Lors d’un récent passage sur Hannibal TV, le super conseiller du chef du gouvernement Lotfi Zitoun a expliqué avec outrecuidance qu’Ennahdha gagnera les prochaines élections. Rien n’est moins sûr. Et pour causes…

Par Dhafer Charrad*


Une lecture simple des résultats des élections du 23 octobre permet de dégager qu’Ennahdha a récolté environ 1.500.000 voix ce qui représente 17,20% des Tunisiens, car les 4 millions d’inscrits sur les listes électorales qui n’ont pas voté restent des Tunisiens.

Ce résultat a permis, grâce au mode de choix des élus convenu, d’être très fortement majoritaire à la constituante et d’être au pouvoir, mais ceci ne changera rien aux chiffres.

Des fanfaronnades injustifiées

En effet l’histoire retiendra que seulement 17,20% des Tunisiens ont voté pour Ennahdha et que, par conséquent, 82,80% n’ont pas voté pour lui. Et que beaucoup parmi eux, si une nouvelle occasion se présenterait, pourrait voter contre le parti islamiste.

Ce taux devait inciter les dirigeants d’Ennahdha à un maximum d’humilité et de modestie mais nous assistons depuis la déclaration des résultats à des fanfaronnades sans fins, incarnées par l’ensemble de ses dirigeants avec à leur tête le super conseiller du chef du gouvernement qui, lors d’un récent passage sur Hannibal TV, a expliqué avec outrecuidance qu’Ennahdha gagnera à coup sûr les prochaines élections.

En réalité, d’ici les prochaines élections, qui doivent être propres pour la stabilité du pays, plusieurs facteurs joueront contre Ennahdha, et que ce parti devra prendre en considération dans ses analyses.

1- Crainte pour les libertés: Ennahdha est le seul parti sur la scène politique, dont une éventuelle victoire lors des prochaines élections pourrait influer sur les libertés et sur la vie de tous les jours des Tunisiens. Et ça une majorité en est consciente et ne l’accepterait jamais.

2- Laisser-aller vis-à-vis des salafistes: Le refus et/ou l’incapacité évidents du gouvernement à faire face aux excès des salafistes (les jeunes et les enfants d’Ennahdha comme le matraque à chaque occasion Lotfi Zitoun) qui, avec leur extrémisme et leurs manifestations généralement trop véhémentes et souvent violentes, représentent des personnes qui font réellement peur aux communs des Tunisiens de nature paisible.

3- Inexpérience et privilèges des dirigeants: La volonté des dirigeants d’Ennahdha de profiter trop vite de leur première mais provisoire et petite victoire, pour récompenser leurs militants majoritairement inexpérimentés et ayant vécu trop longtemps loin du pays, en leur confiant des postes ministériels, alors que la situation et les urgences du pays nécessitaient des gens expérimentés capables d’agir immédiatement sans période de rodage et d’apprentissage et sans perte de temps.

Par ailleurs, la volonté nahdhaouie de tout exécrer et balayer du passé récent de Zaba à une seule exception: le train de vie, les avantages matériels et en nature des membres du gouvernement, n’est pas vue d’un bon œil par les Tunisiens, riches, moyens et surtout pauvres, qui pensent légitimement à un nouveau partage des richesses du pays.

L’auteur du baisemain, l’autre jour au marché de gros de Bir ElKassâ, a tout résumé en déclarant innocemment que le rêve de sa vie était une (et uniquement une seule) mensualité du président provisoire.

4- Inertie apparente ou réelle: l’inexpérience entraine automatiquement une peur d’agir à défaut d’avoir une vision claire des problèmes et des solutions adéquates.

Cette inertie gouvernementale qui dure depuis de longs mois et qui est prouvée par la quasi absence de décisions et d’actions concrètes pour dynamiser le pays et son économie, explique et entraine la persistance et l’aggravation des problèmes du pays, à savoir le chômage, les troubles sociaux, les sit in, les grèves, la délinquance, l’insécurité, etc.

5- Hausse des prix des prix et manque d’autorité de l’Etat: les rares décisions annoncées pour maitriser et bloquer la hausse vertigineuse des prix des produits de base comme la baisse générale de prix dans les grandes surfaces, baisse de prix de la viande, des œufs, légumes, etc., n’ont pas été respectées et suivies d’effets palpables et ceci est très grave car ça donne l’impression que l’autorité de l’état n’est plus sacrée.

A cela, il faudra prévoir et faire attention à la réaction des Tunisiens face aux prochaines hausses des prix annoncées et il faut toujours garder à l’esprit les motivations des émeutes du pain de janvier 1984.

6- Le temps d’un mandat forcément limité: le temps que le gouvernement provisoire veut et croit gagner, dieu seul sait pourquoi, en prolongeant à une date toujours inconnue son mandat actuel, est tout bénéfice pour l’opposition et  joue en réalité en sa faveur. Les partis de l’opposition, qui auront tout leur temps pour s’organiser et se restructurer en vue des prochaines vraies élections, alors que, dans le même temps, la cote de popularité d’Ennahdha – actuels et seuls responsables aux yeux des Tunisiens de la situation précaire du pays – ne peut que baisser.

7- Les faux-fuyants: les Tunisiens ne sont pas dupes et essayer de détourner leur attention de leur vrais problèmes (sécurité, liberté, emploi et pouvoir d’achat) en les occupant avec les complots fictifs, le port du niqab dans les facultés, le nettoyage des médias, le procès Nessma, les vrais faux blessés de la révolution, le sort à réserver sans procès et sans accusations claires aux Destouriens, etc.

Ces faux fuyants peuvent tout au plus faire gagner un peu de temps, mais ne doivent nullement être une règle de conduite des affaires du pays.

Un nouveau jeu de devinette est actuellement en vogue où il s’agit de deviner quel est le prochain sujet polémique que va lancer, l’un ou l’autre des dirigeants de la majorité ou du gouvernement et c’est le signe qu’il faut cesser cette tactique stérile et contre-productive qui a fait son temps et qui devient ridicule.

* Diplômé en sciences économiques et planification.

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