Pour un syndicalisme participatif et responsable où les intérêts personnels ou partisans, les rancœurs du passé, les idéologies et les dogmes doivent être laissés de côté pour bâtir une Tunisie nouvelle.
Par Slim Zeghal*
Imaginez une entreprise où le syndicat lance une première grève, qui est suivie à moins de 20% comme pourra l’attester l’inspection du travail. Ne tirant aucune conclusion quant à la réelle volonté des travailleurs (de travailler et non de faire grève!), et contre leur intérêt général, ce même syndicat lance une deuxième et une troisième grève. Même effet, pas beaucoup de succès, aucune perturbation de la production et une ambiance sociale dégradée avec les grévistes provocant et insultant les non-grévistes.
Allant vers plus d’escalade, ce même syndicat provoque alors une grève sectorielle «de solidarité», chose condamnée par la loi… Résultat: notre entreprise continue de travailler et ses concurrents sont à l’arrêt!
Voyant qu’il n’arrive à aucun résultat quand la loi est respectée, ce syndicat en revient aux méthodes illégales et violentes qu’il a déjà employées par le passé : empêchement de la liberté de travail et entrave à la circulation. Il bloque tout accès à l’entreprise et ne laisse plus les employés, la majorité des employés, qui souhaitent travailler, rentrer dans l’enceinte de l’entreprise.
Non content d’avoir fait ceci une première fois, le voilà qui récidive encore, avec les mêmes méthodes violentes, allant jusqu’à bloquer la circulation sur la voie publique la route nationale GP1, en toute impunité.
La violence comme méthode de négociation
Ceci n’est pas une fiction. C’est ce qui s’est passé du 12 au 17 mars 2012 en Tunisie et qui se passe de nouveau à dater du 12 avril, après notre révolution qui est censée avoir restauré l’Etat de droit après qu’il ait été bafoué par Ben Ali et son clan. Le syndicat en question est l’Ugtt de Sfax et l’entreprise concernée est Cogitel, sise à Sfax.
Si on en revient aux causes du conflit, on va trouver que ces grèves répétées depuis le début de l’année avaient pour quasi unique demande le retour au travail de 8 personnes licenciées par l’entreprise en 2011.
Certaines se sont rendues coupables de coups et blessures graves sur leurs confrères. Il y a eu à déplorer traumatisme crânien et tympan percé. Leur licenciement est vu par l’Ugtt Sfax, comme affirmé par son secrétaire général, dans une diatribe sur une radio privée en octobre dernier, comme une entrave à l’action syndicale. L’animateur lui a demandé, non sans humour, si la violence faisait partie de l’action syndicale…
Et sinon, si le licenciement de ces personnes était abusif, pourquoi est-ce qu’elles n’ont pas recours à la justice? Pourquoi est-ce qu’elles recherchent la violence plutôt que la voie légale qui leur garantirait leurs droits? Ou alors, peut-être qu’elles doutent qu’elles aient ces droits et que la décision de l’Entreprise était fondée?
Les méthodes de l’Ugtt Sfax sont restées celles de l’ère Ben Ali où le respect de la loi est secondaire. On est dans le rapport de forces et on est dans l’intimidation. Déjà, le 31 octobre dernier, dans le cadre de ce même conflit, l’Ugtt Sfax a fait appel à des bandits et ce que les gens appellent communément des milices, pour empêcher la liberté du travail et pour agresser ceux qui auraient eu la moindre velléité de contrecarrer leurs plans. Des «cadres» de l’Ugtt régionale de Sfax étaient sur place, comme en attestent photos, vidéos et PVs d’huissiers notaires.
Est-ce que cet «encadrement» ne devrait pas être justement d’éviter des débordements contraires à la loi? Alors, que dire quand ces personnes empêchent elles-mêmes les gens d’aller travailler et les agressent verbalement? On n’est plus dans l’encadrement responsable, on est dans l’incitation à la violence et dans des actions pénalement condamnées par la loi. Alors, où est la justice?
Nous demandons clairement aux autorités nationales et régionales de faire appliquer la loi, rien que la loi: liberté du travail, liberté de la circulation, prévention des agressions sur la voie publique, protection de la propriété privée…
Par ailleurs, nous demandons à l’Ugtt nationale de clarifier sa position par rapport à de tels débordements. Nous ne pouvons croire qu’une centrale syndicale, à l’historique aussi riche, au nationalisme affirmé, laisse ainsi bafouer la loi, et détruire l’économie de notre pays.
Ce cas n’est bien évidemment et malheureusement pas unique, et n’augure de rien de bon pour notre pays et notre économie. Ces exactions nombreuses fragilisent notre tissu industriel, nos banques et portent un coup mortel à notre crédibilité sur la scène internationale, aussi bien en tant qu’exportateur qu’en tant que récipiendaire d’investissements étrangers.
Je demande à ce que les autorités ou des journalistes d’investigation, fassent le bilan aussi bien en chiffre d’affaires immédiat qui a été perdu, qu’en réputation et en pertes durables avec nos partenaires étrangers. Je leur demande de faire le décompte de tous les emplois qui n’ont pas été créés, par faute de stabilité sociale et tous ceux qui ont été détruits pour les mêmes raisons.
Appel à un débat public sur la TV nationale
Mais où sont les médias, ce quatrième pouvoir censé nous éviter de replonger sous une dictature, quelle qu’elle soit! Je lance un appel à la TV Nationale pour dire que je suis prêt à affronter sur un plateau TV le responsable Ugtt Sfax qui voudra bien venir nous expliquer ce qui justifie ces comportements, un affrontement verbal bien évidemment, sans barres de fer ou gourdins car je ne sais pas manier ces armes, contrairement à ce que j’ai pu voir à l’encontre de nos employés. Je le fais au titre de l’intérêt national car il est temps que la Tunisie se remette au travail et réussisse sa transition démocratique. Les challenges sont suffisamment grands sans qu’on ait besoin d’en rajouter.
J’aimerais simplement finir par affirmer que je suis pour un syndicalisme participatif et responsable. Les intérêts personnels ou partisans, les rancœurs du passé, les idéologies et les dogmes doivent être laissés de côté pour bâtir une Tunisie nouvelle. J’aimerais ne plus voir un syndicat régional obnubilé par l’idée de la confrontation, et par une logique binaire qui veut que s’il n’a pas «gagné», il aura perdu, et que le débat se situe pour lui non pas dans l’analyse objective de la situation, mais dans une logique où il ne doit en aucun cas lâcher prise, même pour défendre l’indéfendable !
* Directeur général d’Altea Packaging.