Le mouvement féministe radical né il y a quelques années en Ukraine prendra-t-il vraiment racine dans une Tunisie plus pudibonde que jamais ou s'arrêtera-t-il juste à Amina et à ses ardeurs?
Par Yüsra N. M'hiri
Femen est un groupe contestataire féministe créé en 2008 à Kiev, en Ukraine. La particularité de ce groupe, devenu international depuis 2009, c'est de manifester seins nus, pour appeler à la libération des prisonniers politiques, mais surtout pour défendre les droits de la femme dans le monde entier. Il symbolise le féminisme radical et suscite autant de sympathie que de fortes critiques et indignations. Leur Slogan est on ne peut plus clair: «Notre Dieu est une femme; notre mission est de protester; nos armes sont nos seins nus!»
2013 : Femen en Tunisie
Cinq ans après sa création, ce groupe tente de s'implanter en Tunisie, grâce à Amina, une tunisienne âgée de 19 ans.
Depuis lundi 11 mars, des photos circulent sur les réseaux sociaux où cette lycéenne concourant pour le Bac cette année s'affiche seins nus, inscrivant sur son torse ce slogan qui a valeur de programme: «Mon corps m'appartient et il n'est l'honneur de personne».
Sur la page Facebook, «Femen-Tunisian Fanpage», Amina compte plus de 3.700 «fans». Certains la soutiennent et la défendent avec beaucoup de conviction et d'énergie. D'autres la couvrent d'insultes et la traitent de tous les noms, choqués par son acte, qu'ils qualifient de vulgaire et d'extrémiste.
«Indignez-vous?»
Amina ne comprends pas l'indignation de certains: «Nous voyons souvent des hommes torses nus à la plage, cela ne choque personne, alors il en va de même pour nos actions. Ce n'est nullement de la provocation, mais une simple action pour prôner la liberté de la femme», explique-t-elle dans l'émission ''Labes'', samedi, sur Ettounissia TV. Et d'ajouter: «On n'enlève pas nos hauts pour des raisons sexuelles, nous les Femen, nous avons le courage de crier fort nos revendications pour libérer la femme».
Amina se demande pourquoi les Tunisiens s'indignent-ils uniquement face à son corps nu. Elle souhaite que la femme soit vue pour ses idées et non pas seulement pour son corps. Elle explique que le corps de la femme n'appartient qu'à elle et à nul autre, ni père, ni son frère, ni son mari. Il aurait été préférable de s'indigner par rapport à la situation de la femme tunisienne, harcelée, agressée et parfois même violée, pense-t-elle.
Suite aux différentes attaques, accusations et menaces dont elle ne cesse de faire l'objet, la jeune femme a tenu à s'expliquer sur le fait qu'elle ne souhaite en aucun cas offenser les Tunisiens et Tunisiennes. Son acte vise, seulement, à défendre les droits de la femme.
«Jeu de seins, jeux de vilains»
Selon des juristes, la jeune femme risque 6 mois de prison pour atteinte à la pudeur. Sur les réseaux sociaux, elle a été lourdement menacée de mort, notamment de la part des internautes proches de la mouvance islamiste. Elle a eu, jusque là, très peu de soutien (et c'est le cas de le dire) des féministes tunisiennes, qui ne comprennent pas forcément son acte, surtout en cette période de combat contre l'obscurantisme rampant. Certaines femmes libérales vont jusqu'à prétendre qu'il pourrait être contre-productif, alimenter des polémiques inutiles et donner des grains à moudre aux groupes extrémistes religieux. A cela elle répond, sur une note ironique: «Rien de pire ne pourra m'arriver, vu la situation peu reluisante de la femme actuellement en Tunisie. Donnez-nous nos droits et nous porterons le niqab s'il le faut!»
Par son féminisme radical, Amina essaie-t-elle de faire passer des messages sincères ou cherche-t-elle seulement la notoriété à tout prix? Elle a parlé, elle-même, de buzz, à la télé et sur sa page facebook. Pour elle, la provocation est à fois un moyen et une méthode, surtout dans une société encore largement conservatrice. Entre photos très suggestives et dérapages de langage, c'est une panoplie d'excès qu'elle offre au nom de la liberté d'expression.
Sur la page facebook officielle de Femen Tunisie, on s'acharne sur Amina. Cela va des railleries aux insultes voire aux menaces de mort. Pourra-t-elle assumer, du haut de ses 19 ans, toutes les conséquences de son geste, et puis, surtout, est-elle vraiment consciente de l'impact de son geste sur ses concitoyens et ses conséquences imprévisibles? Et d'ailleurs, croit-elle vraiment que le mouvement Femen, dont elle annonce la venue prochaine en Tunisie, pourra prendre racine dans une Tunisie plus pudibonde que jamais et aux prises avec les assauts d'un islamisme ardent?