L’interdiction de manifester à l’avenue Habib, lieu qui a entrainé la chute du régime de Ben Ali, est une forme inconcevable de régression des libertés.
Par Leila Baccouche*
Dans un communiqué paru mercredi 28 mars, le ministère de l’Intérieur a fait savoir qu’à compter de cette date, il était désormais interdit de manifester, de se regrouper ou d’organiser des évènements sur toute l’avenue Habib Bourguiba.
Quel étrange communiqué dans cette nouvelle ère de liberté? Le ministre de l’Intérieur semble avoir rapidement oublié que la Tunisie a vécu une révolution et que le 14 janvier 2011 a vu le départ brusque de Ben ali, en grande partie suite aux dizaines de milliers de manifestants s’étant donné rendez-vous devant le ministère pour y crier le célèbre mot ‘‘Dégage !’’.
N’oublions pas que cette décision est survenue suite aux attaques faites aux artistes dimanche 25 mars et qu’à l’origine, le ministère avait délivré 2 autorisations pour un même lieu et un même horaire. Envahir l’Avenue pour y manifester sa joie après une victoire sportive ou politique sera désormais interdit. Défiler avec les drapeaux de notre chère patrie, le 20 mars, pour fêter l’indépendance, non plus. Que dire de toute forme d’expression artistique.
Sitôt cette décision annoncée, plusieurs personnalités, activistes, militants et artistes ont condamné cette forme de censure et atteinte aux libertés. Les voix de certains élus se sont également élevées appelant le ministre à revenir sur cette décision pour le moins indigne d’un gouvernement légitime d’après la révolution et l’époque de répression sous le régime de Ben Ali.
De leur côté, des acteurs de la société civile ont mis en ligne une pétition appelant à la levée de cette interdiction et au rétablissement du droit aux manifestations libres et responsables. Dans cette pétition, les signataires rappellent que la liberté d’expression est un droit constitutionnel fondamental et demandent au ministre de distinguer entre les manifestations à débordement, celles appelant à la haine raciale et au meurtre et celles pacifiques qui n’ont entraîné ni fermetures de commerces ou cafés. Bien au contraire, ces derniers ont bénéficié de l’affluence qui a dynamisé leur activité. Les manifestations pacifiques étant généralement organisées un samedi ou un jour férié et limitées dans le temps. La pétition émise par un collectif citoyen et associatif a été signée par plusieurs associations et citoyens de représentations différentes (artistes, journalistes, enseignants, étudiants, fonctionnaires, professions libérales).
La révolution du 14 janvier 2011 est celle de la liberté et de la dignité. L’interdiction de la plus célèbre des avenues de Tunisie, l’avenue Habib Bourguiba symbole de l’indépendance et lieu qui a entrainé la chute du régime de Ben ali, est une forme inconcevable de régression des libertés. L’avenue Habib Bourguiba demeurera le lieu qui rassemble et unit les Tunisiens à l’occasion des grands évènements et fêtes: fête de la musique, Journée du théâtre, fête de l’indépendance, de la révolution… Elle appartient au peuple.
L’écho de toutes ces condamnations, parviendra-t-il aux oreilles du ministre? Saura-t-il saisir la perche tendue par la société civile? D’autant plus que sur le réseau social Facebook, les internautes décidés à recouvrer leur droit d’expression, ont décidé de braver cette interdiction et de célébrer pacifiquement la fête des Martyrs le 9 Avril prochain sur l’avenue Bourguiba.
Cette journée à laquelle vont se joindre de nombreux citoyens venus des régions, sera l’occasion de rappeler les objectifs de la révolution et de dénoncer la lenteur des réformes pour le développement régional et la résorption du chômage.
* Universitaire.