Au lendemain de la commémoration de la fête des martyres et de la violente répression de la manifestation organisée à cette occasion, Reporters sans frontières adresse une lettre aux autorités tunisiennes pour leur faire part de son indignation.

Le 10 avril 2012, Tunis,

Présente en Tunisie depuis octobre 2011, Reporters sans frontières, organisation de défense de la liberté d’informer, a assisté avec stupeur à la violente répression des forces de l’ordre dans le cœur de la capitale, le 9 avril 2012, contre un rassemblement organisé à l’occasion de la commémoration de la fête des martyres. Lors de cette journée noire, l’organisation a recensé les agressions de 16 journalistes dont deux étrangers. Reporters sans frontières n’avait pas observé de violences d’une telle ampleur depuis la chute de Zine El Abidine Ben Ali, le 14 janvier 2011.

Depuis le 28 mars, les manifestations ont été interdites sur l’avenue Bourguiba, haut lieu de la contestation et symbole de la Révolution tunisienne. Ignorant cette interdiction, des centaines de personnes ont répondu à l’appel à manifester de plusieurs associations de la société civile. Les forces de police déployées dans le centre-ville de Tunis s’en sont délibérément prises aux manifestants et aux journalistes présents sur le terrain pour couvrir l’événement. Les policiers ont redoublé d’efforts pour empêcher les personnes présentes sur les lieux de témoigner des exactions commises en prenant des photos ou en filmant. Les forces de l’ordre ont ainsi cassé le matériel des journalistes, confisqué les cartes mémoire ou effacé leurs clichés, frappé et arrêtés arbitrairement des professionnels de l’information et des journalistes citoyens.

L’usage de bombes lacrymogènes, les démonstrations de force des policiers en civil, la traque des manifestants en fuite et les multiples exactions rappellent une fois encore que la violence policière n’est pas endiguée et que les vieux réflexes acquis par les forces de l’ordre au temps de Zine El Abidine Ben Ali refont surface, dans un climat d’impunité totale.

Reporters sans frontières demande la création immédiate d’une commission d’enquête indépendante afin de faire la lumière sur les incidents, d’établir si les policiers ont reçu carte blanche pour faire usage d’une telle violence, et adopter des sanctions punissant les actes délictueux commis par les forces de police.

Lors des précédentes agressions, les résultats des enquêtes internes promises, à diverses reprises, par les nouvelles autorités n’ont jamais été rendues publics et d’aucuns en viennent désormais à s’interroger sur la sincérité des autorités à vouloir régler le problème des violences policières.

Face à cette situation inquiétante, Reporters sans frontières met en garde les autorités contre les risques éventuels d’un énième effet d’annonce, sans réelle volonté de changement. L’organisation rappelle que les violences observées le 9 avril n’ont pas leur place dans un Etat démocratique et que, sans une reprise en main rapide, la Tunisie pourrait se retrouver prise dans une escalade de la violence.

Pour écarter un tel scénario, les dirigeants politiques doivent réaffirmer leur engagement pour les libertés fondamentales.

L’enjeu est de taille car les exactions qui ont été recensées le 9 avril soulèvent de nombreuses questions, notamment l’objectif poursuivi par cette répression systématique. Reporters sans frontières appelle le ministère de l’intérieur, dont certains membres sont responsables des violations commises, à prendre des mesures urgentes pour que de telles agressions ne se reproduisent plus. Des poursuites doivent être engagées notamment sur le fondement de l’article 14 de la nouvelle loi sur la presse qui réprime le fait d’«humilier un journaliste ou de lui porter atteinte verbalement, par des gestes, par des agissements ou par des menaces». Des programmes d’information à l’intention des forces de l’ordre au travail des journalistes, à leurs droits, et, au-delà, doivent être mis en place, tout
comme une réforme profonde de l’appareil sécuritaire.

L’organisation appelle également l’ensemble des autorités à envoyer un signal fort à tous ceux qui bafouent la liberté d’expression et la liberté des journalistes à pouvoir informer en toute indépendance.

Restant à votre disposition pour tout complément d’informations, nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président de la République, nos plus sincères
salutations démocratiques.

La lettre a été adressée à :

- Moncef Marzouki, Président de la République;
- Hamadi Jebali, Premier ministre;
- Ali Lârayedh, Ministre de l’intérieur;
- Mustapha Ben Jaâfar, Président de l’Assemblée constituante;
- Membres élus de l’Assemblée constituante.