Par Ridha Kéfi
L’actuel ministre français des Affaires étrangères n’a jamais été à l’aise dans ses relations avec le Maghreb et, plus généralement, avec le monde arabe. Vu du sud de la Méditerranée, M. Bernard Kouchner apparaît comme le moins bon chef de la diplomatie que la France ait eu durant les trente dernières années. A qui incombe la responsabilité de cette désaffection partagée ?
Un coup d’œil sur le site du ministère français des Affaires étrangères nous apprend que M. Kouchner, a effectué, depuis sa nomination à la tête de ce département en avril 2006 et jusqu’à la fin février 2010, 112 déplacements à l’étranger. Près du quart de ces déplacements (27) a été effectué dans des pays arabes. Conflit du Proche-Orient oblige, l’essentiel de ses visites dans la région (15) a été réservé au Liban et aux territoires palestiniens occupés.
Kouchner s’est ainsi rendu 8 fois au Liban (5 fois en 2007, 1 fois en 2008 et 2 fois en 2009). Le pays du Cèdre est-il son préféré dans la région ? Peut-être bien. Ce qui est sûr, en revanche, c’est que le Liban tient une place de choix dans le cœur des Français, pour des raisons historiques et culturelles. Autre raison et pas des moindres: des troupes françaises y stationnent depuis 2006. Enfin, dans tout effort de règlement du conflit du Proche-Orient, le Liban est un pays incontournable. Les «assiduités» libanaises de M. Kouchner sont donc, en partie, justifiées. On pourrait en dire autant en ce qui concerne les Territoires palestiniens où il s’est rendu à 7 reprises, en même temps d’ailleurs qu’en Israël (1 fois en 2007, 4 en 2008 et 1 en 2009), et l’Egypte où on l’a vu à 4 reprises (1 fois en 2007, 2 en 2008 et 1 en 2010).
Parmi les autres pays Moyen-Orient où le ministre français des Affaires étrangères a effectué des visites officielles, on citera la Syrie (2 fois, en 2008 et 2009), l’Irak (2 fois en 2007 et 2008), l’Arabie saoudite (1 fois en 2009), la Jordanie (1 fois en 2008) et le Koweït (1 fois en 2008).
Au Maghreb, où il s’est rendu «seulement» 4 fois en près de 4 ans, le Maroc vient en tête des destinations de M. Kouchner avec 2 visites (en 2007 et 2008). Vient ensuite l’Algérie, où il s’est rendu une seule fois (en 2008). Une seconde visite, prévue en janvier dernier, a été déprogrammée à la demande des autorités algériennes. Les relations entre les deux pays ne sont pas au beau fixe, loin s’en faut.
En Libye, le chef de la diplomatie française s’est contenté d’accompagner le président Nicolas Sarkozy, en visite officielle dans ce pays, les 25-26 juillet 2007. En revanche, il n’a jamais mis les pieds en Tunisie. Lors des deux visites officielles du chef de l’Etat français dans notre pays (10-11 juillet 2007 et 28-30 avril 2008), M. Kouchner a brillé par son absence.
De là à dire que le French Doctor n’a pas une attirance particulière pour ces deux pays, et pour le Maghreb en général, région où pourtant la France a des liens très forts (historiques, politiques, économiques, culturels et humains), il y a un pas que beaucoup seraient tentés de faire.
L’inverse est aussi vrai, car rarement un chef de la diplomatie française a été si mal vu au Maghreb. Aux yeux des Maghrébins, et des Arabes d’une façon générale, M. Kouchner cumule trois défauts majeurs. Un : en 2003, il était l’un des rares hommes politiques français à avoir soutenu et défendu publiquement la guerre en Irak. Deux : tout au long de sa carrière politique, il s’est toujours rangé derrière les positions du gouvernement israélien. Pis : le French Doctor, grand défenseur des droits de l’homme devant l’Eternel, souvent prompt à s’émouvoir des malheurs de l’humanité, a rarement été touché par les souffrances infligées par la machine de guerre israélienne aux Palestiniens et aux Libanais. Trois : il a été l’un des porte-drapeaux du très controversé droit d’ingérence humanitaire, un droit à géométrie variable. Ce qui est loin de le rendre particulièrement sympathique dans une région où les sujets de tensions ne manquent pas.
Seul M. Kouchner pourrait rectifier – par des actes politiques forts – cette image d’anti-arabe et d’anti-maghrébin qu’a de lui la majorité des Maghrébins. Les relations franco-maghrébines et franco-arabes y gagneraient beaucoup en clarté et en confiance.