Chronique d’un périple citoyen à Sidi Bouzid à l’occasion d’une action au profit des enfants de Bir Lahfay, un village du sud-ouest.
Par Karim Jaffel


Après Dernaya à Kasserine, «La Tunisie en Mouvement» a repris son élan citoyen vers Bir Lahfay à Sidi Bouzid. L’idée, toujours aussi forte: aller à la rencontre de nos voisins des régions de l’intérieur et combler le fossé d’ignorance, d’oubli et de mépris creusé durant ces vingt dernières années.

Au début, brainstorming sur Facebook
A Sidi Bouzid, il ne s’agissait pas de refaire les mêmes projets qu’à Kasserine. Et c’est avec Walid Issaoui, maître à l’école de Bir Lahfay, et Moune Gharbi à Bruxelles que les idées ont fusé sur Facebook.
D’abord ce fût un projet pour les enfants, puis lentement l’idée a évolué pour se dessiner en centre d’Eveil pour le citoyen de demain! Malgré les kilomètres qui nous séparaient, je relayais régulièrement, avec Moune et Walid, les contours de ce fabuleux espoir!
Au final de notre brainstorming mené à distance, le centre d’Eveil pour le citoyen de demain se présentait dans la forme d’une bibliothèque pour enfant et d’un atelier de créativité, de dessin et de musique. Cependant, cette dimension ne suffisait pas! Il fallait aussi penser à l’emploi, à la création d’emploi. Nous avons d’abord pensé à une éducatrice pour s’occuper des enfants, ensuite au soutien scolaire, puis à une salle de projection, puis à un atelier de menuiserie.
Parfois des jours passaient sans qu’aucun de nous ne réagisse à l’idée de l’autre. Il ne s’agissait pas de réaliser n’importe quoi… un atelier de menuiserie, de tapisserie ou de céramique pouvant ne pas correspondre forcément aux aspirations de Bir Lahfay.

Jusqu’à la veille du départ, la configuration de l’atelier n’était pas encore trouvée! La décision fût alors prise de fractionner le projet en deux phases: d’abord une bibliothèque et un atelier de créativité pour les enfants et ensuite de voir in situ, à Bir Lahfay, avec Walid et ses collègues, cette question d’atelier et de création d’emplois.

La préparation du voyage …
Les dates du voyage ont été ajustées semaine après semaine selon nos programmes. Moune devait d’abord rentrer de Belgique et gérer avec son mari, Khemais Gharbi, la logistique de déménagement en Tunisie pour y rester quelques mois. Walid avait les préparatifs de fin d’année scolaire et son mariage en juillet. Et moi, j’avais mon travail et les vacances d’été à programmer cette année avec mon oncle adoré, le plus jeune parmi mes oncles.
Au final, et en concertation avec Moune et Walid, nous avons retenu les dates du 15,16 et 17 juillet avec, au programme, l’inauguration du projet citoyen à Bir Lahfay et… le mariage de Walid!
Avec du recul, je ne sais pas par quelle volonté nous sommes arrivés à fixer ce programme? Je parle de volonté... mais je dirais plutôt «magie». Si à Dernaya, nous étions 17 amis soudés par une amitié de longue date pour certains et par plusieurs réunions de coordination pour d’autres, le voyage de Bir Lahfay était scellé par autre chose.
J’avais rencontré Moune à deux reprises en nous promettant de faire des choses et d’autres sans aucune précision. Je ne connaissais pas non plus Walid. C’est un ami sur Facebook de Moune qu’elle n’avait jamais vu non plus. Ils avaient seulement partagé des photos sur la caravane de solidarité organisée vers Sidi Bouzid après le 14 janvier.



Quant à Sidi Bouzid, je ne savais même pas comment y aller. Je n’avais lu que des articles, sur Bouazizi et sur les investissements consacrés à la région. Mais les choses ne sont pas forcément factuelles. Et tout au long de nos échanges, c’est une vraie amitié qui s’est créée entre Moune, Walid et moi-même.
Nous avons échangé des points de vue sans parler ni de politique, ni d’actualités. Nous avons toujours partagé des valeurs à travers un soutien inconditionnel pour les actions citoyennes réalisées, pour les associations en faveur des enfants, telle que Sos Village, institution accueillant des enfants n’ayant pas la chance de vivre avec leurs parents. Nous avons partagé sans réfléchir, en quelque sorte des idéaux de vie pour une société meilleure, aidante et favorisant l’éclosion d’une citoyenneté affranchie.

Début juillet …
Les préparatifs vont bon train et j’associe dans le mouvement Le Lions Club, Emna Ammar et Turkia Tlemçani, respectivement responsable de zone et secrétaire générale du District 414.
Du coup, le mouvement s’est amplifié pour regrouper, dans cette action citoyenne, en plus des coordinateurs et de leur famille, le Lions Club Alyssa, le Lions Club Carthage Sophonisbe, le Lions Club de Sidi Bouzid, qui s’est chargé de la coordination administrative avec les autorités de Bir Lahfay et l’association ‘‘1 enfant, 1 espoir’’, qui s’est proposée de collecter les livres de la bibliothèque.
La fréquence de mes appels téléphoniques avec Walid allait monter en puissance pour régler au fur et à mesure le timing du voyage, le programme des visites, les formalités administratives, l’hôtel à Sidi Bouzid, les déplacements avec le cortège officiel des mariés, le timing des fêtes, les déjeuners, les dîners, etc.
Les méthodes de planification de projets étaient appliquées à la lettre… et la main de Dieu était aussi là pour aplanir et desserrer tout frein à l’objectif de réaliser ce projet.
Le 11 juillet, alors que j’étais en vacance avec ma petite famille et celle de mon oncle, je vérifiais les derniers mails reçu et la confirmation des personnes faisant partie du voyage, ceux qui iront à la rencontre des enfants de Bir Lahfay. J’ai aussi contacté les coordinateurs de Dernaya pour les informer de ce projet en leur demandant d’essayer de venir pour l’inauguration. Faire rapprocher le voisin de son voisin retenait aussi le principe de triangulation citoyenne associant Tunis, Dernaya et Bir Lahfay. Au dernier moment, Seddik Boulaabi et Chokri Harchi de Dernaya se sont décommandés pour des raisons personnelles.

En route pour Sidi Bouzid
Comme programmé et comme tellement rêvé, toute l’équipe s’est retrouvée au parking de l’hyper-marché Carrefour à 7h00 du matin, pour un voyage de trois jours. Le coffre de la voiture, bien chargé la veille par des livres de contes pour enfants et des CD room éducatifs, a encore été chargé par un super lecteur CD que le Dr Latifa Hedfi a tenu bon de me remettre le matin même du départ.
7h00 du matin. Moune était souriante et accompagné par son mari Khémais Gharbi, une personne d’une culture et d’une ponctualité remarquables. Les fenêtres de sa voiture laissaient aussi paraitre des cartons d’objets d’éveils, des instruments de musique, des pinceaux, des feutres, des crayons de couleurs et des tas d’objets soigneusement préparés depuis maintenant quatre mois! Turkia, que toute le monde surnomme Traki portait le gilet jaune des Lions Club avec le badge imposant du District 414.
Chahnaz, mon épouse, avait la grande responsabilité de Azza, notre fille âgée de 4 ans qui, la veille, s’était déguisée en princesse et qui a tenu bon de prendre sa couronne dans l’objectif d’aller trouver un prince à Sidi Bouzid. Farah, notre fille âgée de 9 ans, devenue accoutumé aux actions citoyennes avec Dernaya était prête avec un chocolat à la main.
Et, c’est avec un sentiment de responsabilité que Si Khémais me propose d’ouvrir la route. Et on s’élance à 7h35 vers Sidi Bouzid, en donnant une série de coup de klaxons à l’asphalte, comme pour annoncer à Walid, notre arrivée dans quelques heures.
En mouvement. Les signalisations de la route étaient rythmées des panneaux pour découvrir après quelques heures les indications couplées de Kasserine et de Sidi Bouzid, comme si leur destin était scellé pour le meilleur comme pour le pire. Walid impatient de nous voir, multipliait ses appels au fur et à mesure qu’il pressentait notre arrivée. Jusqu’au moment où la plaque de Sidi Bouzid s’est zoomée à sa taille normale.
Avec beaucoup d’émotions, nous traversions cette ville devenue historique. Sur les murs, des graffitis sur la liberté, sur la dignité, sur le droit républicain, beaucoup de graffitis sur le droit républicain plaçant le pouvoir entre les mains des tunisiens et une date qui plaçait désormais le curseur de la Révolution au 17 décembre 2010. On aurait dit que la Révolution partie de Sidi Bouzid qui jouxte la ville historique de Kairouan, replaçait le barycentre du patrimoine culturel et historique de la Tunisie au centre… dans son nombril naturel.
Arrivé à l’hôtel où nous avions réservé, nous prîmes possession de nos chambres en se donnant rendez-vous vers 14h00 pour déjeuner et repartir vers Bir Lahfay livrer le contenu de nos coffres de voiture. La chambre de l’hôtel Dar Eddhiafa était soignée, climatisée, nantie d’un frigidaire et d’une télé à écran plasma. On nous appela pour nous demander si nous souhaitions des serviettes supplémentaires. La qualité de l’accueil faisait luire les trois étoiles attribuées par le ministère du Tourisme en soulevant du coup une question sur la validité des catégories de classement d’autres hôtels touristiques.

Carnet de route de Karim Jaffel.