Kapitalis rend visite à Mehdi Ouji, conseiller municipal bénévole à la mairie d'El-Mourouj, qui s'est brûlé au 3e degré pour avoir tenté de sauver un homme qui s'est immolé par le feu.
Par Yüsra N. M'hiri
Plus de 2 mois après les faits, nous-nous sommes rendus au domicile du jeune homme, en compagnie de Mohamed Sghaier Dhifi, Sadok Ghodhbani et Fathi Abaza, membres du comité de soutien du héros malgré lui.
Le quartier est populaire, la maison modeste et la famille Ouji accueillante et aimable.
Le 12 avril dernier, Mehdi arrive à la mairie d'El-Mourouj (banlieue sud de Tunis) où il travaille bénévolement comme président de la section des jeunes. Il voit une foule devant le bâtiment. «Ce jour-là, en me réveillant, j'avais un étrange pressentiment que quelque chose de néfaste allait se passer», nous confie-t-il.
Un homme sur le toit
En s'approchant de la foule, il remarque un homme perché sur le toit de la mairie, qui menace de mettre le feu à son corps. C'est un marchand ambulant qui exige une autorisation pour son commerce de fortune. Il est originaire de Rouhia, gouvernorat de Siliana, et sa situation financière est déplorable.
Mehdi sent le danger et prend au sérieux les menaces de l'homme désespéré. Face au silence de plomb des présents, qui assistent à la scène comme simples «spectateurs», il décide d'agir et rejoint le marchand ambulant sur le toit.
Mehdi voudrait pouvoir essuyer les larmes de ses parents.
«Je pensais qu'il allait se jeter du toit, mais je l'ai vu s'imbiber de produit inflammable et là j'ai compris qu'il allait se brûler», raconte Mehdi, avec une petite voix, entrecoupée de longs soupirs. Il poursuit: «Je me suis jeté sur lui, pour l'éloigner du bord du toit et l'empêcher de se jeter dans le vide. Soudain, il a allumé son briquet et s'est agrippé à moi. Et c'est ainsi que nous avons brûlé ensemble».
Tout est allé très vite
Mehdi se débat et saute à travers la fenêtre qui mène au bureau du maire. Les secours tardent et ce sont des agents de la mairie qui ramènent des extincteurs et parviennent à éteindre le feu qui brûle déjà son corps.
Tout est allé très vite, Mehdi a par la suite souffert le martyr. Au Centre de traumatologie et des grands brûlés de Ben Arous, il a bénéficié des mêmes soins et dans la même chambre que le marchand, qui ne cessait de crier: «Mon Dieu, qu'ai-je fait à ce jeune homme? Faites qu'il s'en sorte !». Quelques jours plus tard, il a demandé à Mehdi de lui pardonner... avant de rendre l'âme.
Le 17 juin, Mehdi obtient une autorisation des médecins lui permettant de quitter l'hôpital et de poursuivre ses soins à la maison, à condition d'y revenir un jour sur 2 pour changer les pansements.
«Hier, j'ai beaucoup souffert: ils ont du gratter pour nettoyer les plaies infectées», nous dit-il. On lit dans les ses yeux, à la fois, la détresse, l'endurance et le courage.
Il nous dira que si c'était à refaire, il le referait de la même manière, car son acte était dicté par un élan d'altruisme. Il avoue cependant être passé par des moments de grand désespoir et d'avoir voulu en finir une fois pour toutes, tant les douleurs étaient atroces et insupportables. «J'étais tiraillé entre deux choix, plus douloureux l'un que l'autre, vivre et souffrir ou tout lâcher et mourir», dit-il. Il poursuit: «Ma famille, ma fiancée Nahed, mes camarades m'ont beaucoup soutenu. Sans eux, je ne m'en serais jamais sorti». Ses yeux sont pleins de larmes, mais il se retient de pleurer : sa peine n'a d'égal que son courage et sa détermination à poursuivre le combat.
Dans la petite chambre où est alité «Mahdouch» comme l'appellent ses proches, il n'y pas de climatiseur, mais un simple ventilateur, faisant brasser un air presque chaud...
«Essuyer les larmes de mes parents»
Mehdi, âgé de 29 ans, diplômé en commerce international, est chômeur. Il vit avec ses parents et ses 3 sœurs dans une maison familiale au quartier El-Morouj 3. Leurs ressources sont très limitées. Le père est retraité, la maman au foyer et le jeune homme a plus que jamais besoin d'aide.
Mehdi en compagnie des 3 membres de son comité de soutien, de G à D: Sadok Ghodhbani, Fathi Abaza et Mohamed Sghaier Dhifi.
Le comité de soutien nous apprend que les autorités locales ont rendu visite au «héros», notamment des responsables de l'Union générale tunisienne du travail (UGTT), de l'Union des diplômés chômeurs (UDC) et Mohamed Ali Aroui, le porte-parole du ministère de l'Intérieur. Il a aussi été soutenu par Hamma Hammami, leader du Front populaire, son épouse, l'avocate et militante des droits de l'homme Radhia Nasraoui, et beaucoup de leurs camardes du Front.
L'Institut national de la statistique (INS) a pris en charge les frais d'hospitalisation, puisque Mehdi effectuait, au moment des faits, un stage dans le cadre de la préparation du recensement de la population, et que l'incident a été considéré comme un accident de travail.
Reste que le chemin de la guérison est encore long et les soins et médicaments très couteux... L'acte héroïque de Mehdi aurait dû inciter les autorités à lui venir en aide. Il n'en fut rien. Mais il n'est jamais trop tard pour bien faire. «Je veux travailler et me marier... Et, surtout, essuyer les larmes de mes parents et de mes proches qui en ont assez versées», dit-il. Est-ce si difficile d'exaucer un tel voeu ?
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