Une nouvelle enquête démontre que la Tunisie, malgré les progrès sociaux enregistrés, a encore du chemin à faire en matière d'émancipation féminine.
Par Yassine Yousfi
Sigma Conseil a présenté, jeudi 27 mars, à l'hôtel de Paris, à Tunis, sa dernière enquête réalisée dans le cadre du projet Afrobaomètre.
Cette enquête, présentée dans le cadre d'une table-ronde consacrée au statut de la femme en Tunisie et la région de l'Afrique du Nord, a porté sur le rôle et les progrès réalisés par les femmes en Tunisie, en Afrique du Nord et subsaharienne.
Une influence grandissante de la religion
Les résultats de cette enquête, effectuée dans le cadre d'Afrobaromètre, un projet de recherche indépendant et non partisan qui évalue l'environnement social, politique et économique en Afrique, ont été présentés par Hassen Zargouni, directeur de Sigma Conseil, en présence de plusieurs figures féminines, sociales et politiques.
Pour les besoins de l'étude, menée dans tous gouvernorats, 1.250 tunisiens (homme et femmes) ont été sondés, entre janvier et février 2014, un échantillon représentatif à 75% et avec une marge d'erreur évaluée à 2%.
Si certains résultats relatifs aux acquis fortement ancrés dans le vécu social, tels que la monogamie ou le divorce, confortent l'image d'un peuple tunisien moderne et libéral, les conclusions générales sont cependant plus nuancées et attestent une influence grandissante de la religion sur tous les aspects de la société.
Avec 80% des Tunisiens affirmant que la femme doit avoir les mêmes droits que l'homme et 72% des Tunisiennes estimant qu'elles ont une liberté totale d'expression, l'étude a démontré que la femme, en Tunisie, bénéficie d'un meilleur statut que dans le reste du continent africain. La Tunisienne reste donc un modèle porteur d'espoir pour toutes les femmes de la région, qui ont encore des difficultés à faire valoir leurs droits politiques, culturels, sociaux et humains, comme l'a constaté Mohsen Marzouk, membre du bureau exécutif du parti Nida Tounes.
«Je pense que les chiffres évoqués par l'étude sont plutôt satisfaisants. La femme tunisienne bénéficie d'un statut qui favorise son émancipation. Elle a su, durant les cinquante dernières années, s'installer dans les meilleurs rangs sociaux grâce à une politique tunisienne clairvoyante qui a toujours misé sur l'importance du rôle de la femme en tant qu'acteur à part entière», a dit M. Marzouk.
L'enquête a, par ailleurs, indiqué que la majorité des Tunisiens sont pour l'accès égal des hommes et des femmes à l'éducation et au travail, mais elle a également démontré que 1 Tunisien sur 4 n'est pas favorable à l'égalité des chances entre les deux sexes dans l'accès à la vie politique et aux postes de leadership. L'opposition à cette égalité est non négligeable : 4 personnes sur 10 ne conçoivent pas, en effet, la femme dans un poste de leadership.
«Cette étude confirme que les droits de la femme tunisienne sont encore loin des attentes. Je pense que l'égalité homme-femme sur le plan politique n'est pas assez valorisée, d'autant qu'on trouve toujours des femmes qui ne militent pas pour ce droit, ce qui contribue davantage à la discrimination de son statut», a indiqué, à ce propos, Lobna Jeribi, élue du parti Ettakatol.
Le taux d'activité féminin en 2014 révélé par l'enquête ne dépasse guère, en Tunisie, 26,9%, contre 70,1% pour les hommes. La même année, les femmes ont connu un taux de chômage record de 28,2%, contre 15,4% pour les hommes. Pourtant, et c'est là un paradoxe bien tunisien, à l'université, les filles sont plus nombreuses que les garçons. Conséquence de cette anomalie: la Tunisie se classe au 6e rang parmi les 34 pays qui ne donnent pas la priorité aux garçons sur les filles quand le budget de scolarité est limité. On aurait imaginé qu'elle se situerait au 1er rang continental, or ce n'est pas le cas.
Conclusion : la Tunisie, malgré les nombreux progrès sociaux enregistrés, a encore du chemin à faire en matière d'émancipation féminine et de l'égalité des sexes.