Il est plus que temps de regarder l’Afrique subsaharienne comme une réelle opportunité de partenariat et de création mutuelle de richesse et non pas comme une menace pour la Tunisie.
Par Noureddine Bedoui*
«Un emploi sur 6 créés en Afrique du Sud est généré par les touristes… Prenez-en soin !». Tel était, en gros, le slogan des principaux panneaux publicitaires de l’Aéroport de Johannesburg, lors d’un 1er voyage en Afrique du Sud à la fin des années 90.
J’avais trouvé ce slogan tellement percutant que je m’en souviendrais toujours.
Tunisien de nationalité et résident depuis plus de 25 ans au Gabon, j’étais souvent amené à voyager à travers certains pays touristiques dont le dernier, en Afrique, remonte à quelques semaines, à savoir le Kenya.
Malgré un contexte politique et sécuritaire assez lourd, du fait des risques d’attentats, alors que je ne disposais pas de visa d’entrée au Kenya, un visa touristique m’a été délivré par la police des frontières à l’Aéroport de Nairobi, je n’exagère pas quand je dis en moins de 5 minutes.
Ces exemples et tant d’autres sont de nature à illustrer la cohérence de la volonté politique et des moyens que se donnent les pays qui cherchent à soutenir le développement de leur tourisme.
La mésaventure de l’ami gabonais
Or, pour entrer en Tunisie, pays touristique par excellence, et exceptés quelques exceptions, les Africains subsahariens ont besoin d’un visa d’entrée que leur délivrent nos représentations diplomatiques (quand il y en a !), et ce après accord préalable obtenu auprès du ministère de l’Intérieur.
Procédure assez longue et laborieuse et dont l’issue n’est pas toujours positive. A en juger par la mésaventure d’un ami gabonais ayant demandé récemment un visa d’entrée en Tunisie pour des vacances de santé de 2 semaines qui lui a été refusé, on ne sait pour quelle raison.
L’ami Gabonais a fait sa demande de visa conformément à la procédure instituée par l’ambassade de Tunisie au Cameroun. Son voyage étant de tourisme de santé, il a présenté, au consulat honoraire de la Tunisie au Gabon qui l’avait transmis à notre ambassade au Cameroun, sa demande de visa dûment remplie accompagnée des photos d’identité et de sa réservation d’hôtel ainsi que les 3 premières pages de son passeport.
Sa déception fut grande d’apprendre par une note émanant de notre ambassade au Cameroun qu’une suite défavorable a été réservée à sa demande par le ministère de l’Intérieur. Digne comme il est, il a accepté la décision et la souveraineté de l’autorité qui l’avait prise. Cependant, en homme d’honneur, et vu notre amitié, il n’a pas pu s’empêcher de me faire part de cette situation.
Ce monsieur, de par ses fonctions de directeur d’une banque étrangère au Gabon (et présente en Tunisie), a eu à se rendre en Tunisie que ce soit dans le cadre de réunions régionales de ladite banque organisées en Tunisie ou pour celles de la Banque africaine de développement (Bad) d’une part, et par les valeurs intellectuelles et morales qu’il partage avec d’autres Africains au nord du Sahara, il est devenu, comme beaucoup d’ailleurs, un ami de la Tunisie et son peuple.
La dernière fois en date, et grâce à mon modeste concours pour le visa auprès de l’ambassade, il a pris en charge le séjour et les frais d’hospitalisation de sa propre sœur auprès d’une clinique réputée à Tunis qui, en dehors des frais de voyage et séjour de sa femme accompagnant le malade, aurait coûté plus de 14.000€.
Quand le ministère de l’Intérieur détruit le tourisme
Le voyage qu’il envisageait faire dans le cadre de la dernière demande de visa faite dernièrement et sanctionnée par un rejet, fait suite à la réussite de l’opération signalée plus haut. Il était prévu d’accompagner une autre parente pour consultation et hospitalisation dans une structure hospitalière tunisienne. Voyage de santé qui aurait pu procurer à l’économie tunisienne par les temps qui courent au bas mot une dizaine de milliers d’euros.
Je signale au passage, que ce monsieur voyage régulièrement, à telle enseigne qu’il est obligé de renouveler son passeport presque touts les ans. Il est porteur de visa permanent et pluriannuel sur les Usa, l’espace Schengen, et d’autres. Pour les mêmes raisons de voyage de santé, il aurait pu partir en Afrique du Sud où les Gabonais n’ont pas besoin de visa pour s’y rendre et où son parent pourrait prétendre à une qualité de soin et d’accueil comparables à la Tunisie et peut-être au moindre coût.
On imagine les effets directs, indirects et induits d’une telle décision de rejet de demande de visa rien que d’une centaine de Gabonais voire d’un millier d’Africains qui auraient voulu voyager en Tunisie pour les mêmes raisons.
J’invite l’autorité qui a réservé la suite défavorable à prendre sa calculette pour calculer seulement l’effet direct que cela fait sur la seule structure hospitalière et le comparer ensuite à la modique somme de la dette tunisienne épongée récemment par un pays ami et annoncée avec grande pompe à la TV.
Alors que des pays prospectent et déploient des moyens considérables à la recherche de la valeur, génératrice de croissance et par ricochet de l’emploi, notre ministère de l’Intérieur, peut-être par manque d’expérience pour ne pas dire par incompétence, peut-être insciemment, contribue à la destruction de la valeur.
Aussi, et dans le cas où nos autorités ne le savent pas, je tiens à leur faire savoir que nos frères africains du sud du Sahara ne viennent pas en Tunisie pour piquer les emplois de nos jeunes, qui sont au demeurant des denrées rares par les temps qui courent, mais contribuent par leur pouvoir d’achat à stimuler l’activité de notre économie atone, donner du pouvoir d’achat aux Tunisiens, impacter l’activité hôtelière et touristique, procurer du boulot à nos médecins et nos cliniques, etc.
Faire face aux conséquences du retour de la Bad à Abidjan
Je voudrais rappeler par ailleurs que bon nombre d’Africains subsahariens se rendent en Tunisie pour rendre visite à leurs enfants étudiant en Tunisie (rien que des Gabonais, on dénombre environ 1.200) et d’autres pour visiter leurs parents dont beaucoup travaillent à la Bad.
Que nos autorités aient à l’esprit que suite à la fin de la crise ivoirienne, le Conseil d’administration de la Bad prendrait incessamment la décision du retour de l’établissement bancaire panafricain à son siège à Abidjan, en Côte d’Ivoire, et qu’elles se mettent à réfléchir dès maintenant à une alternative à la perspective de contraction de la consommation du fait de départ des fonctionnaires de la Bad, des revenus et du pouvoir d’achat des Tunisiens qui en dépendaient.
Enfin, j’interpelle encore une fois nos autorités, qu’au regard de nos potentialités, il est plus que temps de regarder l’Afrique subsaharienne comme une réelle opportunité de partenariat et de création mutuelle de richesse et non pas comme une menace.
* Administrateur directeur général de BS Gabon.
Articles liés :
La Tunisie peaufine son business plan pour la reconquête de l’Afrique
Les freins à l’exportation tunisienne vers l’Afrique
Ce que les Tunisiens pourraient apprendre de l’Afrique subsaharienne
Les freins à l’exportation tunisienne vers l’Afrique
La révolution tunisienne vue d’Afrique sub-saharienne