformateur de l’ancien Premier ministre Mouloud Hamrouche avait été torpillé par la mafia politico-financière algérienne de l’époque, la liberté vampirisée par les islamistes et la démocratie noyée dans plus de 200.000 morts.
Se méfier de la conjuration des révolutionnaires de la 25ème heure
La Tunisie, qui n’a pas suivi l’Egypte dans la nécrose de l’arabisme et dans la névrose de l’islamisme, ne suivra pas l’Iraq dans la dégénérescence démocratique. Cette Tunisie, avec ses 10 millions d’habitants, a donné à l’Europe une leçon d’hospitalité et de tolérance, en accueillant, avec charité et endurance, presque 500.000 réfugiés libyens. Cette Tunisie a donné une leçon en humanisme à la députée Ump Chantal Brunel qui a déclaré, le 8 mars 2011, au cœur même de notre Assemblée nationale : «Il faut rassurer les Français sur toutes les migrations de populations qui viendraient de la Méditerranée. Après tout remettons-les dans les bateaux !». Cette Tunisie peut donner une leçon de démocratisation réussie à tout le monde arabe.
La Tunisie, qui était un dragon émergent comme Singapour mais vampirisé par une meute de loups qui sont les Trabelsi, saura résister aux vautours islamistes ou impérialistes. Ce pays, qui proposait aux Européens un tourisme médical et non pas pédophile, saura imposer au destin des peuples arabes la démocratie telle qu’elle est exercée en Europe.
La Tunisie qui a réussi la lutte contre l’illettrisme et l’intégrisme peut gagner le combat démocratique. Il ne faut surtout pas sacrifier la paix civile pour l’épuration politique. La réconciliation nationale est plus fondamentale que le tourisme. Il faut se méfier de la conjuration des révolutionnaires et des démocrates de la 25e heure.
J’étais choqué par la chasse à l’homme qui a été déclenchée en France début 2011 contre une femme enceinte condamnée parce qu’elle est la fille de l’ancien despote. Cela est incompatible avec le caractère pacifique du peuple tunisien et c’est indigne de notre France. La vélocité de la révolte tunisienne ne peut résister à la férocité de la réalité économique.
Le jasmin est une fleur fragile. La Tunisie doit consolider les piliers de la société civile qui seront les barrages contre l’islamisme et le despotisme : les avocats, les journalistes et les féministes avec la jeunesse comme socle. La Tunisie doit mépriser les ingérences étrangères et ne pas nous écouter lui dire ce qu’elle doit faire.
Du printemps berbéro-arabe, n’oublions pas la nouvelle devise de la démocratie, ce couplet de l’hymne tunisien écrit par le poète Al-Chebbi : «Quand le peuple veut la vie, alors le destin obéit».
* Extraits de l’ouvrage ‘‘Terrorisme & Sarkozy: doubles-discours & troubles jeux’’, écrit par un «Gaulliste camusien, ancien réfugié politique algérien, Tunisien du cœur», comme l’auteur se présente lui-même.
L’extrait est publié avec l’accord de l’auteur.