La question du port du niqab (voile intégrale) oppose en Tunisie l'approche sécuritaire, qui y voit une menace potentielle, et celle qui voit dans son interdiction dans les lieux publics une atteinte aux libertés individuelles. C'est cependant la première approche qui semble prédominer.
Par Dorsaf El Aifi
Dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, les autorités tunisiennes ont annoncé récemment le renforcement des procédures de contrôle d'identité de toute personne portant le niqab particulièrement dans les espaces publics et dans les grands centres commerciaux, et ce dans le strict respect de la loi.
«Cette mesure a été prise en raison des menaces terroristes enregistrées dans le pays et en raison du recours de suspects au niqab (...) pour se déguiser et fuir la justice», a expliqué le ministère de l'Intérieur, qui a demandé la «compréhension de tous» afin d'«aider les unités sécuritaires à faire leur travail».
Cette décision a été prise au lendemain de l'arrestation, lundi 10 février, d'un homme dangereux, recherché pour des actes de violence, et qui se déplaçait déguisé en niqab, réussissant ainsi à échapper à la vigilance de la police durant 8 mois.
De dangereux chefs terroristes, tel le chef d'Ansar Charia, Abou Iyadh, ou encore le n° 2 de cette organisation terroriste, Kamel Zarrouk, ont pu, eux aussi, échapper à la police qui encerclait la mosquée où ils venaient de faire leur prêche en recourant au même stratagème.
L'imam de la grande mosquée Zitouna Houcine Laâbidi: «Je défie quiconque de me montrer un seul verset coranique ou hadith du Prophète mentionnant le niqab».
Le port de niqab par la femme est certes une liberté personnelle mais lorsqu'il devient une menace pour la stabilité sociale en servant de déguisement pour de potentiels terroristes, les données changent et les autorités publiques sont contraintes d'agir dans le sens de l'intérêt général.
Il convient ici de remarquer que la décision de renforcer le contrôle d'identité de toute personne portant le niqab, particulièrement dans les espaces publics, a été critiquée par certains extrémistes religieux, tel que l'imam Khamis Mejri, qui y a vu une atteinte à la religion et une grave entorse à la charia (loi islamique). Il n'en reste pas moins que des hommes de religion l'ont fermement soutenue.
C'est le cas, notamment, de Houcine Laâbidi, l'imam de la grande mosquée Zitouna de Tunis, qui a tranché: «Le niqab n'est pas prescrit par l'islam». Il s'agirait même, selon lui, d'un habit chrétien porté par les sœurs. «Je défie quiconque de me montrer un seul verset coranique ou hadith du Prophète mentionnant le niqab», a-t-il lancé, ajoutant: «Cette tenue, qui n'est pas la nôtre, a servi en Italie pour faire passer de la drogue et ailleurs en Europe, pour faire passer des armes lors des 2 guerres mondiales». Dans une déclaration à l'agence Tap, le cheikh Laâbidi a même estimé que «le niqab doit être proscrit lorsqu'il devient un moyen de déguisement utilisé par les terroristes».
Pour le mufti de la République, Hamda Saïed, qui a dû s'inviter dans la polémique, les quatre principales écoles islamiques, en particulier pour la doctrine malékite, dominante en Tunisie, situent le port du niqab, du point de vue de la charia, «à mi-chemin entre la sunna et le bon vouloir de chacun», ajoutant que «les textes authentifiés accordent la préférence au hijab (voile partiel), au détriment du niqab (voile intégral)».
Le mufti de la république Hamda Saied: «Le détenteur de l'autorité est fondé à restreindre le champ de ce qui est habituellement permis».
Le mufti répondait ainsi par écrit à une question posée par l'agence Tap sur l'interdiction du port du niqab pour des raisons sécuritaires. «Du point de vue charaique, le détenteur de l'autorité est fondé à restreindre le champ de ce qui est habituellement permis, s'il y va de l'intérêt patent de la oumma (nation islamique, NDLR), à commencer par la nécessaire préservation de la vie contre toutes éventuelles menaces», a-t-il expliqué.
Cheikh Hamda Saïed a cependant préconisé de modérer la restriction du niqab et d'éviter, à la fois, «l'excès et la négligence», le plus important étant, à ses yeux, de s'en tenir à l'objectif recherché, c'est-à-dire la protection du public d'éventuelles menaces.
Certains trouvent le niqab, ce voile noir couvrant le visage à l'exception des yeux, étranger à la société et à la culture tunisienne et estiment que les habits féminins traditionnels tunisiens comme le «sefsari» et le «hayek» sont plus proches du voile que portaient les épouses des compagnons du Prophète.
Le port du niqab, qui a connu un essor après la révolution de janvier 2011, avec le retour en Tunisie de nombreux exilés «convertis» au salafisme wahhabite et les tournées de prédicateurs extrémistes, saoudiens ou autres, invités par des associations proches du parti islamiste Ennahdha, pose aujourd'hui un grand problème dans un pays en phase de construction démocratique, où les libertés doivent être défendues et, en même temps, des mesures de contrôle sécuritaire renforcé sont prises au risque de limiter certaines libertés, comme la liberté vestimentaire.