Qu'est-ce qui a poussé Ridha Hosni, diplômé de 31 ans, à se donner la mort en s'immolant par le feu, à Amdoun, gouvernorat de Béja (nord-ouest)? On craint dans la région que d'autres jeunes dans la précarité suivent l'exemple.
Par Yüsra N. M'hiri
Ridha Hosni, née en 1982 dans une famille pauvre du quartier Weld Hassan à Amdoun, est l'ainé de 4 enfants et le seul à avoir poursuivi des études et rêvé d'un meilleur avenir, qui lui permettrait de sortir de la détresse sociale et d'aider sa famille, et notamment sa maman, veuve âgée et malade.
Le bac, la maîtrise et après?
Après avoir obtenu son bac lettres en 2005, Ridha quitte Béja pour suivre des études en histoire à la Faculté des lettres de Manouba à Tunis. En 2007, il obtient le diplôme universitaire d'études littéraires (DUEL, histoire), et, en 2009, une maîtrise en sciences humaines et sociales.
La maîtrise en sciences humaines et sociales n'aura donc servi à rien.
Le diplôme en poche, il tente de trouver du travail d'abord à Tunis, puis dans les autres régions, en vain. De retour au bercail, quelques mois après, il décide d'écrire aux autorités locales pour demander un emploi d'urgence afin de subvenir aux besoins de sa famille démunie de toute ressource. Plusieurs lettres restées sans réponse, des rendez-vous infructueux, le temps passe et Ridha ne trouve toujours pas de travail. Il voit l'état de santé de sa maman se dégrader et se sent incapable d'aider celle qui a longtemps travaillé comme femme de ménage pour le nourrir, l'éduquer et l'aider à terminer ses études.
Samedi 28 décembre, Ridha, désespéré par une situation financière et sociale difficile et à laquelle il ne trouve aucune issue, s'asperge d'un produit inflammable et met le feu à son corps. Conduit aux urgences, il perd la vie le lendemain. Il est enterré, lundi 30 décembre au matin, emportant avec lui sa frustration et son désespoir.
Chokri, un ami de la famille, décide de médiatiser le drame de Ridha, pour expliquer les raisons qui l'ont poussé au suicide, mais aussi pour sensibiliser les Tunisiens à la nécessité d'agir pour mettre fin à la série noire des suicides par le feu. «La région d'Amdoun compte beaucoup de chômeurs et la majorité de ses habitants vit dans la précarité. Les autorités devraient nous venir en aide pour que nos jeunes ne se sentent pas marginalisés», explique-t-il à Kapitalis.
Selon notre interlocuteur, les autorités de Béja ont voulu étouffer le drame et éviter sa médiatisation en prétendant que Ridha Hosni a commis son acte extrême parce qu'il souffrait de troubles mentaux. «Ridha n'était pas malade. Il souffrait de la misère, voilà sa maladie, celle de tant d'autre jeunes dans la région», dit-il, ajoutant que «les autorités sont responsables de sa mort».
Le gouvernement n'aura plus à trouver du travail pour Ridha Hosni.
Le gouvernement a la tête ailleurs
Chokri craint que «d'autres drames semblables suivraient, si la région reste marginalisée et que ses jeunes continuent de vivre dans des conditions difficiles et insupportables». Et c'est parce qu'ils veulent absolument éviter cette situation que les habitants de Amdoun et de ses environs ont appelé à médiatiser le drame de Ridha, devenu emblématique de la souffrance des les jeunes dans la région.
Entre 2010 et 2013, près de 190 personnes se sont immolées par le feu en Tunisie. Cet acte de désespoir absolu est généralement le fait de chômeurs et de déshérités, de toutes tranches d'âge.
La révolution a inspiré des rêves de prospérité aux Tunisiens et, particulièrement, aux jeunes d'entre eux. Mais, trois ans après, ces derniers se trouvent confrontés aux mêmes difficultés, qui se sont même aggravées: chômage endémique, appauvrissement et, surtout, absence de perspective.
«Au lieu de penser à créer un Fonds de la dignité au profit des victimes de la dictature, le gouvernement en place aurait été plus inspiré de créer un fonds pour aider les chômeurs et les pauvres, notamment dans les régions déshérités, qui ont davantage besoin d'être aidés que ceux qui ont fait la prison pour avoir défendu des idéologies politiques», conclue Chokri.