Les internautes tunisiens, qui ont joué un rôle dans la chute de l’ex-dictateur Ben Ali, pourtant protégé par les services secrets des Etats-Unis, doivent rester unis et ne jamais perdre de vue les objectifs de la révolution.
Par Kilani Bennasr*
Le travail des internautes tunisiens de la révolution est louable et courageux, mais devrait-il se contenter de sa petite dimension? Car, comparé à celui des acteurs de la communication stratégique américaine, il deviendrait insignifiant.
Ceci rappelle le mythe de David et Goliath que l’on évoque pour qualifier un combat entre deux adversaires de forces inégales, quoique dans cette confrontation disproportionnée et symbolique, le dernier mot revient au faible David, doté que de sa fronde mais armé d’une volonté de vaincre, alors que Goliath est surarmé.
Les cyber-attacks software, réservés à la Tunisie
Depuis la fin 2011, les Américains ne quittent pas des yeux la Tunisie une seule minute; ils ont du mal, jusqu’à aujourd’hui, à canaliser sa révolution, atypique, et à calmer son peuple; ils ne lâcheraient prise qu’en cas d’abandon du peuple, ce qui n’est pas dans ses habitudes.
C’est le hasard qui fait bien les choses pour la Tunisie, en la privant d’hydrocarbures; c’est ainsi qu’elle n’est pas convoitée par les grandes puissances. Si les Etats-Unis et leurs alliés s’imposent par la force militaire et les cyber-attacks «hard» en Libye et en Irak et mettent la main sur leurs richesses économiques, ils ne réservent que les cyber-attacks «soft» pour la Tunisie. Celle-ci ne serait intéressante pour eux que pour servir, si besoin est, de zone de sûreté opérationnelle ou pour offrir des facilités portuaires aéronavales en vue d’écourter les missions logistiques outre-mer.
A l’intérieur de la Tunisie, Facebook, ce réseau social faramineux, s’avère efficace pour renverser Ben Ali; de l’extérieur, le cyber-escadron de la Cia, qui surveillait de près la situation en Tunisie, hacke les sites officiels tunisiens et ceux de la communauté de blogueurs et internautes de la révolution.
Les Américains, rappelons-le, sont les inventeurs d’internet et seraient capables d’endommager la plupart des réseaux informatiques sur terre. Dans la conduite de leur manœuvre contre la révolution tunisienne, ils optent pour le mode d’action des «Grey hat», qui consiste à pénétrer à la fois en souplesse dans les réseaux afin de les réorienter vers des objectifs de leur choix et éventuellement en force en pénétrant par effraction. De l’autre côté, les blogueurs tunisiens de la révolution travaillent d’arrache-pied pour ne laisser aucun espoir à Ben Ali de reprendre la situation en main.
Des sources dignes de foi dévoilent et commentent l’implication des acteurs de la communication stratégique américaine dans la révolution tunisienne, étape par étape. Selon ces mêmes sources, le phénomène insurrectionnel n’est pas fini et qu’à tout moment la révolution, tant redoutée par les Occidentaux, pourrait refaire surface et continuerait de les surprendre…
Après le refus du commandement tunisien de l’armée d’obtempérer et de tirer sur la foule, le Conseil de sécurité nationale américain et son fer de lance, la Cia, s’accordent à considérer que le moment est venu de lâcher le dictateur usé, celui qui leur aurait remis le fichier entier des onze millions de Tunisiens et d’organiser sa succession, avant que l’insurrection ne se transforme en authentique révolution, à la bolchévique.
Dès le départ précipité de Ben Ali, ses amis d’hier, à Washington, Tel-Aviv, Paris et Rome, lui refusent l’asile; il atterrit finalement à Riad, simultanément les services de communication stratégique décide de mobiliser des médias, en Tunisie et dans le monde, pour circonscrire l’insurrection.
Le groupe Ananymous, composé de hacktivistes et spécialisé dans les attaques informatiques, charge les sites tunisiens. On focalisera l’attention des Tunisiens sur les questions sociales, la corruption de la famille Trabelsi, et la censure de la presse. Tout est permis pourvu qu’on ne débatte pas des raisons qui ont conduit Washington à installer le dictateur, 23 ans plus tôt, et à le protéger tandis qu’il pillait l’économie nationale tunisienne.
Campagne américaine de diversion et de désinformation
La technique des prétendues «révolutions» colorées, élaborée par l’Albert Einstein Institution de Gene Sharp, spécialisée dans les méthodes de résistance non violente dans les conflits, est systématiquement mise en œuvre; on baptise la révolte du peuple tunisien, à son insu, «Jasmine Revolution» en anglais, on braque l’attention sur le dictateur pour éviter tout débat sur l’avenir politique du pays. C’est le mot d’ordre «Ben Ali dégage!»; même les slogans des manifestations seraient imposés.
L’expression «Jasmine Revolution» laisse un goût amer aux Tunisiens les plus âgés, qui décident de ne plus se taire: c’est celle que la Cia avait déjà utilisée pour communiquer lors du coup d’Etat de 1987 qui plaça Ben Ali au pouvoir. Après le 14 Janvier, tous les Tunisiens se rappellent que le peuple, éclairé par les blogueurs de la révolution, continue de braver tous les symboles et références du régime en descendant dans les rues pour manifester jusqu’au départ du gouvernement du Premier ministre Mohamed Gannouchi. Cette situation, selon les mêmes sources, se gérait au début dans l’ambassade américaine à Tunis, devenu le siège du gouvernement; un bon nombre de ministres, anciens amis des Etats-Unis se trouvaient dans la formation dudit gouvernement.
Les Tunisiens, que l’on croit manipulables et apolitiques, s’avèrent fort matures et rejettent ce gouvernement tandis que l’Union générale tunisienne du travail (Ugtt) refuse d’être menée par les Américains et ses représentants démissionnent des quelques postes qu’on leur a attribués.
D’autres documents sont unanimes sur le rôle prépondérant des Etats-Unis d’Amérique pour faciliter à Ennahdha son retour en force et l’imposer comme la première force politique post-révolution. Même après l’investiture du gouvernement provisoire, les Américains, malgré leurs scénarios préétablis destinés à contrer tous changements de situations, considèrent que le peuple tunisien est toujours imprévisible.
L’effort à consentir par les blogueurs et internautes tunisiens
Sans aucune intention de ternir l’image des internautes et blogueurs tunisiens dont un jeune a été tué par les tortionnaires de Ben Ali, il est temps que ces derniers changent de tactique car ceux du métier le savent très bien. Ils auraient dû éviter de se quereller à l’intérieur même du palais de Carthage à l’occasion de la journée nationale de l’internet, décrétée par le président de la république Moncef Marzouki. Ce n’était certes pas dramatique, mais il ne fallait pas se croire en compétition avec ses camarades.
Le changement tactique souhaité devrait d’abord se focaliser dans la distinction entre les faits avérés et l’intox, ensuite dans l’adaptation continue aux nouvelles situations pour choisir les cibles en fonction des priorités et décider de l’action appropriée et de l’intensité qu’elle requiert. La finalité c’est de ne pas perdre de vue les objectifs de la révolution.
En effet, dans la réalité, rares sont les sites tunisiens qui sont libres de tout engagement, non parrainés par des partis politiques et Ong tunisiens ou étrangers et qui font un travail complet. Il est possible que le travail engagé, discret d’individus et des petites équipes a été le plus efficace dans la discréditation et la chute de Ben Ali. C’est pour cette raison que tous ces individus honnêtes, intelligents et ne croyant qu’à l’intérêt suprême du pays devraient continuer sur cette voie et essayer d’unir leur effort et de le coordonner. Ils devraient se méfier des ambassades et Ong étrangers cherchant à les courtiser dans le but de tester leurs envies, leurs besoins ou de les enrôler.
Il n’est pas exclu que les ministères de souveraineté et les agences spécialisées tunisiennes continuent de travailler efficacement dans le seul intérêt de la Tunisie, ils se mobilisent pour extraire de la toile toute mauvaise graine, ou la signaler au haut responsable.
Il ne s’agit pas, pour les internautes tunisiens, de trouver des alternatives à Facebook comme Orkut, Friendfeed, Twitter ou Diaspora Project, etc., mais de continuer de travailler avec les moyens du bord de manière calme, organisée et d’optimiser l’emploi de Facebook en fonction des objectifs. L’objectif principal serait de réunir tous les facteurs de réussite à cette révolution tunisienne et prévenir tout dérapage. Les blogueurs tunisiens, même dépourvus des gros moyens américains, sauront, par l’engagement et l’intelligence, comment déjouer les cyber-attacks software américaines et reprendre le fil de la communication non-violente.
* Colonel retraité.