Selon la mairie de Paris, quelque 200 immigrés tunisiens se trouvent actuellement dans la capitale française «dans un état de grande précarité». Me Samia Maktouf, qui défend plusieurs migrants tunisiens, a dénoncé ces interpellations, qui «n’honorent pas la France».
Mardi, Bertrand Delanoë avait invité l’Europe, et la France en particulier, à les traiter avec «humanité et dignité». Il a chargé les associations France Terre d'asile et Emmaüs de mettre en place des dispositifs de soutien et d’accompagnement social et sanitaire, et d'accès à des hébergements hôteliers. Kapitalis reprend ici le texte du communiqué publié par M. Delanoë mardi.
«Je tiens à exprimer l’émotion et l’inquiétude que m’inspire l’attitude de l’Europe, et de la France en particulier, face à l’arrivée d’un peu plus de 20 000 immigrés tunisiens en Italie.
«Il est particulièrement alarmant de voir les autorités françaises se limiter, sur ce sujet majeur et qui concerne collectivement l’Union européenne, à des pourparlers bilatéraux aux conclusions étroites et aux arrière-pensées évidemment électoralistes. Cela n’est ni à la hauteur de la situation, ni à la mesure de l’Histoire.
«Le peuple tunisien vient de vivre, sans le soutien ni la solidarité des pays européens, une révolution dont les conséquences ont d’ores et déjà bouleversé toute une région du monde.
«Il subit une crise économique, aggravée par la désaffection des Européens pour ce pays si dépendant de l’activité touristique. Il accepte cependant d’accueillir, fidèle à sa tradition d’hospitalité, des milliers de réfugiés libyens, chassés de chez eux par la guerre. Dans ces conditions, voir l’Europe, et tout particulièrement le gouvernement français, réagir avec tant d’étroitesse et si peu d’humanité face à l’arrivée de quelques milliers d’immigrés tunisiens sur notre sol, m’inspire une véritable indignation.
«Pour les 20.000 migrants de ces dernières semaines, des solutions raisonnables et réalistes peuvent être trouvées. Elles doivent être recherchées dans le respect des personnes et du droit, qu’il s’agisse des accords de Schengen ou de la Convention européenne des Droits de l’Homme, en fonction des situations individuelles.
«En ce qui concerne les 200 immigrés tunisiens qui se trouvent aujourd’hui sur le territoire parisien, dans un état de grande précarité, notre municipalité, confrontée à l’indifférence de l’Etat, fera tout pour leur apporter des réponses adaptées à l’urgence. La Ville de Paris a donc décidé de missionner, aujourd’hui même, les associations «France Terre d’asile» et Emmaüs, pour mettre en place des dispositifs de soutien et d’accompagnement social et sanitaire, mais aussi d’accès à des hébergements hôteliers. Par ailleurs, la Ville renforcera son soutien aux associations, comme ‘‘la Chorba’’, qui assurent depuis plusieurs jours une aide alimentaire. Une première enveloppe de 100.000 euros sera consacrée à ces mesures d’urgence.
«Mais, sans se limiter à traiter les urgences, le devoir de notre pays est d’établir, en lien avec les autorités tunisiennes, une véritable logique de partenariat. Les jeunes diplômés tunisiens manquent de débouchés à la suite de leurs études : ce fut d’ailleurs l’une des causes directes du mouvement de janvier 2011. Aussi la France devrait-elle accueillir quelques milliers de jeunes Tunisiens, ainsi que d’ailleurs le prévoit déjà l’accord de coopération signé le 28 avril 2008 entre nos deux pays. Ces jeunes, qui pourraient ainsi débuter leur vie professionnelle en France, auraient ensuite vocation à rejoindre la Tunisie pour contribuer à son développement.
«Au nom de Paris, j’invite les autorités françaises à savoir répondre avec humanité et dignité à l’attente que des milliers de Tunisiens placent dans notre pays. Il serait très grave qu’en cette circonstance, quelques mois après la Révolution de Jasmin, l’Europe et la France passent, une fois encore, à côté de l’Histoire.
«La police nationale a procédé hier soir et ce matin, dans plusieurs arrondissements parisiens (10e, 17e, 19e et 20e), à des interpellations et à des placements en garde à vue de ressortissants tunisiens, égyptiens et libyens, pour ‘‘infraction à la législation sur le séjour’’.
«Ces interpellations sont choquantes. Elles s’inscrivent en contradiction flagrante avec les propositions ouvertes et réalistes que j’ai formulées dans un courrier adressé dès vendredi dernier au Ministre de l'Intérieur et pour lequel je n’ai reçu aucune réponse à ce jour. J’y demandais une étude au cas par cas, avec humanité et discernement, des situations individuelles tout en prenant en compte les demandes formulées au titre de la vie privée et familiale, comme le prévoit l’article 8 de la Convention européenne des Droits de l’Homme.
«Elles interviennent quelques heures après que la Ville de Paris ait décidé, faute de réponse du Ministère de l’Intérieur, de missionner les associations France Terre d’asile et Emmaüs pour évaluer la situation de chaque personne migrante et proposer des solutions adaptées.
«Je demande à l’Etat de cesser ces opérations de police qui ne sont pas à la hauteur de la situation et de nous appuyer dans la mise en œuvre avec les associations de solutions plus en phase avec le droit international et le respect de la dignité des personnes.»