Ali Lârayedh, certainement différent de tous les ministres de l’Intérieur que la Tunisie a connus, est un modèle évolué du «dictateur éclairé». Droit dans ses bottes, il est fermement convaincu d’avoir bien fait.

Par Hatem Mliki*


Des débats tourmentés ont accompagné les événements du 9 avril et plus particulièrement l’intervention musclée des forces de l’ordre accompagnée par la présence douteuses de probables «milices nahdhaouis» attestée par des témoignages, photos et vidéos partagés instantanément sur les réseaux sociaux et longuement commentés.

Au-delà des forces de l’ordre, c’est la personne de Ali Larayedh, ministre de l’Intérieur et des Collectivités locales, qui a été mise en cause par les opposants du gouvernement de la troïka.

Mais si on met de côté les positions extrémistes et politiciennes de plusieurs intervenants des deux parties, malheureusement celle du président de la république en fait curieusement partie (!), on se rend compte de la complexité du processus démocratique auxquels aspirent tous les Tunisiens.

Ali Lârayedh ne regrette rien, et assume tout...

Le ministre et les dérives de ses collaborateurs

A ce propos, j’espère apporter ici quelques éclaircissements qui pourraient servir de repères pour aider à comprendre les événements à venir (dieu seul sait qu’ils seront nombreux).

Nul ne peut douter de la crédibilité, de la sincérité et de la grandeur de M. Lârayedh sauf qu’il faut avouer qu’il lui est arrivé, arrive et arrivera de se tromper. L’actuel ministre de l’Intérieur a certainement réussi à décevoir tous ceux qui ont misé sur son incapacité à gérer les forces de l’ordre, celles-là même qui l’ont torturé et humilié. Néanmoins il a, apparemment, oublié que sa réussite personnelle est beaucoup moins partagée par ses officiers et agents, toujours en phase de transition.

Lors du débat télévisé traitant des événements du 9 avril sur la chaîne publiée Wataniya 1, M. Lârayedh n’a cessé de parler de lui-même oubliant que même s’il était à la tête des opérations depuis son bureau, ce sont les officiers de son département qui étaient en confrontation directe avec les manifestants. Il a fallu beaucoup de temps, lors du débat, pour que monsieur Lârayedh accepte la possibilité de dérives de la part de ses collaborateurs.

Pire encore, il a donné l’impression, surtout au début de son intervention, qu’il détient les résultats d’une «enquête» qu’il n’a pas encore mise en route. Il est clair qu’il parlait de lui-même et non des événements dans leur complexité.

Un ministre tendu, confus et à la défensive

Contrairement à ses multiples apparitions télévisées, le ministre de l’Intérieur est apparu, pour la première fois, ému, tendu, confus et à la défensive. Profondément et fermement convaincu qu’il a fait son devoir comme il se doit (phrase qu’il n’a cessé de répéter), le ministre, résumant la totalité des événements en sa personne, ne voulait, visiblement pas, admettre quoi que ce soit et a fini par défendre à la fois sa personne, son mouvement (accusé de tendances totalitaires), les officiers et policiers du ministère (toujours en quête d’indépendance et de neutralité), la présence des milices nahdhaouis (apparemment c’est l’élément qui a le plus gêné le ministre) ainsi que l’idée d’une violation des lois par les manifestants qu’il opposait au droit d’expression que ces derniers réclamaient. Bref, il a fini par défendre tout sauf la raison; ce qui explique pourquoi il était beaucoup plus dans l’émotionnel que dans le rationnel.

Une troisième caractéristique du mode de pensée de monsieur le ministre me parait particulièrement importante: un raisonnement statique et non dynamique.

Dans une démocratie, les manifestations conduites par les sympathisants d’un régime sont plutôt sympathiques voire folkloriques! Du moment qu’elles sont organisées en guise de soutien et non pas à titre de contestation. Il est aussi important de souligner qu’elles sont organisées en vue d’appuyer le statu quo et non pour le changer.

Cependant, les manifestations à risque sont le fait des opposants au régime réclamant leur droit d’expression d’une part et voulant changer les faits de l’autre.

La manifestation du 9 avril fait clairement partie de cette catégorie. Les manifestants venus officiellement célébrer les événements du 9 avril 1938 se sont également mobilisés pour s’opposer à l’interdiction de manifestation sur l’avenue Habib Bourguiba décrétée par le ministre.

 

Le ministre de l'Intérieur s'explique devant la Constituante, mais ne lâche rien.

Un dictateur éclairé

L’intervention du département de M. Lârayedh montre qu’il n’était pas du tout opposé au droit d’expression des manifestants. Cependant il était radicalement opposé à leur tentative de changer les faits.

J’avoue que j’aborde là un phénomène très complexe où les limites de la liberté d’expression et de l’anarchie s’entremêlent. Mais loin de ce débat, je m’intéresse uniquement à la logique du ministre selon laquelle il est de son droit, voire devoir, d’autoriser la répression d’une tentative de transgresser une règle instaurée même si elle est objet de contestation.

En somme, nous-nous trouvons en face d’une personnalité dont les caractéristiques correspondent beaucoup au modèle présenté, depuis des décennies, par Djamel Eddine Al Afghani: le Dictateur Eclairé.

Ce dernier est une personne correcte (comportement moralement irréprochable) qui détient une sagesse inébranlable nourrie par une très forte conviction du «bien» et du «devoir» qu’il représente et, par voie de conséquence, fidèle au statu quo.

J’avoue que M. Lârayedh, certainement différent des anciens ministres de l’Intérieur que la Tunisie a connus, est un modèle évolué du dictateur éclairé sans pour autant être un démocrate éclairé. Ali Larayedh réussira-t-il à faire ce chemin. Affaire à suivre!

* - Consultant en développement.