Est-ce le juge Lassaad Chamakhi, le même qui avait acquitté Imed Trabelsi le 30 janvier 2010 dans une affaire de vol d’un yacht en France, qui a présidé mercredi l’audience publique du même accusé devant le tribunal de première instance de Tunis?
Si elle confirmée, cette information rapportée par nos confrères d’Europe 1 laisserait perplexe. Loin de nous l’idée d’émettre des réserves sur l’indépendance de nos magistrats, mais la désignation du même juge qui avait acquitté Imed Trabelsi dans une affaire ayant, en son temps, fait couler beaucoup d’encre, pour auditionner le même inculpé dans une nouvelle affaire de consommation de stupéfiants, est une décision que le parquet aurait dû se garder de prendre. Et pour cause: dans l’atmosphère de suspicion qui règne aujourd’hui dans le pays, pareille décision ne pouvait qu’alimenter les rumeurs et les doutes, sans doute infondés, sur l’indépendance de la justice et sa volonté de juger les membres de l’ex-clan au pouvoir. Une justice qui, plus est, avait été impliquée, avant le 14 janvier, sans doute à son corps défendant, dans le système d’impunité mis en place par ce même pouvoir.
On comprend le malaise qu’une telle décision est susceptible de provoquer et dont on se serait bien passé, en cette période marquée par le manque de confiance dans les institutions de l’Etat. D’autant que lors de l’audition d’hier, l’inculpé est apparu en costume et cravate, cheveux gominés, souriant, et presque provocateur. Il était certes menotté, et entouré par un important dispositif de policiers et de soldats, mais ne semblait pas très affecté de se retrouver dans le box des accusés, alors qu’il doit comparaître dans plus d’une vingtaine de procès, plus graves les uns que les autres, et qui pourraient lui valoir de passer le restant de sa vie derrière les barreaux. Faut-il s’étonner dès lors que, dans la salle d’audience et à l’extérieur, une foule en colère criaient des insultes et des grossièretés contre lui?
Me Mohamed Ghanmin, cité par l’Associated Press, a qualifié le procès de «scandale», en se faisant l’écho de protestations de confrères contre les «anomalies» qui entachent selon eux le procès. Me Ghanmi a cité l’absence du représentant du ministère public, susceptible d’entraîner la nullité de la procédure et l’irrégularité de l'expertise «faite sans ordonnance judiciaire», qui a donné des résultats positifs sur la présence de drogue dans le sang de l’inculpé. L’avocat de la défense Wissem Saïdi a axé sa plaidoirie contre ces vices de forme pour obtenir gain de cause en faveur de son client. Voilà qui a ajouté de la tension dans cette affaire qui n’en manquait pas.
C’est finalement sous la pression d’une foule survoltée que le procès d’Imed Trabelsi, arrêté le 14 janvier, a été reporté au 7 mai à la demande de la défense.
Imed Trabelsi, on le sait, avait été poursuivi sans succès en France pour «vols en bande organisée» pour s’être approprié en 2006 le yacht de Bruno Roger, l’un des dirigeants de la Banque Lazard et proche de l’ex-président français Jacques Chirac et de l’actuel chef de l’Elysée Nicolas Sarkozy. En mai 2007, la justice française avait émis un mandat d’arrêt à son encontre, mais la justice tunisienne avait refusé de l’extrader, avant de l’acquitter, lui et son complice, et cousin, Moez Trabelsi.
Z. A.
Lire aussi :
Imed Trabelsi et l’affaire des yachts volés en France (1/2)
Imed Trabelsi échappe à la justice française (2/2)