L’hôtel Yasmina, qui appartient au patrimoine culturel de la ville de Hammamet, est à l’abandon. La municipalité espère le récupérer pour ses œuvres sociales et culturelles. Les requins de l’immobilier sont aux aguets. Un Hammamétois, Dr Salem Sahli, appelle ici au sauvetage de ce vestige en péril.


Véritable miroir d’une société, le patrimoine culturel immobilier constitue une bibliothèque, un livre ouvert de l’histoire et de la culture d’une ville ou d’un village. De même qu’on peut lire culturellement un paysage, cette lecture devient encore plus évidente pour un site construit.
Ainsi en est-il de l’Hôtel Yasmina situé au cœur même de la ville de Hammamet. Le domaine appartenant à l’industriel Suisse M. Ormond fut acquis par la municipalité au milieu des années soixante. Il fut un temps dispensaire, jardin d’enfants et siège de la commune entre 1967 et 1969. Construit par l’architecte Larocca, l’hôtel est inauguré en 1969 par Ahmed Ben Salah. Depuis, il vit se succéder plusieurs générations d’Hammamétois qui y firent leur apprentissage des effets fastes et néfastes de la nouvelle industrie touristique*.



Belle vue sur la baie de Hammamet
Remarquable par son style architectural d’inspiration néerlandaise, l’hôtel Yasmina a été conçu dans une logique esthétique loin de tout mercantilisme. Tout inspire l’intimité et la convivialité. La construction est d’une savante simplicité: le bâti y est réduit à sa plus simple expression. Le dimensionnement est à l’échelle humaine. Point de gigantisme, les étages sont exclus. La répartition des chambres, noyées dans la verdure, épouse le paysage dans une harmonie parfaite. C’est depuis l’hôtel Yasmina que le visiteur peut admirer l’une des plus belles vues donnant sur la baie de Hammamet dont il est le point de départ. Ou encore contempler le château fort tout proche avec lequel il dialogue.
Nul ne peut nier que l’hôtel Yasmina présente un intérêt public au point de vue esthétique, historique et culturel. Il a marqué la mémoire collective locale et, malgré l’œuvre du temps, il a acquis avec les années une signification culturelle. Devenu un élément indissociable du cadre de vie et de l’environnement de la ville, il mérite d’être considéré comme un patrimoine culturel au même titre que Dar Sébastian située à quelques encablures du lieu.

Un imbroglio juridico-financier
Hélas, pour cette magnifique résidence, le compte à rebours est déjà déclenché. Après le dépôt de bilan de la société Yasmina, propriétaire de l’hôtel du même nom, la municipalité a été sommée à maintes reprises de liquider ses parts dans la société, soit les 2,25 ha sur lesquels a été construit la majeure partie de l’hôtel.
Pendant des années, la Commission d’assainissement et de restructuration des entreprises publiques (Carep) et les différents conseils municipaux ont négocié afin de trouver une issue à cet imbroglio juridico-foncier. Une solution d’échanges de terrains a même failli être adoptée par le conseil municipal en 1999. Mais rien n’y a fait, la ville s’est rétractée et a continué à clamer la restitution pure et simple de ses biens, relayée en cela par une opinion publique locale quasi-unanime. Cette position est justifiée par le besoin urgent qu’il y a à reconstituer une partie du capital foncier de Hammamet afin de mener à bien les projets socioculturels, écologiques et de loisirs, projets expressément revendiqués par la population.



Cela fait plus de 10 ans que le site est à l’abandon. Ceux qui s’y aventurent sont choqués par la dégradation des lieux. Un sentiment de tristesse et de désolation vous envahit à la vue de cette friche où les buissons ont dévoré les murs et la végétation sauvage a envahi les bungalows. Faute d’entretien, le parc sans âme ni attrait est menacé à court terme. Pourquoi un tel gâchis ?

Le conseil municipal fait de la résistance
Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre que le site en question est l’objet de beaucoup de convoitises. Les requins de l’immobilier qui ont livré la ville à la surenchère spéculative misent sur la mort de ce patrimoine, ce qui facilitera son acquisition. Sinon, comment expliquer le silence/refus des autorités de tutelle d’avaliser l’achat par la municipalité de la portion bâti de l’hôtel estimée par un expert à 1.300.000 dinars? Une enveloppe budgétaire a en effet été réservée à cette fin par le conseil municipal depuis 2 ans. Ce dernier attend toujours l’accord du ministère de l’Intérieur et celui des Finances pour finaliser cette acquisition et entreprendre les travaux nécessaires à la réhabilitation du site. Une large consultation locale a même été initiée par la mairie en vue d’identifier les contours d’un futur projet d’aménagement. Pour le moment, il semble qu’il y ait blocage. Mais où, par qui, à quel niveau?
Gageons que l’actuel conseil municipal continuera à faire de la résistance et à s’opposer aux constructeurs et aménageurs de tout poils qui ont enlaidi Hammamet en y érigeant complexes résidentiels, centres commerciaux, unités hôtelières… avec pour dénominateur commun une caractéristique: le gigantisme.
Nous croyons qu’il n’est pas trop tard et que l’espoir est encore permis de sauver l’hôtel Yasmina des appétits ogresques des spéculateurs. Pour ce faire, les citoyens, les associations, les élus locaux, les artistes, les jeunes… doivent rester mobilisés, vigilants et revendicatifs.
Mais si par malheur, ce site venait à être privatisé, sachons alors que c’est un morceau de notre histoire qui partirait avec lui.

Dr Salem Sahli

* Ridha Boukraa: ‘‘Hammamet études d’anthropologie touristique, Centre de Publication Universitaire, Tunis, 2008.