A 175 km de Tunis, un village du nord-ouest, longtemps abandonné par le pouvoir central, où les habitants vivotent avec presque rien. Reportage. Par
Sarra Guerchani


Un mardi matin, à Tel El El Ghazlene, à 175 km de Tunis, dans la localité de Nebeur, gouvernorat du Kef. La chaleur est accablante. Dans ce petit patelin vivent une dizaine de familles. Ici la plupart des habitants se connaissent; soit parce qu’ils appartiennent à la même famille, soit parce que ce sont des années de cohabitation qui les unissent. La vie n’a jamais été tout-à-fait rose pour eux. Ils sont en moyenne 7 à 9 membres par famille à vivre dans de modestes maisons qu’ils ont construit eux-mêmes.

3 heures de route à dos d’âne pour ramener 20 litres d’eau
Tous ici partagent un même souci: l’eau potable à laquelle ils ne sont pas raccordés. En effet, chaque jour, les hommes du village partent dans la ville la plus proche, Jendouba, pour en ramener. «Nous faisons quotidiennement 3 heures de route à dos d’âne pour remplir 20 litres d’eau. Parfois nous arrivons à Jendouba et le propriétaire de la source est absent. Nous rentrons bredouille», raconte Brahim Jbeli. Le coût du bidon est de 50 millimes.
Cet homme de 70 ans, gringalet, chapeau de paille sur la tête pour se protéger du soleil, marche difficilement avec sa canne. Sa grosse verrue au coin de l’œil droit lui cache presque la moitié du visage fripé, tiré, ridé et bronzé, sous le grand soleil brûlant de la Tunisie, l’histoire de sa modeste vie se lit presque sur son visage. Il dispose d’un 1,3 hectare de terre où il vit avec sa famille nombreuse.
Comme plusieurs petits villages du pays, celui-ci était oublié par l’ancien régime. Cette famille constituée de 9 membres n’a pas les moyens comme certains autres habitants de creuser un puits.
Certes, la région du Kef est connu pour son climat semi-aride, néanmoins, les pluies ne suffisent pas à irriguer les terres et faire vivre cette famille tout au long de l’année. Cependant, parmi les voisins, se trouve Mohamed Klai, ancien résident en France, il est le plus riche. Mais ici tout est relatif. Avec sa modeste pension de retraite mensuelle, il arrive à mieux s’en sortir que ses voisins.
C’est ainsi que, dans un élan de solidarité, cet homme propose à ses voisins d’agrandir son petit puits pour que le reste du village puisse en bénéficier. Tous en ont réellement besoin. Ils se partagent environ 4 è 6 hectares de terre. Les 7 familles veulent avoir la possibilité d’exploiter leurs terres et de mieux entretenir le bétail, difficile en l’absence d’eau.

L’association Attac finance un puits
Il y a quelques mois Mekki Berrehouma, propriétaire d’un champ à Mornag, embauche Zouheir, 35 ans, le fils de Brahim. Avec les jours qui passent à travailler, l’homme, originaire de Tel El Ghazlene, se confie à son employeur sur la situation précaire dans laquelle vit sa famille. Mekki, décide de les aider. Quelques semaines plus tard, il réunit quelques amis et connaissances et leur parle de l’histoire de Zouheir et de sa famille. L’Association tunisienne pour le travail et l’aide à la création (Attac) est née.  En attendant sa reconnaissance de la part des pouvoirs publics, ses membres  décident de commencer à financer les travaux d’agrandissement du puits avec leur propre moyen. Le coût de ce projet est de 6.000 dinars environ.


Attac et les habitants

Le 14 juin dernier marque le jour si attendu par ces habitants de Tel El Ghazlene. Selim Ben Yedder et Mekki Berrehouma, des membres de l’association Attac, partent dans le village pour lancer le creusage du puits de 26 mètres cube, sous l’œil attentif des habitants. Accompagné d’un ingénieur agronome à la retraite, l’organisme a pu déterminer plus clairement les besoins de ses familles après la construction du puits.
«Nous voulons des citernes de 500 litres par habitant pour aller remplir l’eau du puits, une mule et une vache pour chaque famille», énumère Mongi Klai, propriétaire d’une terre, puis un camion passe bondé de caisses de pomme de terre: «Pourquoi je ne pourrais pas avoir une camionnette et planter des pommes de terre, des piments et des tomates et aller les vendre en ville, comme lui, pour pouvoir subvenir correctement au besoin de ma famille?» s’exclame l’agriculteur d’une voix désespérée en pointant du doigt le véhicule qui vient de passer.


L'équipe Attac et des agriculteurs autour du chantier du puits

Mahmoud Ben Yedder, ingénieur agronome à la retraite, essaie de le rassurer et de lui demande d’être encore patient. «Inchaallah, inchallah», soupire l’agriculteur, avec un petit sourire et une lueur d’espoir dans les yeux. «C’est bien ce genre de projet, il faut encourager ces gens. Nous donnons aux agriculteurs un moyen de vivre décemment», souligne Mahmoud.
Durant toute la matinée, ce dernier a passé du temps avec les agriculteurs afin de mieux cerner leurs besoins et d’être sûr que le projet sera durable. En effet, il ne s’agit pas de construire un puits et de repartir vers la capitale, mais de créer une dynamique au sein du village et de donner une certaine autonomie à ces petits propriétaires de terres.
Une fois que les habitants auront accès à l’eau, dans environ deux mois, la deuxième phase du projet de l’association Attac sera de fournir quelques plantations, du bétail et éventuellement construire un poulailler, car les loups viennent manger les poules la nuit puisqu’elles ne sont pas bien protégées.
Le niveau de vie des habitants de Dachrat Nebeur avoisine le zéro actuellement. Ce puits, l’achat du bétail et de nouvelles plantations qu’Attac leur proposera, permettra à 150 personnes d’améliorer clairement leur situation sociale.