«Incompétents», «éternels voyous», «enfants de Zaba» ou «martyrs de la nation» et «héros de la lutte antiterroriste», les agents de l'ordre tardent encore à gagner les coeurs de tous les Tunisiens.
Par Yüsra N. M'hiri
Nous assistons, aujourd'hui, après une «semi réconciliation» entre les citoyens et les forces de l'ordre, rendue possible par les attaques terroristes, qui se sont soldées par des pertes humaines dans les rangs de la garde et de l'armée nationales, créant ainsi une sorte d'union sacrée face à un danger commun. Ces événements sont venus ébranler une relation problématique qu'illustre bien le titre de la célèbre chanson de Serge Gainsbourg ''Je t'aime, moi non plus''.
Une difficile cohabitation
Sous les anciens régimes dictatoriaux, où l'autoritarisme et la répression étaient de mise pour faire régner l'ordre, la police et le peuple tunisiens n'ont jamais su cohabiter. Il y avait, d'un côté, des agents de sécurité zélés au service d'un régime dictatorial régnant uniquement par la force brutale et, de l'autre, des citoyens intimidés et malmenés, et qui ont fini par nourrir une haine à l'égard de ceux qu'ils appellent «el-hakem» (le pouvoir).
"Nous soutenons la sécurité et l'armée dans leur combat contre le terrorisme wahhabite", dit la pancarte.
Puis ce fut le 14 janvier 2011: une révolution portée par un rêve de liberté, des forces de l'ordre se confondant en excuses, un peuple disposé à oublier et à tourner la page...
Mais la réconciliation n'a vraiment eu lieu que lorsque les agents de l'ordre sont devenus une cible privilégiée des terroristes et qu'un certain nombre d'entre eux trouvèrent la mort dans des accrochages avec des groupes salafistes jihadistes.
En prenant conscience du prix élevé, en sang et en larmes, que les agents de l'ordre ont payé pour assurer leur sécurité, les citoyens ont fini par enterrer la hache de guerre et tendre la main à ceux qui se mettent eux-mêmes en danger pour les protéger et préserver l'unité de la patrie.
Par leurs actions citoyennes, les syndicats de police ont beaucoup rapproché les forces de l'ordre des citoyens.
Des associations, telle que Islah (Réforme), se sont données pour mission de réduire le fossé et rétablir la confiance entre les deux parties. On n'a pas tardé à voir des citoyens manifester aux côtés des policiers, agitant des pancartes et scandant des slogans appelant au respect des agents de l'ordre et à la défense de leurs intérêts.
Dans la rue, les agents de l'ordre sont devenus moins ombrageux, plus abordables, plus souriants, allant même jusqu'à être aimables, eux qui avaient tant usé de la matraque pour mâter les manifestants pacifiques.
Le 23 octobre dernier, on a vu les manifestants offrir des roses aux policiers et entonner l'hymne national avec les responsables des syndicats des forces de sécurité... «Ensemble, nous combattrons le terrorisme» était le mot d'ordre des deux parties.
Mais alors que tout semblait aller pour le mieux dans le meilleur des mondes possible, vendredi 25 octobre, un jeune conducteur s'est fait tirer dessus par la police dans le quartier d'Ennasr à Tunis. Ce dernier avait refusé d'obtempérer à un ordre de s'arrêter. Devenu suspect, il a été pourchassé. Et au moment de l'interpellation, un policier a tiré sur le conducteur qui, dans un geste brusque, s'est baissé pour chercher quelque chose. Geste interprété comme une tentative de riposte armée. Et le coup est parti...
L'homme, gravement blessé, n'est pas un terroriste. C'est un jeune homme imbibé d'alcool, rebelle ou inconscient, et qui a pris de mauvaises décisions à un moment où le pays était en guerre contre les groupes terroristes et les agents de l'autre en état d'alerte maximale.
«Incompétents», «éternel voyous» et «enfants de Zaba»
Il ne fallait pas tant pour que les policiers soient de nouveau pris à partie, sur les réseaux sociaux, traités d'«incompétents», d'«éternel voyous» et d'«enfants de Zaba». «Ils sont lâches; ils ne changeront jamais», a tranché un internaute, le même qui, quelques jours auparavant, vantait le courage, le dévouement et le sens du sacrifice des agents de l'ordre qui se sont fait tirer dessus à Goubellat, Sidi Ali Bouaoun et Menzel Bourguiba...
Les débats se poursuivent encore à ce propos : certains tentent de justifier l'acte des policiers, vu la situation sécuritaire dans le Tunisie, d'autres les accablent et affirment qu'ils ne pourront jamais être des alliés du peuple. Des internautes jouent les modérateurs et tentent d'argumenter pour éviter que la division ne s'installe de nouveau entre les citoyens et les policiers.
Loin des crêpages de chignons, on retiendra que l'une des priorités, aujourd'hui, en Tunisie, est de rétablir la sécurité. La police, qui est sur le terrain, y veille jour et nuit. C'est elle qui patrouille dans les zones difficiles et pourchasse les bandits et/ou terroristes. On lui demandera seulement de se comporter en police républicaine, qui protège les citoyens et, surtout, respecte la loi.
Prendre de bonnes décisions et agir avec le maximum de professionnalisme pour éviter les bavures.
Malgré les difficultés auxquelles elle devra faire face dans l'urgence, elle ne doit pas se laisser déborder par l'émotion et le stress pour garder la tête froide, prendre de bonnes décisions et agir avec le maximum de professionnalisme... De manière à éviter des bavures comme celle survenue vendredi 25 octobre, au quartier Ennasr, à Tunis.