Le Pôle démocratique moderniste (Al-Qotb) propose un projet d'amendement de la loi 52, relative à la consommation et à la détention de produits stupéfiants.
Par Yüsra N. M'hiri
Le projet, soumis depuis vendredi 23 mai courant au chef du gouvernement provisoire Mehdi Jomaa, a été présenté, lors d'une conférence de presse, mardi 27 mai, à Tunis.
La loi 92-52 prévoit une peine d'emprisonnement de 1 à 5 ans et une amende de 1000 à 3000 dinars pour les consommateurs et détenteurs des produits stupéfiants. Elle a été promulguée en 1992 par le régime Ben Ali et servait à combattre les dealers qui faisaient concurrence à Moncef Ben Ali, le frère de l'ex-président, grand dealer devant l'Eternel, poursuivi à l'époque en France dans le cadre de l'affaire de la «Couscous Connection», a rappelé Riadh Ben Fadhl, coordinateur d'Al-Qotb, ajoutant que cette loi a ensuite servi dans le cadre de la répression policière. «Certains policiers continuent encore à l'utiliser pour faire taire certaines voix qui dérangent», a souligné M. Ben Fadhl, estimant que ce texte est dépassé, qu'il a un impact négatif et qu'il doit, pour toutes ces raisons, être révisé.
Riadh Ben Fadhel.
Prévention, soins et législation
Dans ce cadre, Al-Qotb appelle à un dialogue national auquel prendraient part les élus de l'Assemblée et qui plancherait sur des solutions basées sur la prévention, les soins et une nouvelle législation.
«La consommation est devenue un phénomène social, auquel il faut trouver des solutions concrètes», a souligné Riadh Ben Fadhl, avant de céder la parole aux jeunes membres du bureau exécutif du parti qui ont eux aussi leur opinion sur le sujet.
Abderrahmen Boukhris a expliqué que la loi 92-52 existe depuis 22 ans et qu'elle n'a pas dissuadé les jeunes de consommer du cannabis. «Au contraire, la consommation de stupéfiants ne fait qu'augmenter», a-t-il fait remarquer, avant de dénoncer l'utilisation de cette loi par certains policiers pour justifier leurs dépassements.
«Si une interpellation tourne au vinaigre, le policier n'a qu'à soumettre l'interpelé à un examen d'urine, lequel se fait sans aucun contrôle», a déploré Abderrahmen Boukhris. «C'est une loi qui n'est plus en phase avec notre temps. Souvent utilisée pour justifier un délit de faciès, elle a, en plus, un impact négatif sur l'économie du pays car elle ouvre la voie à la corruption», a-t-il ajouté.
Me Ramzi Jebabli a indiqué, pour sa part, que la procédure ne permet aucun contrôle et que l'examen a lieu sans autorisation du procureur. «Tout se passe de nuit. Les arrestations pour consommation se font à des heures où les administrations sont fermées et les avocats des interpellés ne sont même pas présents», a fait aussi remarquer le jeune avocat, avant de révéler les nombreux cas d'«injustice» dont il a eu connaissance.
Abderrahmen Boukhris, Ramzi Jebabli et les jeunes d'Al-Qotb.
«En vertu de cette même loi, un fumeur passif, qui inhale incidemment la fumée d'un joint, est arrêté et jugé de la même manière qu'un consommateur habitué. La justice devrait requalifier ce qui est appelé ''consommateur''», a insisté Me Jebabli.
Il a évoqué aussi le cas d'un jeune qui achète du cannabis pour ses amis et qui est, de ce fait, considéré comme un dealer, la loi 92-52 ne dissociant pas entre un «acheteur» et un «dealer». Il est donc nécessaire de requalifier la quantité détenue par les personnes pouvant être qualifiées de dealers.
Des jugements systématiques
Par ailleurs, la loi 92-52 ne concède au juge aucun pouvoir de jugement ou de réduction de peine. «Nous sommes souvent face à des jugements systématiques», a déploré Me Jebabli.
Al-Qotb a tenu à préciser qu'il n'encourage aucunement la consommation du cannabis, mais reproche à la loi 92-52 un caractère plus répressif que préventif et s'indigne du manque de soins dispensés aux consommateurs dépendants. «Le centre de sevrage de Jebel El-Ouest est fermé depuis 2011. Il y a un second centre à Sfax, mais il faut attendre 6 mois pour obtenir un rendez-vous dans cet établissement qui ne possède que 40 lits», a encore déploré Abderhamen Boukhris.
Et puis, il faut comprendre les difficultés qu'éprouverait un consommateur à décider de se rendre de lui-même dans un centre de soin. La sévérité de la loi, qui risque de le jeter derrière les barreaux, le fait réfléchir à 2 fois avant de se hasarder à déclarer à une autorité, même uniquement sanitaire, qu'il consomme du cannabis.
Affiche de la campagne contre la Loi 92/52, une "loi hors-la-loi".
Les intervenants ont soulevé un autre aspect du problème qu'ils jugent encore plus grave: certains jeunes fuient le cannabis pour éviter la prison et consomment des substances très dangereuses, notamment le Subutex, un traitement de substitution pour les toxicomanes. Mais s'ils évitent ainsi un examen positif à la consommation de cannabis, ils ne mettent pas moins leur santé en danger.
Conclusion : la loi 92-52 doit être révisée en tenant compte de tous les abus et dérives qu'elle a induits, mais pas seulement. Il faut agir aux niveaux de l'accompagnement social et sanitaire et de la sensibilisation.
{flike}