Supplique d'un féministe à Amina: portez jeans et T-shirts moulants, si vous le souhaitez, mais, s'il vous plait, n'offrez pas l'occasion aux bigots nahdhaouis non seulement de «se rincer l'œil» mais aussi de remporter les élections.
Par Moncef Dhambri
Hier, c'était Amina. Aujourd'hui, c'est le tour de Meryem. Demain, qui sera la prochaine jeune Tunisienne qui, les seins nues, viendra nous dire à nous tous (laïcs féministes et islamistes rétrogrades, ensemble) que son corps lui appartient?
Ce qui a commencé comme un acte de protestation sain – mon orthographe est correcte! –, comme un grand coup de pied dans la fourmilière transitionnelle, peut tout bonnement échapper à ses véritables actrices et acteurs, et s'avérer contre-productif.
Femen n'est pas importable
Avant toute chose, reconnaissons que le geste (désespéré ou fou) d'Amina risque de nous mener sur un véritable terrain miné où les obscurantistes et réactionnaires auront la partie facile. Amina et Meryem, et les autres qui attendent elles aussi de «retirer le haut», sont en train de jouer le jeu des adversaires de l'égalité des sexes et de la modernité en Tunisie.
Tout simplement, l'activisme Femen ukrainien n'est pas importable en Tunisie, et le parcours féministe dans notre pays et le contexte présent ne permettent pas pareil coup d'éclat que celui d'Amina et de ses amies.
Bien évidemment, j'en conviens, être homme et sexagénaire ne m'autorise pas à parler au nom d'une jeune fille qui a dix-neuf ans. Mon féminisme (s'il m'est permis de m'abriter sous ce parapluie) date depuis plus de quarante années et je ne souhaite pas le soumettre à la rude épreuve que Femen-Tunisie veut m'imposer, parce que je pense connaître les antiféministes tunisiens (ils sont très nombreux, quoiqu'on puisse dire ou penser) et je ne veux pas leur offrir l'occasion de marquer un point aussi facile.
Car, en définitive, que nous demande Amina? Notre «insoumise» tunisienne exige que l'on se range de son côté sans nuance ou négociation et que l'on tende ainsi le cou à l'adversaire islamiste pour qu'il nous égorge.
Le soutien «timide» que l'action d'Amina a suscité dans le pays est l'expression d'un certain embarras face à cette demande trop pressante de la jeune lycéenne. Un soutien de cette importance ne s'accorde pas aussi facilement. Si Amina, Meryem et les autres à venir offrent une simple vidéo sur YouTube ou quelques apparitions sur des plateaux de télévision, le féminisme tunisien aurait à sacrifier beaucoup plus s'il décidait d'emprunter la voie radicale du sextrémisme de Femen.
Il y a une réalité politique dont il faut tenir compte et des calculs à faire. Il y a une stratégie à définir et des priorités qu'il ne faut jamais négliger.
La réalité politique du pays, depuis plus de 15 mois et pour 9 autres, est l'histoire d'un 14 janvier confisqué. Le 23 octobre 2011, une majorité d'électeurs tunisiens ont décidé d'accorder aux Nahdhaouis près de 90 à la Constituante. Et l'on connaît la suite: un premier gouvernement de la Troïka... et, depuis une semaine, un second gouvernement que l'on aura à supporter pendant plus de 270 autres jours!
«Des femmes et des hommes qui craignent Dieu»
Je me permets de rappeler à notre lycéenne rebelle que, pour une bonne part, la victoire d'Ennahdha s'était construite sur un simple slogan et un incident mineur dont les stratèges de Montplaisir ont tiré le plus gros avantage électoral.
Souvenons-nous que le parti de Rached Ghannouchi avait présenté aux élections de l'Assemblée constituante «des femmes et des hommes qui craignent Dieu», sous-entendant, bien évidemment, que leurs adversaires sont des candidats mécréants. Les Nahdhaouis pouvaient se passer de toute explication de leur projet et de toute justification de leur programme. Il leur avait suffi de bien calibrer leur message puritain et de bien le cibler pour rafler la mise électorale. C'est sur ce terrain de la morale qu'ils ont gagné.
Souvenons-nous, également, de la manière dont Ennahdha et ses enfants salafistes avaient exploité la projection par Nessma TV du long métrage d'animation franco-iranien ''Persepolis''. L'incident, qui a eu lieu à deux courtes semaines du scrutin du 23 octobre, avait servi de cheval de bataille aux Nahdhaouis et pris au dépourvu «les laïcs» qui n'ont pas pu ou su justifier la liberté d'expression...
C'est ainsi que, aujourd'hui, la poitrine nue d'Amina nous place devant le même dilemme. Allons-nous cautionner la liberté d'expression de cette jeune fille, et nous tomberions comme une proie facile dans le piège nahdhaoui et serions taxés d'immoraux, de libertaires et de dévergondés? Ou, choisirons-nous de ne pas céder au caprice de cette «gamine», et nous n'écouterions pas sa révolte légitime, nous raterions une occasion de réaffirmer notre «modernité» et céderions devant l'islamisation de la Tunisie?
Amina, Meryem et les autres, comprenez donc qu'il s'agit d'une question de timing. Pour l'instant, il faut veiller à ce que la Constituante rédige la meilleure constitution possible – un texte qui doit garantir, entre autres choses importantes, l'égalité parfaite des deux sexes devant la loi. Au lendemain des élections d'octobre ou novembre prochains, nous remettrons tant de sujets sur la table. Promis.
Laissons les Nahdhaouis se débattre dans leurs honteuses idées sur la ré-institution de la polygamie, le port du niqab et l'excision. C'est bien sur ces questions qu'ils sont vulnérables... Et, avec leurs échecs et leurs incompétences, leur sort électoral sera scellé aux prochaines législatives et présidentielles.
Amina, veuillez vous rhabiller. Portez jeans et T-shirts moulants, si vous le souhaitez, mais, s'il vous plait, n'offrez pas l'occasion aux bigots nahdhaouis non seulement de «se rincer l'œil» mais aussi de remporter les élections.