On a évacué les rues de la capitale des étalages anarchiques. Un coup de balai salutaire. Tunis, qui était dans un très sale état jusqu’au jour de l’Aïd, est redevenue clean. Pour combien de temps? Reportage de Zohra Abid


Mine de rien. Il a suffi que le ministère de l’Intérieur prenne la décision d’interdire les étalages anarchiques pour que l’ordre revienne dans les rues les plus circulantes de nos grandes villes. Il a fallu que tout le monde en parle. A la radio, à la télé, dans les journaux et surtout sur les réseaux sociaux.

Le jour de l’Aïd, des photos désolantes ont été diffusées sur facebook. C’était le dégoût total. De mémoire de citoyen, on n’a jamais vu des images pareilles de Tunis. Cet état des lieux a mobilisé des jeunes pour ramasser, mercredi, les ordures laissées par les vendeurs à la sauvette. Cette campagne a été lancée sur la toile par l’association Jeune Liberté. Plusieurs volontaires ont répondu à l’appel et se sont mis au boulot.

Les jeunes à la manœuvre  
Seïma, une jeune bachelière, est une internaute assidue. «A voir ces images choc, je me suis dépêchée le matin à l’avenue Habib Bourguiba (L’artère principale de Tunis, Ndlr). A 9 heures du matin, la place a été envahie par des jeunes comme moi. Notre seul but est de préserver l’image non écornée de notre capitale livrée des mois durant aux vendeurs à la sauvette et leur lot de désordre», raconte, tout sourire, Seïma. Selon elle, ses cousins et cousines, les uns habitent dans le quartier Lafayette de Tunis, d’autres dans la proche banlieue de la capitale, se sont joints au mouvement de l’association citoyenne.
La balle est donc restée dans le camp du gouvernement. Les autorités ont-elles retenu la leçon des jeunes citoyens? Le ministère de l’Intérieur a, en tout cas, réagi. Un communiqué a été rendu public interdisant les étals anarchiques à partir du 2 septembre dans toutes les rues de la capitale. Et de souligner que les contrevenants seront traduits en justice et punis selon la loi.


Les terrasses des cafés retrouvent leur charme

De retour des vacances de l’Aïd, les gens ont été agréablement surpris. Les piétons peuvent emprunter les trottoirs, autrefois envahis par les vendeurs à la sauvette. Ils peuvent circuler à leur aise dans les rues qui nous ont semblé moins étroites et moins remplies qu’autrefois. Ils ne risqueront plus les agressions et les vols qui, avec la foule et l’anarchie, ont proliféré. Ils peuvent siroter tranquillement un café ou un soda sous un des parasols des bistrots de l’Avenue, sans qu’ils ne soient ni agressés verbalement ou physiquement. Bonne nouvelle en tout cas.

Marché parallèle out
«Depuis, hier, ils ont tous disparu. Mais nous devons être vigilants. Car nous craignons qu’ils viennent le soir et se vengent, en mettant le feu à nos magasins», raconte Samy, gérant d’une boutique de luxe au centre-ville. Samy dit que son commerce a été très affecté par la présence des marchands ambulants proposant des produits de contrefaçon.
«Les commerçants de Boumendil et de la rue de la Commission ont fait des extensions et posé leurs marchandises dans les rues avoisinantes, notamment à la Porte de France et à l’entrée de la vielle ville. D’autres ont pris d’assaut des mois durant, l’avenue de Paris», raconte une vendeuse dans une boutique de chaussures. Et d’ajouter que son patron allait, à moins un, fermer boutique et mettre les clefs sous le paillasson. Car, selon elle, son chiffre d’affaires ne lui permet plus de payer sa note de frais (location, salariés, lumières et autres impôts). La vendeuse semble soulagée par le départ des vendeurs à la sauvette. «Pendant l’Aïd, nous n’avons rien gagné. Mais nous comptons sur la rentrée scolaire pour nous rattraper», ajoute-t-elle. Au coin de la rue Charles De Gaulle, une camionnette d’agents de sécurité. Les agents montent la garde et ils ont du renfort. Ils se font aider par des jeunes en tenue civile qui leur rapportent ce qui se passe aux environs. «Pourvu qu’ils ne reviennent pas. Jusque-là, tout semble calme. On va voir», répond un agent de sécurité à Kapitalis.


Les trottoirs sont enfin passantes

«Nous avons toujours eu peur de l’agressivité de ces commerçants. Ils sont d’une rare violence. On évite de leur faire des reproches. Surtout lorsqu’ils nous disent qu’ils payent le mètre carré à 20 dinars. A qui, on n’en sait rien!», raconte un opticien qui se dit incapable d’empêcher ces gens à mettre illégalement leurs étals et tréteaux et c’est à l’Etat d’agir.

N’insultons pas l’avenir!
Au seuil de son magasin, des lunettes de marque: Dior, Chanel, Yves Saint Laurent vendus à trois fois rien et vive la contrefaçon. Comment a-t-il pu résister à ce fléau? Réponse: «Nous nous sommes à plusieurs reprises plaints auprès des autorités. Mais le gouvernement a fait la sourde oreille. Aujourd’hui, nous sommes soulagés. Pourvu que ça ne revienne pas !».
Son voisin gère une parfumerie. Il semble moins enthousiaste que l’opticien. «La majorité de ces vendeurs sont encore en vacances de l’Aïd. Ils sont tenaces et s’ils ne sont pas revenus aujourd’hui, c’est pour cause. Je viens d’écouter à la radio qu’il y a à l’intérieur du pays, des routes coupées et des incidents. Et c’est ça qui les a empêchés. Mais, tant que la mairie ne leur a pas réservé une place, ils seront toujours là. Et gare à celui qui bronche ou dise un seul mot», a-t-il prévenu.
Il est midi et quelques. Tunis est écrasé par un soleil de plomb. Sur les trottoirs, ni sodas pour se rafraîchir ni chapeaux de paille pour se protéger de la chaleur. Ni des lunettes solaires griffées et vendus à 10 dinars voire à seulement 5 dinars. Pour ceux qui aiment frimer... «Peut-être que le stock de cette marchandise laissé par les Trabelsi est épuisé», espère le parfumeur. C’est tout le mal que l’on souhaite pour que Tunis soit propre au sens propre et figuré. N’insultons pas l’avenir.