La femme tunisienne est au centre des réflexions et des discussions : entre niqab et Femen, elle ne passe pas inaperçue et suscite incessamment le débat autour de ses droits.
Par Yüsra N. M'hiri
Les droits acquis par la femme tunisienne sont défendus bec et ongle par certains, quand d'autres n'en voient vraiment pas l'utilité et cherchent à les raboter.
Quelle est aujourd'hui la place de la femme en Tunisie, un pays musulman, libre et démocratique?
Des acquis indiscutables, mais menacés
A l'occasion du 57e anniversaire de l'obtention du droit de vote par la femme tunisienne, la fondation Al Majd a organisé, le samedi 8 juin, une conférence-débat consacrée à la femme tunisienne : ses droits, son rôle et sa position, entre législation et société.
Abdelwahab Al Hani, président du parti Al Majd, a voulu faire «un clin d'œil» à la femme tunisienne, en célébrant la date du 11 juin 1956, qui marque l'instauration du droit de vote des femmes en Tunisie, moins de 3 mois après l'indépendance du pays. La Tunisie a ainsi été le premier pays arabe à légaliser le droit de vote des femmes, devançant même certains pays développés, telle que la Suisse (où la femme a obtenu ce droit en 1959) et le Portugal (en 1974).
M. Al Hani, en fervent militant des droits de l'Homme, s'est entouré de médecins, juristes, experts en droits de l'Homme, pour mener un débat autour de la femme tunisienne, ses droits, ses acquis et sa place dans la transition démocratique.
Hatem Kotrane, expert des droits de l'Homme auprès de l'Onu, évoque les réserves émises par la Tunisie sur la convention pour l'élimination de toute forme de discrimination à l'égard de la femme (Cedaw), qui stipule l'égalité juridique de l'homme et de la femme. Revenant sur la volonté de notre pays de mettre fin à ces réserves, émises lors de la ratification de la convention en 1985, il affirme que «les droits de la femme sont en adéquation et en parfaite harmonie avec les spécificités du pays».
Il est à rappeler que la levée des réserves sur la Cedaw n'a pas été du goût de certains représentants du parti islamiste Ennahdha, provisoirement au pouvoir, qui ont lancé une campagne de dénigrement contre cette convention, appelant à maintenir les réserves de la Tunisie à son propos. Ce qui n'est pas étonnant de la part d'un parti qui exprime ne considère pas la femme comme l'égale de l'homme, mais son «complément» (sic!).
M. Kotrane explique également que le principe de l'égalité entre l'homme et la femme est expressément garanti par les textes constitutionnels et législatifs tunisiens. «Les femmes ont activement participé à la révolution, comment peut-on songer à les écarter de la construction démocratique?», s'étonne-t-il.
Abdelwaheb El-Hani, président d'Al-Majd.
La femme tunisienne au travail
Dr Soumaya Jemili, médecin de travail, rappelle que la place de la femme au travail est très importante, et ce dans tous les domaines. Présentes à hauteur de 41% dans la fonction publique, 26% à l'Assemblée nationale constituante (Anc), et avec plus de 18.000 femmes chefs d'entreprises, les Tunisiennes ont su se frayer un chemin dans le monde du travail, au même titre que les Tunisiens.
M. Al Hani indique, de son côté, que la discrimination sexuelle est encore très forte dans les régions rurales. La femme travaille autant, voire plus, que l'homme, dans ces régions, mais elle est moins rémunérée que son partenaire masculin. Les jeunes filles rurales sont souvent contraintes à quitter l'école et placées dans des maisons en ville, pour les tâches domestiques. «Voilà les injustices contre lesquelles il faut lutter aujourd'hui en Tunisie», explique-t-il.
Zohra Bouguerra, médecin-psychiatre, explique que la liberté n'est pas un bien qu'on se procure ou que l'on achète; c'est une éducation, une mentalité, une culture et un état d'esprit. «La femme tunisienne a souvent prouvé sa force de caractère par les actes et sa présence dans la société civile est très forte, cela lui permet de se battre pour ses acquis», conclut-elle.
La femme tunisienne, ses acquis, ses droits et son rôle central dans la société sont-il aujourd'hui menacés par les mouvements islamistes radicaux ou même ceux qui se présentent comme «modérés», mais n'hésitent pas à mettre en cause les acquis du modèle de société tunisienne, moderne et ouverte, construit depuis plusieurs générations, de Khaireddine Pacha, au 19e siècle, à Bourguiba, au 20e, en passant par tous les leaders modernistes? Le débat est à peine ouvert, et les polémiques à ce propos dans les travées de l'Assemblée constituante montrent que les droits acquis ne sont pas l'abri du révisionnisme rampant, islamiste ou autre.