Slaheddine Ouertani, un sans-papier tunisien, qui a failli mourir après une agression en détention, est handicapé à 80%. Il porte plainte contre l’administration pénitentiaire française. Il est menacé de renvoi en Tunisie.

Par Ramsès Kefi, correspondant en France


Slaheddine tire de sa sacoche une feuille froissée. Puis lit à haute voix le paragraphe qui l’innocente dans l’incendie d’un centre de rétention, pour lequel il a été incarcéré fin 2008 à la prison de Fresnes, en banlieue parisienne: «Tous mes malheurs partent de là. Je n’aurais jamais dû aller en prison. J’étais innocent.»

En novembre 2008, Slaheddine, sans-papiers tunisien de 38 ans, est violemment agressé dans la nuit par son codétenu estonien. Sans raison apparente. Plus tard, l’agresseur dira que la présence d’un musulman dans la cellule le dérangeait.

Plus d’une heure à prévenir les secours

Le corps inanimé de Slaheddine n’est découvert que le lendemain matin. Son cerveau est touché. Il passera plus de deux ans à l’hôpital, dont trois mois dans le coma. Quand il en sort en avril 2010, il est handicapé à 80%. Il décide de porter plainte contre son codétenu et l’administration pénitentiaire, qu’il accuse de l’avoir mal secouru: «Mon avocat m’a raconté car je ne me souviens de rien. Il m’a dit que les surveillants ont mis plus d’une heure à prévenir les secours et qu’ils m’ont fait descendre les étages de la prison sur une chaise, alors que j’étais quasiment mort. Même sans-papiers, même prisonnier et même si j’avais été coupable, je ne méritais pas ça. Cela a forcément aggravé mon cas.»

Le 2 avril dernier, son autorisation provisoire de séjour n’a pas été reconduite par la sous-préfecture du Val-de-Marne (banlieue parisienne), qui lui a donné un mois pour quitter le territoire français. Son avocat, Sébastien Rideau-Valentini, dénonce une volonté «d’éliminer la partie civile» alors que des procédures sont en cours: «Mon but n’est pas de remettre en cause la politique migratoire du gouvernement français, seulement d’alerter sur un drame humain. Slaheddine est un cas exceptionnel, qui mérite une attention particulière […] Notre plainte traîne depuis deux ans. Je considère que l’on nous met des bâtons dans les roues.»


Slaheddine Ouertani.

Slaheddine n’évoque que très peu son passé. Quelques mots sur son village dans le nord-ouest de la Tunisie, sur ses petits boulots à peine arrivé en France en 2006 et une photo de lui, «quand il était costaud», qu’il garde enfouie dans un petit portefeuille. Une photo, qui n’a pas grand-chose à voir avec l’homme qui est devant moi: hémiplégique, pâle, incapable de se déplacer sans sa béquille et de ne pas bégayer quand il prononce un mot.

Souvent, il me coupe, pour insister sur un détail. Pour répéter, de peur de ne pas avoir été assez clair. Comme lorsqu’il jure ne pas arriver à imaginer rentrer en Tunisie «dans cet état-là»: «J’ai quitté mon village car je vivais dans une extrême pauvreté. Ce n’était pas pour l’aventure comme certains peuvent le penser. Valide, je ne travaillais pas en Tunisie. Comment vais-je faire pour vivre maintenant que je suis handicapé? Je ne veux pas être une charge pour ma famille».

La  sous-préfecture est pour l’instant catégorique et se défend de vouloir «éliminer» la partie civile. Sauf intervention exceptionnelle d’ici le 2 mai prochain, Slaheddine devra quitter le territoire français: «Notre décision est indépendante des autres procédures. Nous estimons que M. Ouertani, qui est entré illégalement sur le territoire, n’a aucune attache en France et qu’il peut être soigné correctement dans son pays. Par ailleurs, il pourra certainement avoir un visa pour assister aux procès qu’il a intentés en France».

Dans un petit village du nord-ouest

Une posture que fustige Me Rideau-Valentini: «Comment va-t-il pouvoir se défendre de là-bas? Quelle garantie avons-nous qu’il aura un visa? Comment fera-t-il pour se soigner correctement? Slaheddine ne vit pas à Tunis, mais dans un petit village du nord-ouest.»

L’hôpital du Kef est à une vingtaine de kilomètres de chez lui. «Un monde quand tu n’as pas d’argent», glisse Slaheddine, qui n’est même pas sûr d’y trouver les structures adaptées: «Je devrais certainement aller à Tunis, mais avec quoi? J’ai besoin de soins quotidiens. Non, chez moi, je mourrais certainement à petits feux car je ne pourrai plus me battre.»

Sur les procès en cours, il est tout aussi pessimiste s’il devait retourner en Tunisie: «Je devrais abandonner. Je n’ai même pas de quoi monter dans un bus jusqu’au Kef et l’on voudrait que j’aille à Tunis pour négocier un visa, qui plus est dans mon état, puis acheter un billet d’avion. C’est impossible.»

Son avocat demande des dommages et intérêts, «parce que la vie de mon client ne sera jamais plus comme avant et qu’il y a eu de graves négligences». Slaheddine, lui, confie qu’il serait déjà heureux d’obtenir une carte de séjour, qui lui permettrait notamment de bénéficier d’une pension mensuelle pour adultes handicapés: «Juste le temps pour moi de retravailler. Car je vis sans ressources. Je ne veux pas dépendre d’une aide toute ma vie. Je ne veux pas être un assisté.»

Il me parle un peu du foyer dans lequel il vit. Des efforts qu’il fait en rééducation pour retrouver plus de motricité. Et du 2 mai prochain, qui l’effraie tant: «On ne peut pas me renvoyer comme ça. Ce serait trop injuste.»