En Tunisie, comme de nombreux autres pays dans le monde, la crise alimentaire de 2008 a conduit plusieurs gouvernements à remettre la priorité sur les interrogations agricoles et de sécurité alimentaire.

Par Maher Gordah


 

Les chefs de gouvernements du monde entier se sont réunis en novembre 2009 dans le cadre du Sommet mondial sur le sécurité alimentaire et ont adopté une feuille de route incluant les principes d’actions suivants: institution des systèmes de gouvernance de la sécurité alimentaire, plus cohérents et efficients aux niveaux national et international; être plus compétitifs sur les marchés mondiaux des produits agricoles, mais en moyennant une réduction des distorsions sur les marchés internationaux à travers des politiques de soutien des pays développés; s’adapter aux changements climatiques et en atténuant les effets négatifs; permettre aux agriculteurs d’avoir des revenus comparables à ceux de leurs concitoyens employés dans les secteurs industriels et tertiaires; et enfin mobiliser les investissements publics et privés supplémentaires en faveur de l’agriculture et des infrastructures rurales.

Culture oasienne au sud de la Tunisie.

C’est dans ce contexte que le ministère de l’Agriculture a lancé, depuis 2009, avec l’appui et le concours de l’Agence française de développement (Afd) un chantier pour l’actualisation de la politique agricole du pays, basé sur un processus de réflexion concertée entre les acteurs de l’administration et de la société civile.

Les fondements du modèle agricole tunisien

La politique agricole tunisienne s’est inscrite au cours des trente dernières années dans une relative continuité. Le fil directeur de cette politique est l’importance accordée aux mécanismes de marché tant nationaux qu’internationaux, avec en parallèle une politique assez active en matière de développement rural. Pour ce faire, la Tunisie a eu recours à deux principaux outils à savoir: la régulation des prix et une politique de structures en encourageant notamment les exploitations moyennes et en protégeant la propriété privé.

Les principaux éléments représentatifs du modèle du développement agricole tunisien peuvent être caractérisés de la manière suivante :

- priorité accordée au rôle du marché intérieur et à la préservation du pouvoir d’achat du consommateur;

- soutien à la petite agriculture, généralement familiale, et aux exploitations moyennes à travers des projets de développement agricole et rural, le développement de l’irrigation et le soutien à certains produits;

- accent mis sur la promotion des recettes d’exportation à partir d’une gamme limitée de produits traditionnels pour lesquels la Tunisie dispose d’un avantage comparatif;

- mobilisation importante des ressources naturelles avec pour destination prioritaire le secteur agricole;

- développement depuis le début des années 1980 des infrastructures rurales (routes, eau potable, électrification, etc.), en mobilisant des moyens relativement importants.

L’oasis de Fatnassa, dans le sud de la Tunisie, est confrontée à la salinité. Ph. S. Marlet-Cirad.

Sur la longue période, les résultats de ce modèle ont été assez impressionnants. En effet, la production agricole a ainsi connu une croissance supérieure à celle de la population (une moyenne supérieure à 3%), améliorant par là même les disponibilités alimentaires du pays.

Par ailleurs, la politique de développement rural accompagnant la politique agricole proprement dite a contribué à améliorer les conditions de vie en milieu rural: amélioration de l’accès à l’électrification (supérieur à 96%), à l’eau potable (supérieur à 90%), au système de santé de base et aux infrastructures de communication, réduction du taux de pauvreté (inférieur à 2%), du chômage, du logement rudimentaire, de l’analphabétisme et amélioration du taux de scolarisation des jeunes (source: Afd, 2011).

Cependant, ces progrès significatifs enregistrés sur les trente dernières années, n’ont pas empêché une baisse significative de la place de l’agriculture dans l’économie tunisienne au profit d’autres secteurs, comme cela est le cas dans de nombreux pays.

Les limites du modèle agricole tunisien

ouvrière dans un champ de blé en Tunisie.

Les réflexions menées dans le cadre du groupe de travail, composé par des experts de l’Afd et du ministère de l’Agriculture, confirment nombre d’analyses récentes sur le secteur agricole tunisien. En effet, le développement de l’agriculture tunisienne se heurte aujourd’hui à un certain nombre de blocages et d’éléments structurels, en particulier:

- les limites agronomiques du modèle agricole;

- une pression de plus en plus forte sur les ressources naturelles entraînant une dégradation à la limite de la réversibilité de la capacité de résilience de certains écosystèmes;

- forte croissance des importations, notamment pour certains produits de base afin d’atteindre la sécurité alimentaire;

- le déficit de la compétitivité «prix» et «hors prix» de l’offre agricole nationale par rapport aux denrées alimentaires importées;

- la difficile maîtrise des marchés à l’exportation, dont la volatilité des prix et la stagnation dans certains cas mettent en péril les stratégies des producteurs pour la meilleure valorisation des produits exportés, etc.

Une meilleure exploitation des ressources.

Les grandes lignes d’une politique agricole rénovée

Les limites endogènes de l’agriculture tunisienne à savoir les blocages structurels, la faible productivité, les ressources limitées, ne créent pas les conditions favorables permettant de faire face de manière satisfaisante aux différents chocs externes, dans un contexte global de plus en plus incertain tant en termes de prix (volatilité internationale) que de climat (changement climatique).

Cette situation remet en cause la poursuite du développement du secteur agricole tunisien selon le paradigme actuel et appelle à baser la politique agricole rénovée sur le principe fondamental de la durabilité.

Toujours selon les réflexions du groupe de travail (Afd et ministère de l’Agriculture), les nouveaux fondements doivent prendre en compte de manière simultanée les trois dimensions de la durabilité ayant des effets significatifs sur la politique agricole:

- la dimension économique avec une amélioration de la compétitivité des productions;

- la dimension sociale avec une meilleure répartition des fruits de la croissance entre les différentes catégories d’exploitants, les différents secteurs de production et les différentes régions agricoles;

- la dimension environnementale avec une gestion durable des ressources naturelles qui prend en compte la résilience des systèmes et des niveaux de prélèvements qu’elle permet.

La prise en compte de ces trois dimensions de la durabilité implique d’une part de lever les contraintes d’ordre institutionnel défavorables à une vision à long terme des questions agricoles et, d’autre part, de créer les conditions qui favorisent la concertation entre les différentes parties prenantes et la participation pleine et active de tous les acteurs du monde agricole et rural.