Kapitalis a posé la question au Pr. Abdelmajid Zahaf, médecin et président de l’Atupret, l’Association Tunisienne de prévention de la Toxicomanie. Propos recueillis par Emmanuelle Houerbi
Kapitalis : Slim Amamou, secrétaire d’Etat auprès du ministère de la Jeunesse et des Sports, s’est déclaré sur une vidéo favorable à une «dépénalisation totale des drogues douces». En tant que président de l’Atupret, la lutte contre les drogues est-elle votre priorité?
Pr. Abdelmajid Zahaf: Tout-à-fait, mais ce n’est pas la seule. En tant que président de l’Association tunisienne de lutte contre les Mst et le sida, je m’attaque aussi aux problèmes liés à la santé reproductive, au sida et à la prostitution. Car n’oublions pas que, dans ce domaine, tout est imbriqué. Protéger la santé des jeunes et des moins jeunes suppose de s’attaquer en même temps à tous les dangers qui les guettent. Informer, expliquer, faire de la prévention, soutenir les personnes en souffrance et les malades sont notre activité quotidienne, tout en travaillant dans la mesure du possible en partenariat avec les politiques et les représentants de la société civile.
Que pensez-vous de la position de Slim Amamou préconisant la dépénalisation des drogues douces?
La question de la dépénalisation mérite d’être posée, mais le problème est beaucoup plus complexe et exige la plus grande prudence. Il ne fait aucun doute que nos lois doivent être assouplies et repensées, notamment pour les fumeurs passifs et les plus jeunes. Une peine de prison de plusieurs années pour des enfants de 15 ans, même récidivistes, est une abomination, ainsi que la condamnation des fumeurs passifs. Mais bien évidemment, on ne peut passer d’un seul coup du «tout-répressif» au «tout-permis», ce serait explosif. J’ajoute que nous assistons ces derniers mois à une augmentation préoccupante de la consommation du cannabis dans les lycées, et même à sa vente dans la rue. Donc encore une fois: prudence est mère de sûreté !
Certains affirment que les drogues douces sont moins dangereuses que le tabac ou l’alcool: qu’en pensez-vous?
Ce n’est pas mon avis. Par expérience, je peux affirmer que la plupart des toxicomanes ont commencé par le cannabis, puis l’ont petit-à-petit mélangé avec l’alcool et d’autres substances. Si la consommation récréative et occasionnelle de cannabis peut être sans risques, elle peut aussi rapidement faire sombrer dans l’addiction et la consommation de drogues dures, c’est un engrenage bien connu. J’ajoute que la consommation régulière de cannabis ou autres prétendues «drogues douces» peut avoir de graves conséquences sur la santé; elle attaque l’appareil respiratoire et peut engendrer chez certains enfants prédisposés des problèmes de schizophrénie et une diminution de l’immunité. Enfin, et ce n’est pas le moindre, conduire sous leur emprise multiplie par deux le risque d’accident de la route. Attention donc à ne pas les banaliser.
Que pouvez-vous nous dire sur des actions menées dans d’autres pays?
En général, les expériences menées ça et là plaident non pas pour une dépénalisation mais pour une régularisation contrôlée. Dans des pays voisins, par exemple, où règne un certain laxisme quant à l’application des lois, on observe une explosion de la consommation ces dernières années, ce qui constitue un véritable problème sociétal. Au Yémen, où un psychotrope comparable au haschich, le Qat, est tout-à-fait licite et en vente libre, la plupart des habitants le cultivent dans leur jardin et le mâchent du matin au soir! Enfin, je note qu’en Hollande, jusqu’ici paradis incontesté des fumeurs de haschich, l’heure est à un retour en arrière et à la réduction du nombre de points de vente spécialisés. La société dans son ensemble demande à revenir sur la dépénalisation et sur le fait de fournir la drogue aux jeunes de façon presque automatique. Mais un livre ne suffirait pas à faire le tour de cette question.
Centre d'aide et d'écoute des toxicomanes Tyna près de Sfax, géré par l'Atupret
Que préconisez-vous donc en matière de toxicomanie en Tunisie?
Tout d’abord, une stratégie globale de lutte contre la drogue doit prendre en compte l’ensemble des indicateurs sanitaires, économiques et sociaux, et doit être élaborée dans le cadre d’une politique de santé globale. Mais comme nous manquons cruellement de données chiffrées sur la situation de notre pays, ceci doit constituer une première étape. Ensuite, l’accent doit être mis sur la communication et la prévention, mais aussi sur l’accueil et le soutien des toxicomanes qui sont trop souvent livrés à eux-mêmes. Et dans tous les cas, cette question doit être placée tout en haut de la pile des dossiers à traiter par nos politiques et par nos institutions sanitaires.
Kapitalis a posé la question au Pr. Abdelmajid Zahaf, médecin et président de l’Atupret, l’Association Tunisienne de prévention de la Toxicomanie. Propos recueillis par Emmanuelle Houerbi
Kapitalis : Slim Amamou, secrétaire d’Etat auprès du ministère de la Jeunesse et des Sports, s’est déclaré sur une vidéo favorable à une «dépénalisation totale des drogues douces». En tant que président de l’Atupret, la lutte contre les drogues est-elle votre priorité?
Pr. Abdelmajid Zahaf: Tout-à-fait, mais ce n’est pas la seule. En tant que président de l’Association tunisienne de lutte contre les Mst et le sida, je m’attaque aussi aux problèmes liés à la santé reproductive, au sida et à la prostitution. Car n’oublions pas que, dans ce domaine, tout est imbriqué. Protéger la santé des jeunes et des moins jeunes suppose de s’attaquer en même temps à tous les dangers qui les guettent. Informer, expliquer, faire de la prévention, soutenir les personnes en souffrance et les malades sont notre activité quotidienne, tout en travaillant dans la mesure du possible en partenariat avec les politiques et les représentants de la société civile.
Passer du «tout-répressif» au «tout-permis»
Que pensez-vous de la position de Slim Amamou préconisant la dépénalisation des drogues douces?
La question de la dépénalisation mérite d’être posée, mais le problème est beaucoup plus complexe et exige la plus grande prudence. Il ne fait aucun doute que nos lois doivent être assouplies et repensées, notamment pour les fumeurs passifs et les plus jeunes. Une peine de prison de plusieurs années pour des enfants de 15 ans, même récidivistes, est une abomination, ainsi que la condamnation des fumeurs passifs. Mais bien évidemment, on ne peut passer d’un seul coup du «tout-répressif» au «tout-permis», ce serait explosif. J’ajoute que nous assistons ces derniers mois à une augmentation préoccupante de la consommation du cannabis dans les lycées, et même à sa vente dans la rue. Donc encore une fois: prudence est mère de sûreté !
Certains affirment que les drogues douces sont moins dangereuses que le tabac ou l’alcool: qu’en pensez-vous?
Ce n’est pas mon avis. Par expérience, je peux affirmer que la plupart des toxicomanes ont commencé par le cannabis, puis l’ont petit-à-petit mélangé avec l’alcool et d’autres substances. Si la consommation récréative et occasionnelle de cannabis peut être sans risques, elle peut aussi rapidement faire sombrer dans l’addiction et la consommation de drogues dures, c’est un engrenage bien connu. J’ajoute que la consommation régulière de cannabis ou autres prétendues «drogues douces» peut avoir de graves conséquences sur la santé; elle attaque l’appareil respiratoire et peut engendrer chez certains enfants prédisposés des problèmes de schizophrénie et une diminution de l’immunité. Enfin, et ce n’est pas le moindre, conduire sous leur emprise multiplie par deux le risque d’accident de la route. Attention donc à ne pas les banaliser.
Un manque cruel de données chiffrées
Que pouvez-vous nous dire sur des actions menées dans d’autres pays?
En général, les expériences menées ça et là plaident non pas pour une dépénalisation mais pour une régularisation contrôlée. Dans des pays voisins, par exemple, où règne un certain laxisme quant à l’application des lois, on observe une explosion de la consommation ces dernières années, ce qui constitue un véritable problème sociétal. Au Yémen, où un psychotrope comparable au haschich, le Kat, est tout-à-fait licite et en vente libre, la plupart des habitants le cultivent dans leur jardin et le mâchent du matin au soir! Enfin, je note qu’en Hollande, jusqu’ici paradis incontesté des fumeurs de haschich, l’heure est à un retour en arrière et à la réduction du nombre de points de vente spécialisés. La société dans son ensemble demande à revenir sur la dépénalisation et sur le fait de fournir la drogue aux jeunes de façon presque automatique. Mais un livre ne suffirait pas à faire le tour de cette question.
Que préconisez-vous donc en matière de toxicomanie en Tunisie?
Tout d’abord, une stratégie globale de lutte contre la drogue doit prendre en compte l’ensemble des indicateurs sanitaires, économiques et sociaux, et doit être élaborée dans le cadre d’une politique de santé globale. Mais comme nous manquons cruellement de données chiffrées sur la situation de notre pays, ceci doit constituer une première étape. Ensuite, l’accent doit être mis sur la communication et la prévention, mais aussi sur l’accueil et le soutien des toxicomanes qui sont trop souvent livrés à eux-mêmes. Et dans tous les cas, cette question doit être placée tout en haut de la pile des dossiers à traiter par nos politiques et par nos institutions sanitaires.