Selma Béji ne se serait jamais installée aux Etats-Unis si elle n'avait été une grande nageuse qui avait remporté trois titres nationaux, jusqu'à ce jour imbattables.
Par Marwan Chahla
La nageuse tunisienne n'aurait jamais choisi de vivre à Pittsburgh, en Pennsylvanie (nord-est des Etats-Unis), si son chemin n'avait croisé celui d'un immigré palestinien, Malek Aburas, dont l'emploi à la US Steel Corporation lui a valu, il y a un peu plus d'un an, une promotion et une mutation au siège de la multinationale de l'acier sur la Grant Street.
Un tournant décisif
Dans le cadre de son projet Odysseys (Odyssées), qui consiste à retracer l'itinéraire des différents immigrés venus de 193 pays du monde pour faire leur vie aux Etats-Unis et à tenter d'expliquer les raisons qui ont poussé certains ressortissants étrangers à élire domicile à Pittsburgh, le quotidien ''Pittsburgh Post-Gazette'' (PG) a décrit, la semaine dernière, le périple de la nageuse tunisienne, sous le titre de «Pittsburgh suits Tunisian woman swimmingly» (Pittsburgh convient parfaitement à une Tunisienne) .
La vie de Selma Béji a pris un tournant décisif, en 2002, lors de sa participation, à l'âge de 18, aux Championnats du monde de la Fédération internationale de natation (Fina), en tant que membre de l'équipe de Tunisie. Ses performances, alors, lui ont valu un recrutement par l'université américaine de l'Alabama, sud des Etats-Unis, et le début d'une nouvelle vie. «Il était hors de question de refuser pareille offre», confie-t-elle au ''PG'', «en tant qu'athlète, ajoute-t-elle, il vaut toujours mieux de concourir avec les meilleurs en Europe ou en Amérique».
Cette chance était double pour Selma Béji puisqu'elle allait pouvoir concilier carrière sportive et obtention d'un diplôme universitaire américain qui pourrait lui être d'une grande utilité le jour où elle déciderait de rentrer au pays. «Avec des études aux Etats-Unis, vous pouvez décrocher facilement un bon emploi en Tunisie», explique-t-elle.
Le choc culturel
Selma Béji-Aburas raconte le choc culturel qui l'attendait le jour où, en 2003, elle arriva à l'Université de l'Alabama, dans le Sud profond des Etats-Unis: très vite, la jeune nageuse tunisienne, qui a été élevée à un régime régulier de films hollywoodiens, a découvert que la réalité américaine était tout à fait différente, «bien plus difficile, voire mortelle», se rappelle-t-elle.
A Tuscaloosa (à plus de 300 kilomètres de Mobile, capitale de l'Alabama), Selma Béji avait le sentiment d'être perdue. Pire, elle était convaincue qu'elle ne pourrait jamais s'adapter: elle avait le sentiment qu'elle ne pourrait jamais trouver place parmi la population de la ville qui trouvait son anglais imparfait et son accent, un mélange mélodieux de l'arabe et du français, «trop exotique». «Les gens, dit-elle, n'étaient pas ouverts et ils me posaient très souvent la question: 'Que faites-vous ici?'»
C'est pour cette raison, explique-t-elle, qu'elle a choisi de vivre à Pittsburgh: «Ici, personne ne vous pose de question ou ne semble accorder d'importance à votre origine. Tout simplement parce que, dans cette ville, tout le monde vient de quelque part».
Selma Béji, Malek Aburas et leur bébé.
Une blessure à l'épaule mettra fin à la carrière de la nageuse tunisienne, mais, elle avait déjà tracé une bonne voie à sa vie: son diplôme de l'Université d'Alabama en poche, elle a obtenu un premier emploi à Birmingham et décidé de poursuivre encore ses études universitaires.
Entretemps aussi, l'ancienne membre de l'équipe tunisienne féminine de natation a rencontré Malek Aburas, un Jordano-palestinien, qu'elle a épousé. Il y a deux ans, la naissance de leur fils Sami allait déterminer quasi-définitivement la décision de Mme Béji-Aburas de rester aux Etats-Unis et de mettre entre parenthèses le retour en Tunisie, «surtout que les choses semblent avoir du mal à se stabiliser (après la Révolution, NDLR)», dit-elle.
Un bon équilibre
Depuis 2013, le couple «américano-tuniso-palestinien» vit à Pittsburgh et Selma et Malek Aburas travaillent en centre-ville: elle est experte supérieure en finances auprès de BNY Mellon, et lui haut cadre en fiabilité et maintenance à la US Steel. A leur arrivée à Pittsburgh, ils ont habité un appartement dans les Heinz Lofts, en centre-ville, et, il y a quelques mois, ils ont emménagé au Mount Lebanon, un quartier huppé dans la banlieue de Pittsburgh.
Sur son adaptation facile à la vie à Pittsburgh, Selma Béji a les idées bien claires: pour elle, «tout d'abord, il faut que l'immigré se mette en tête le fait qu'il vit aux Etats-Unis. Il s'agit d'un bon équilibre entre savoir que c'est ici que nous travaillons et vivons et le fait que nous venons d'ailleurs».
Sur ce qu'elle aime à Pittsburgh, Mme Béji-Aburas n'hésite pas un seul instant: «la ville est d'une grande diversité et d'une grande ouverture: par exemple, vous traversez la rue et vous allez trouver toutes les cuisines du monde», s'émerveille-t-elle.
Elle s'étonne également qu'il y ait à Pittsburgh un nombre aussi important de mosquées – et, là, le contraste est flagrant, selon elle, avec le sud des Etats-Unis. A Pittsburgh, elle n'a jamais eu le sentiment d'être une étrangère. Elle trouve dans la ville toutes les ethnies, toutes les traditions et cultures du monde et tous les accents possibles et imaginables.
Selma Béji est rassurée sur le sort de son fils: «Je suis sûre que notre fils, Sami, n'aura jamais le sentiment que seuls ses parents sont originaires d'une autre partie du monde».
A l'évocation de la Tunisie, Selma Béji aura toujours un petit pincement au cœur: ses parents, sa sœur, ses amies, les senteurs et les saveurs de son pays, la Méditerranée, etc., tout cela lui manque. Mais Mme Béji-Aburas est convaincue qu'elle n'a pas perdu au change, car, pour elle, «les Etats-Unis, c'est le pays de toutes les opportunités: j'aime travailler ici. Je suis nettement plus productive», conclut-elle.
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