Mais enfin que veut Ennahdha? Des médias à la botte du gouvernement? Un retour à la TV mauve? Une télé au service d’un parti, en perspective des prochaines élections?
Par Abderrahman Jerraya
Il est de notoriété publique que la télé nationale à l’instar des autres institutions, a été délibérément mise au service du régime Zaba, se transformant en une caisse de résonnance, vantant et glorifiant le modèle politique et socioéconomique d’alors.
Le discours était si creux, si insipide, si répétitif qu’on se demandait comment des journalistes et présentateurs sensés avoir un certain niveau de formation universitaire et d’intelligence pouvaient se permettre de pratiquer en longueur de journées, de mois et d’années, la langue de bois, sans se remettre en cause, sans se soucier de la réaction de ceux à qui ils s’adressaient.
La télévision de la honte qui a fait sa mea culpa
Ce fut la télévision de la honte, du mensonge, du nivellement par le bas, de la déculturation et de l’abrutissement de la société. Ceux qui voulaient une information fiable, des émissions culturelles, des documentaires instructifs, une confrontation d’idées, tant pis s’ils restaient sur leur faim, ils n’avaient qu’à zapper ailleurs. D’autres cherchant à fuir l’ennui, l’oisiveté, le mal être, trouvaient sur certaines chaînes de quoi se bercer, en se laissant endoctriner, embobiner, manipuler par je ne sais quel discours idéologique.
Force est de constater cependant que cette même télé a pris la mesure du changement généré et induit par la Révolution en faisant sa mea culpa, en se mettant en avant pour défendre la liberté d’expression, la pluralité des idées, le droit à la différence. Il suffit pour s’en convaincre de se rappeler les multiples émissions auxquelles étaient conviés les acteurs politiques de tous bords, les experts de tous horizons, les représentants de la société civile les chefs de partis y compris ceux qui prônent un régime théocratique d’un autre âge. Bref tous ceux qui avaient un message à faire passer.
Le budget de la télévision nationale fera travailler des milliers de chômeurs, dit la banderole.
Finie l’ère de l’allégeance et de la désinformation
Finie l’ère de la langue de bois, de la pensée unique, de l’allégeance et de la désinformation. Place maintenant à la recherche de la fiabilité de l’information, aux débats contradictoires sur les plateaux de la TV, à la participation directe du citoyen à la chose publique à travers les nouvelles technologies de l’information. Tous ces efforts ont porté leurs fruits. Ils ont fini par conquérir le cœur des Tunisiens. Une émission comme celle du JT semble connaître un grand succès. En témoigne la large audience dont elle bénéficie (plus de 50% des personnes interrogées en sont satisfaites). Au passage, un clin d’œil à Ilyès Gharbi qui, dans son émission ‘‘Hadith Essâa’’, a apporté une fraîcheur, une petite révolution dans sa façon aussi originale que pédagogique d’interviewer ses invités appelés à commenter l’événement du jour. Tout cela dans une atmosphère décontractée et détendue. Bravo pour cette touche personnelle!
Pour autant, peut-on dire que notre télé est au top? Qu’elle n’a rien à se reprocher, qu’elle s’est débarrassée de toutes les scories qui l’ont discréditée des décennies durant? Certainement pas. Il lui reste beaucoup à faire, en termes de professionnalisme notamment. D’ailleurs, les professionnels du secteur en sont conscients. N’ont-ils pas cessé de réclamer haut et fort la nécessité d’une réforme en profondeur à même d’assainir le monde audiovisuel et lui assurer ses titres de noblesse? Alors pourquoi est-il pointé du doigt par certains responsables du parti Ennahdha?
Un des griefs formulés porte sur la manière dont sont présentées certaines activités du gouvernement ainsi que les manifestations de mécontentement populaire (grèves, sit-in protestataires, barrages sur les grandes voies d’accès…). Dans un cas pas assez et dans l’autre trop exagéré. Cela a été interprété comme l’expression d’une mauvaise volonté de la part de la télé qui, au lieu de chercher à aider, accompagner, faciliter l’action gouvernementale, ne faisait qu’amplifier les bourdes, les faux pas, les déclarations contradictoires et minorer en revanche les multiples tentatives visant à résoudre les problèmes complexes auxquels est confronté le pays (chômage, insécurité, précarité, détérioration du pouvoir d’achat…). Et leur réaction ne se faisait pas attendre. Rien de moins que de préconiser la privatisation de la télé, un service public auquel les Tunisiens sont désormais attachés. Ensuite se montrer compréhensifs, voire indulgents à l’égard d’un sit-in devant la maison de la radio et TV. Lequel a duré plus de cinquante jours rendant difficile le fonctionnement normal de l’institution.
Sit-inneurs devant la télévision en service commandé par… Ennahdha.
Ennahdha et le retour à une télé au service d’un parti
En outre, les revendications des sit-inneurs affichaient désormais des slogans portant sur la vente de la télé aux plus offrant faisant ainsi écho aux doléances de certains responsables d’Enhahdha. La correspondance des demandes des uns et des autres était troublante dans la mesure où elle ne devait pas être fortuite mais traduisait l’existence d’un lien organique, d’une complicité, d’une action concertée entre ce groupe extrémiste et Ennahdha. D’autant que ce sit-in n’a été levé que sur intervention directe d’un responsable de ce parti, Lotfi Zitoun, par ailleurs ministre conseiller du chef du gouvernement, après avoir dégénéré en échauffourées entre manifestants et fonctionnaires de l’institution.
Au vu de ce spectacle affligeant survenu après celui du 9 avril à l’avenue Habib Bourguiba, on est en droit de douter de la crédibilité des déclarations de ce parti selon lesquelles il est contre la violence d’où qu’elle vienne.
Mais enfin que veut-on? Des médias à la botte du gouvernement? Un retour à la TV mauve? Une télé au service d’un parti, en perspective des prochaines élections?
Autant de questions qui méritent une réponse claire, sans équivoque sous peine d’entretenir et conforter un manque de visibilité qui est de nature à discréditer davantage l’action de la «troïka», la coalition tripartite au pouvoir dominée par Ennahdha, auprès d’une bonne partie du peuple tunisien.
* Professeur universitaire retraité.
Articles du même auteur dans Kapitalis:
Les vrais comploteurs en Tunisie, ce sont les extrémistes
La Tunisie serait-elle amenée à choisir entre le choléra et la peste?