«Travailler ici un samedi soir fait désormais peur à tout le monde». C'est ainsi qu'un ambulancier décrit la situation dans l'urgence de la Rabta, en l'absence du strict minimum en termes de matériel, de personnel et de sécurité. Reportage...
Par Emna Turki
Il était 20 heures tapante quand nous avions débarqué dans l'urgence de la Rabta pour vivre, avec les patients et les employés, une nuit souvent qualifiée de cauchemardesque.
Après une heure et demie plutôt calme, nous avons pu constater que le terme cauchemardesque n'était pas employé à faux usage.
Avec les moyens du bord !
Le premier à avoir atterri à l'urgence de la Rabta, un jeune homme qui, suite à un verre de trop, a perdu le contrôle du volant de sa voiture. Résultat, une jambe fracturée et quelques points de sutures au niveau de la tête.
Puis les patients n'arrêtaient plus de débarquer, tous presque victimes d'un abus d'alcool. Et il n'y a pas que les accidents de la route. En effet, plusieurs patients étaient amochés suite à des bagarres, avec couteaux et armes blanches. Ces patients provoquaient un énorme désordre. Ils viennent en grand nombre et ils sont tellement bourrés qu'ils ne respectent pas la priorité, comme c'était le cas de Ahmed, un jeune homme salement amochés au niveau du visage avec une lame de rasoir. Lui et ses copains refusaient catégoriquement d'attendre leur tour et les médecins étaient obligés de le passer en premier. Pourquoi? Parce qu'il n'y a aucune sécurité pour le staff !
En effet, il n'y avait que 11 personnes pour s'occuper de tous les patients, en l'absence totale des forces de l'ordre. Seul un vigil était là pour assurer un soupçon de sécurité!
C'est toujours le cas depuis la révolution, nous indique un infirmier, ajoutant que les forces de l'ordre et les militaires n'intervenaient que sur appels incessants, et encore!
Le staff présent essaie de composer avec les moyens du bord en évitant au maximum les conflits avec les patients bourrés pour que ça ne dégénère pas.
Mais, ça dégénère, souvent, le plus logiquement du monde, eu égard au manque d'effectif, de matériel et d'équipement. Il suffit de signaler qu'il n'y a qu'un seul et unique appareil de mesure de tension dans l'urgence (avec ses deux services : la chirurgie et l'orthopédie) pour comprendre que l'urgence de la Rabta manque de tout.
Les heures passaient et les patients commençaient à se faire nombreux. Selon un médecin, l'urgence de la Rabta accueille, chaque nuit de samedi, entre 150 et 200 cas. On imagine le reste...
Anarchie, quand tu nous tiens
Les ambulances débarquaient des quatre coins du Grand Tunis et de quelques hôpitaux, comme celui du Kef, et l'encombrement commençait à se faire sentir. Les patients étaient admis sur des civières, pour le moins dans un état lamentable, et mis n'importe comment dans la sale d'attente.
Entre les civières mises là où on pouvait, les perfusions, le sang qui coulait et les nombreux accompagnateurs des blessés, les médecins et infirmiers trouvaient du mal à se déplacer et à contrôler l'état des patients. Sans parler du brouhaha incessant, des cris des blessés, des engueulades qui ne cessaient pas et des sirènes des ambulances qui retentissaient sans arrêt. Les conditions du travail étaient tout simplement misérables !
La situation ne pouvait donc que dégénérer puisque les médecins n'arrivaient pas à répondre aux attentes de tous les patients et que ces derniers commençaient à s'impatienter. A quatre reprises, les médecins ont menacé d'interrompre les soins si les blessés et leurs accompagnateurs, très agités, ne se calmaient pas. Selon un infirmier, le staff est souvent obligé à appeler les forces de l'ordre suite à des agressions de la part des familles et des amis des blessés. Nous n'avons pas assisté à une scène pareille, mais nous avons tout de même remarqué que le personnel se faisait insulter sans arrêt! D'où le sentiment, chez le personnel de l'urgence de la Rabta, d'être constamment menacé. En l'absence du minimum requis au niveau de la sécurité et du matériel, la tension montait à chaque intervention et à chaque débarquement d'un patient.
C'est vers 3 heures du matin que le calme est revenu peu à peu, que les médecins ont commencé à respirer un peu et que les femmes de ménages se sont mises à nettoyer la grande sale d'attente, presque ravagée, en attendant le samedi prochain, pour que la tension, les bagarres et le stress reprennent de nouveau, au grand malheur des courageux médecins et infirmiers.
Rappelons que le staff de l'urgence de la Rabta a protesté à plusieurs reprises pour demander plus de sécurité, mais en vain!