Depuis le lundi 5 janvier 2015, les étudiants des écoles nationales d'ingénieurs sont en grève. Le scénario de l'année blanche n'est pas exclu.
Par Moncef Dhambri
En effet, les cours sont suspendus, la plupart des examens semestriels n'ont pas eu lieu et la confusion est totale.
Le nouveau ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, Chiheb Bouden, avoue «ne plus comprendre le fond du problème.»
Il s'inquiète. Il s'étonne: «Les étudiants sont venus nous voir pour soulever un certain nombre de problèmes et poser un certain nombre de questions. Nous les avons écoutés. Nous leur avons dit que nous comprenons leurs inquiétudes, que nous approuvons sans aucune réserve le souci qu'ils mettent à défendre la qualité de l'enseignement supérieur, aussi bien au sein des institutions publiques que dans les établissements privés. Nous sommes également d'accord avec eux que les institutions d'enseignement supérieur privées se doivent de respecter les normes de qualité qui régissent les établissements étatiques. Là-dessus, il n'y a aucun doute. Nous leur avons expliqué également qu'un groupe de travail a été formé au sein du ministère, depuis le 23 décembre dernier, et qu'il travaille d'arrache-pied sur ce dossier de la réforme de l'enseignement supérieur privé, de sorte que ce dernier ne délivre pas des diplômes au rabais (...) Ce qui nous surprend, aujourd'hui, c'est que, malgré toute notre écoute, toute notre compréhension et notre bonne volonté, cette grève des étudiants ingénieurs se poursuive ainsi, alors qu'il ne devrait plus y avoir aucune raison à cela.»
Chiheb Bouden avoue «ne plus comprendre le fond du problème.»
«Quelle réponse donnerais-je aux employeurs?»
M. Bouden a expliqué, hier 12 février 2015, lors de l'émission ''Ness Nessma'', qu'il n'y a pas lieu d'en arriver à la suspension des cours et au boycott des examens. «Gardons le contact, conseille-t-il aux étudiants grévistes. Suivez les travaux de cette commission chargée de la préparation de la réforme en question. Si vous n'êtes pas satisfaits des résultats de ses travaux, faites-le savoir de manière pacifique, sans avoir à recourir à la grève. Portez, par exemple, un brassard rouge pour exprimer votre désaccord, mais poursuivez vos cours. Et nous tiendrons compte de votre insatisfaction».
M. Bouden insiste dans son appel à la reprise des cours: «Vous êtes en train de perdre du temps et votre temps est précieux. Et puisque nous sommes ici pour parler de la qualité de l'enseignement supérieur, je pense que nous ne pouvons pas dire que cette qualité sera garantie, si cette interruption des cours continue.»
Désarmé, accusateur et peut-être même menaçant, le ministre place les étudiants ingénieurs face à «leurs responsabilités». Il s'interroge: «Quelle réponse pourrais-je donner à un employeur qui sait qu'un étudiant en ingéniorat a interrompu ses cours pendant 6 semaines? Comment pourrais-je convaincre cet employeur que cet étudiant, après 6 semaines de grève, a obtenu la formation requise qui lui donne droit à un emploi? Et le problème se pose au niveau national tout autant que sur le plan international. Sachez que nous traitons avec des partenaires étrangers, des institutions universitaires étrangères! Que pouvons-nous dire à tous ces gens-là?»
Toutes ces interrogations resteront sans réponse, puisque les 2 étudiants invités par notre consoeur Meriem Belkadhi (Cheyma Hammami, étudiante à l'ENIM*, et Khalil Bouslimi, étudiant à l'ENIC**) ont, étrangement, quitté le plateau avant la 2e partie de la réponse de M. Bouden.
L'élève ingénieur Cheyma Hammami: «25% des ingénieurs tunisiens sont sans emploi».
«Un diplôme d'ingénieur pour 15.000 dinars»
Cheyma Hammami et Khalil Bouslimi sont, sans doute, repartis avec les mêmes idées qui les ont poussés, depuis un mois et demi, à faire la grève et qui les pousseront, très probablement encore, à la poursuivre: selon eux, il suffit de louer un appartement, de l'aménager en salles de classe et de déposer une demande auprès de l'autorité de tutelle pour obtenir une licence d'enseignement privé d'études d'ingéniorat. La participation au débat télévisé d'hier, sur Nessma TV, ne leur enlèvera pas de la tête ces idées selon lesquelles «il suffit de raquer 15.000 dinars pour obtenir un diplôme d'ingénieur (dans une école privée d'ingénieurs, ndlr)» et que 25% des ingénieurs tunisiens sont sans emploi.
Le face-à-face avec le ministre ne leur ôtera pas, non plus, cette certitude que, pour être étudiant dans une école d'ingénieurs, il faut réussir son baccalauréat avec une bonne mention, se soumettre au régime oppressant des écoles préparatoires nationales et réussir à un concours national hautement sélectif.
L'élève ingénieur Khalil Bouslimi quitte le plateau avec sa camarade Cheyma Hammami avant la fin de l'émission.
M. Bouden, lui-même ingénieur, ancien directeur de l'ENIT***, ancien directeur général de l'Enseignement supérieur et un homme qui est très certainement au fait des griefs des étudiants ingénieurs, ne semble pas avoir convaincu les 2 élèves ingénieurs. Les 15, 16 ou 17.000 de leurs camarades attendent encore de savoir s'ils vont quitter ou doubler – s'ils vont mettre fin à leur grève et sauver ce qu'ils peuvent de leur année universitaire ou jouer à ce jeu «suicidaire» qui les mènera tout droit dans le mur de l'année blanche.
Une année blanche, M. Bouden le sait certainement, signifierait le blocage de tout le système supérieur des études d'ingéniorat: les bacheliers de l'année 2014-2015 ne pourraient pas avoir accès aux écoles préparatoires et les étudiants des écoles préparatoires qui réussiront au concours national de la présente année ne seraient pas admis dans les écoles d'ingénieurs.
Un autre souci pour le gouvernement d'Habib Essid...
Notes:
* ENIM: Ecole nationale des ingénieurs de Monastir.
** ENIC: Ecole nationale des ingénieurs de Carthage.
*** ENIT: Ecole nationale des ingénieurs de Tunis.
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