Faute d’une opposition crédible, solide et unie, la société civile constitue le seul contrepoids pour la mise en place d’une constitution répondant aux aspirations des Tunisiens et concrétisant les objectifs et les idéaux de la révolution.
Par Salah Oueslati*
Après avoir laissé les imams radicaux s’emparer de nombreux mosquées du pays, après avoir fait appel à des prédicateurs étrangers pour endoctriner nos jeunes, après avoir subventionné les mariages collectifs et les circoncisions gratuites, après avoir offerts le mouton de l’Aïd El-Kébir et distribué des cadeaux de tous genres, après avoir ouvert des permanences partout dans le pays, Ennahdha continue sa stratégie d’une charité bien intéressée.
Les aides octroyées par les pays du Golfe suite aux dernières inondations, qui ont durement frappé le nord-ouest du pays, sont stockées dans des entrepôts (denrées alimentaires non périssables, couvertures, etc.). Une partie de cette aide est distribuée au plus démunis non pas par les autorités locales, mais par les responsables locaux d’Ennahdha; l’autre partie de cette aide pourrait être distribuée à l’approche des prochaines échéances électorales.
Une politique clientéliste
Par ailleurs, Ennahdha continue de tisser sa toile pour s’emparer de tous les leviers du pouvoir, parfois de façon subtile, mais souvent flagrante. L’annonce de la création de dizaines de milliers d’emplois dans la fonction publique dans une période de crise et où les comptes de l’Etat sont exsangues, c’est la pire des folies. Cette décision est contraire à toute logique économique; elle va plomber l’économie pour les années à venir. En France lorsque le candidat François Hollande avait promis la création de 60.000 emplois publics sur 5 ans dans un pays de plus de 65 millions d’habitants, de nombreux économistes ont tiré la sonnette d’alarme, que dire d’un pays de près de 11 millions d’habitants et avec une économie beaucoup plus fragile.
C’est une politique clientéliste qui a pour objectif créer des obligés dans l’espoir que ceux-ci ne manqueront pas, le moment venu, de traduire leur reconnaissance par des bulletins de vote.
Les gros bras d’Ennahdha, organisés en véritable milice avec le soutien des salafistes, empêchent parfois les partis d’opposition d’organiser des meetings et de mener leurs activités de mobilisation en usant de l’intimidation, de l’agression verbale et physique. Des zones de non-droit sont créées pour réduire au silence toute voix discordante dans de nombreuses contrées du pays loin des caméras et de la presse.
Une véritable politique «d’épuration» est menée d’une façon méthodique pour placer les Nahdaouis aux postes stratégiques de gouverneurs, de délégués et dans la haute administration. Sans oublier les pratiques de copinage sans précédant et à tous les niveaux, des méthodes digne d’une république bananière.
Un pacte avec les Rcdistes: ralliement contre impunité
Des témoignages fiables révèlent que, dans les petites villes et villages du pays, toute personne demandant de l’aide sociale ou un travail auprès du délégué doit d’abord passer par le responsable local d’Ennahdha, une organisation qui cherche à mettre en place un système de parti-Etat qui n’a rien à envier à l’ex-Rcd.
Un pacte qui ne dit pas son nom est scellé entre les ex-Rcdistes et le gouvernement provisoire: ralliement contre impunité. Il faut dire que l’entreprise n’est pas difficile compte tenu l’opportunisme de nombreux ex-Rcdistes et de leur propension à tourner leur veste et à courber l’échine devant les détenteurs du pouvoir.
Le même deal est en train de se conclure avec certains hommes d’affaires qui sont en retard de déclarations fiscales ou qui sollicitent le pardon pour leur compromission avec l’ancien régime et pour les richesses indument accumulées pendant des années sur le dos des Tunisiens.
Il ne s’agit bien évidemment pas de faire un procès d’intention à l’encontre des Nahdaouis, mais au vu des éléments objectifs mentionnés plus haut et des pratiques constatées sur le terrain, ce parti semble prêt à tout pour se maintenir au pouvoir. Gagnés par l’ivresse du pouvoir, les membres d’Ennahdha sont en train de verrouiller toutes les institutions pour atteindre cet objectif.
Seul rempart: la constitution
L’adoption d’une constitution qui affirme de façon claire et sans équivoque le respect des libertés individuelles et publiques, de la liberté de la presse, de l’indépendance de la magistrature, de la séparation des pouvoirs, et bien d’autres principes tout aussi importants, est le seul rempart contre toute dérive autoritaire dans l’avenir.
Pour déjouer la vraie fausse promesse d’Ennahdha de ne pas introduire la chariâ dans la constitution, celle-ci devrait faire une référence explicite à la Déclaration universelle des droits de l’homme et affirmer que le premier article a un caractère descriptif et non prescriptif, comme il l’a toujours été jusque-là.
Plus important encore, une fois cette constitution adoptée, il faudrait mettre en place une procédure d’amendement exigeant une très large majorité, super qualifiée et, surtout, bannir toute idée de recours au referendum pour amender la constitution.
L’histoire nous montre qu’en période de crise, un gouvernement usant de la rhétorique populiste et se drapant de la légitimité populaire peut recourir à l’arme du referendum pour étouffer toutes les libertés au nom d’un supposé intérêt national. Même les démocraties les plus anciennes et les plus solides ont restreint ou fermé la voie à cette procédure très risquée malgré son caractère démocratique.
Faute d’une opposition crédible, solide et unie, la société civile constitue le seul contrepoids pour la mise en place d’une constitution qui répond aux aspirations des tous les Tunisiens et qui concrétise les objectifs et les idéaux de la Révolution.
Bien-sûr, rien n’est joué et le peuple tunisien a surpris le monde entier par son intelligence, sa maturité ainsi que sa capacité à répondre présent au grand rendez-vous de l’Histoire. Ce peuple est aussi conscient qu’il a une responsabilité vis-à-vis des générations futures non seulement en Tunisie, mais aussi dans le monde arabe et musulman. Le processus révolutionnaire est loin d’être achevé et la nécessité de la mobilisation et de la vigilance des démocrates en cette période charnière de notre histoire est plus que jamais à l’ordre du jour.
* Maître de conférences.
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