Une étude d’évaluation du bilan du programme national de lutte contre le tabac doit donner lieu à de nouvelles mesures pour lutter contre le fléau du tabagisme, qui touche 700.000 fumeurs.
Combattre l’interférence de l’industrie du tabac est le thème choisi cette année pour célébrer la journée mondiale sans tabac. Cet événement sera marqué en Tunisie par la présentation d’un rapport exhaustif sur le programme national de lutte contre le tabac dans ses différentes composantes (éducation et sensibilisation, législation, politique tarifaire et coordination avec divers intervenants).
Une mission confiée à une consultante qui se penche depuis une année sur l’évaluation de ce mécanisme. A la lumière des résultats qui seront présentés, samedi 2 juin, à la Cité des sciences, à Tunis, un plan d’action multisectoriel sera élaboré pour mieux combattre ce fléau qui gagne en vigueur, notamment, dans les milieux scolaires, a déclaré Dr Mounira Masmoudi Nabli, responsable du programme national de lutte contre le tabagisme.
La forte présence des firmes internationales
«En Tunisie, il n’y a pas d’interférence de l’industrie locale du tabac», a rassuré la responsable, qui a toutefois déploré la forte présence des firmes internationales. Déstabilisées par la puissance du dispositif antitabac mis en place dans les pays développés, ces dernières ne ménagent aucun effort pour atteindre les populations dans les pays en voie de développement où la prise de conscience des méfaits du tabac n’est pas toujours évidente.
Des manifestations sportives et culturelles sont parrainées par ces industriels qui utilisent divers autres moyens pour induire en tentation.
Une enquête multicentrique sur la consommation du tabac recommandée par l’Organisation mondiale de la santé (Oms) auprès des enfants entre 13 et 15 ans et réalisée en 2010 a révélé que des bonbons et chocolats comportant de la nicotine sont distribués gratuitement aux enfants par leurs pairs dans les milieux scolaires.
Les contrebandiers au service des industriels
Dr Nabli a souligné le phénomène de la contrebande des cigarettes, qui sévit durement, notamment, après la révolution. En 2011, la douane tunisienne a saisi 60.000 cartouches de cigarettes d’une valeur de 2 millions de dinars (MD). Et au début du mois, plusieurs individus ont été arrêtés pour trafic de tabac.
Ceci étant, les cigarettes de contrebande continuent à garnir les étals anarchiques dans les principales artères du centre ville. «Un commerce encore plus juteux que les produits Made in China», selon des membres du circuit.
Si, en apparence, les produits contrefaits nuisent aux industriels du tabac, il ne fait aucun doute, qu’ils représentent un «refuge biaisé» pour les fumeurs dissuadés par la hausse des prix des cigarettes imposée par la convention cadre de lutte contre le tabac, estime Dr Nabli.
Les contrebandiers du tabac sont un allié redoutable des industriels puisqu’ils garantissent le maintien de la dépendance à la cigarette. Le jour où la contrebande est cernée, il ne restera pour le fumeur d’autre choix pour s’approvisionner que le marché légal, a-t-elle poursuivi.
En Tunisie, une avancée considérable a été enregistrée en 2009, proclamée année nationale de lutte contre le tabac. Une campagne de sensibilisation a été organisée associant départements gouvernementaux, société civile, médias et représentants de l’Oms. Les patrouilles déployées au cours de cette période dans les lieux publics (cafés restaurants, salons de thé…) ont conduit à la fermeture de nombreux locaux. Résultat: entre fin 2009 et fin 2010, le nombre des fumeurs a baissé de 3,5%.
«Aujourd’hui, avec la nouvelle conjoncture dans le pays, nous sommes revenus à la case départ», regrette Dr Nabli.
Une stratégie, trois actions
La lutte antitabac en Tunisie passe par trois grandes actions. La sensibilisation et l’éducation dès le jeune âge. Une action préventive qui fait l’objet d’un projet expérimenté dans plusieurs écoles pilotes avec pour objectif le renforcement de la résistance des jeunes générations contre tous les comportements à risque (violence, délinquance, conduite imprudente, tabac…).
La sensibilisation s’adresse en deuxième lieu au grand public avec des programmes ciblés pour chaque catégorie sociale et chaque milieu.
«Les organisations non gouvernementales peuvent beaucoup aider dans ce sens car elles sont mieux entendues par les populations. Aujourd’hui celles qui s’intéressent au tabagisme ne sont pas nombreuses», regrette encore Dr Nabli.
La deuxième action consiste en l’adaptation de la législation nationale aux dispositions de la convention cadre ratifiée par la Tunisie en 2010.
La convention interdit la vente des cigarettes en vrac et aux individus de moins de 18 ans. Elle interdit, également, la consommation du tabac dans les lieux publics et impose d’afficher des images choc sur les paquets de cigarettes et d’élever les prix du tabac.
«L’augmentation du prix des cigarettes en Tunisie n’est pas significative», constate la responsable. L’expérience dans les pays développés montre qu’une bonne législation, une politique tarifaire sévère, une éducation ciblée pour chaque milieu et chaque catégorie sociale et le remboursement des produits aidant au sevrage tabagique, sont la meilleure riposte à l’interférence des industriels du tabac.
La 3e action consiste en l’aide au servage tabagique. Dr Nabli a signalé trois types de dépendance: chimique, psychologique et gestuelle. Les fumeurs sont d’abord détectés par les médecins de première ligne puis orientés, selon leur volonté vers les consultations de sevrage réparties sur tout le territoire (entre 4 à 5 consultations par région).
Le Tunisien prend sa première cigarette à 11 ans
Toutes les cigarettes se valent, a affirmé Dr Nabli. «Nous sommes en cours de négociation avec divers intervenants pour coller les images choc sur les paquets de cigarettes, interdire la vente aux moins de 18 ans et surtout retirer certaines expressions suggestives telles que ‘‘light, aromatisé, légère’’».
«Je trouve inconvenant qu’on attribue la date de l’indépendance à une marque de tabac dont on est les pauvres prisonniers», ironise Dr Nabli.
La population tabagique en Tunisie se chiffre à un million 700.000 fumeurs. En moyenne, le Tunisien prend sa première cigarette à 11 ans.
Avec ses 4.000 substances nocives le tabac tue chaque année 20 personnes par jour et 7.000 par an. Dans le monde, la cigarette est responsable de 6 millions de décès par an.
«Chaque fumeur est un cas à part», confie Dr Nabli. Il n’existe pas de recette miracle applicable à tous les fumeurs. Certains nécessitent une prise en charge psychologique, d’autres ont besoin de médicaments ou des deux à la fois. Les motifs d’abandon diffèrent d’un fumeur à un autre. Mais souvent, des problèmes graves de santé du fumeur ou de son entourage provoqués par le tabac sont à l’origine de la décision d’arrêter. Mais faut-il en arriver là ?
Source: Tap.