Les habitants de Carthage s’insurgent contre le laxisme de l’Etat face aux constructions illégales qui envahissent les terrains à grande valeur archéologique aux environs de la cité antique.


«Il faut détruire Carthage» avait déclaré l'empereur romain Jules Cesar en -146 av JC. L’histoire est-elle en train de se répéter avec l’angoisse d’une nouvelle invasion de la cité carthaginoise menacée aujourd’hui non par un ennemi extérieur mais ses propres habitants qui se sont lancés dans une course effrénée au béton, érigeant leurs maisons sur des sites archéologiques.

Commerce illégal de titres fonciers

Carthage est une civilisation profonde qui mérite le respect. Pourtant, malgré l’immensité de ses symboles, la ville de la reine Didon et d’Hannibal se voit infliger l'oubli et le mépris par certains de ces habitants.

La cité Mohamed Ali de Carthage illustre cette destinée imméritée qui voudrait enterrer une partie de l’histoire du pays oubliant que même ces ennemis ont fini par reconstruite Carthage reconnaissant que sa résistance n’avait d’égal que sa grâce.

Il s’agit en fait de l’exploitation à des fins d’habitation de sites archéologiques. Sous d’autres cieux, c’est un sacrilège.

Le problème se situe au niveau de la zone située à l’entrée ouest de Carthage, plus connue sous le nom Cité Mohamed Ali, qui comprend deux zones protégées, une forestière et une autre archéologique et qui ne peuvent être légalement destinées à l’urbanisation ou à l'exploitation commerciale. Pourtant beaucoup ont acheté des titres fonciers de façon illégale!

Construire sur des sites archéologiques est une atteinte à la mémoire de la nation. C’est pourquoi des habitants de Carthage se sont révoltés contre l’inaction de l’Etat, qualifiant l’autorité publique de laxiste à l’égard des contrevenants.

Slah Medalla, président de l’Association des habitants de Carthage résume bien la situation en précisant que des zones archéologiques de 48 hectares et 9 hectares de forêts sont menacés de disparition à très court terme par l’urbanisation galopante parce que des courtiers sans scrupules ont vendus des fonds de commerce pour usage autre que l’habitation.

Par inconscience ou indifférence, les acquéreurs mettent en avant le droit au logement au détriment du droit du patrimoine.

350 mètres carrés pour… 7.000 dinars !

Habiba Guizani, 37 ans, propriétaire d'un titre foncier, a indiqué qu’elle avait acheté un lot de 350 mètres carrés pour un coût de 7.000 dinars, par l’intermédiaire d’un courtier. Elle a ajouté qu’au départ, elle n'avait pas vraiment cru, mais une amie lui a montré que l’opération est sans risque de tromperie et que l’achat d’un lot de terrain dans cette zone est un acquis très important.

De son côté, Mabrouka Dhif ajoute, dans le même sens, qu’à cause des coûts élevés des loyers, elle s’est laissée facilement convaincre par une proposition d’achat de terrain à bon prix.

En outre, de nombreux habitants originaires de la cité Mohamed Ali se plaignent et considèrent qu’il y a des violations de la loi et une atteinte aux fondements de l’aménagement du territoire.

A ce propos, Faouzi Tahri affirme que ces logements anarchiques, dans une zone forestière et archéologique, risquent fort de créer des impacts négatifs. Il a ajouté que l’Etat et les autorités régionales «assument une grande partie de la responsabilité dans les dépassements survenus dans l’exploitation de terres à caractère archéologique». Il a appelé à une intervention sérieuse et vigoureuse de la police municipale, pour éliminer ce genre de constructions.

Pour de plus amples informations autour de cette question et afin de connaître le point de vue des autorités concernées par ce phénomène qui ne cesse de se répandre, l'agence Tap a rencontré le vice-président de la municipalité de Carthage, Zied El Héni.

Pour ce qui est du cadre juridique régissant les sites archéologiques, M. El Héni a rappelé que le droit tunisien interdit expressément aux citoyens de construire des habitations dans cette région, à travers l’institution de servitudes d’urbanisme, véritables limites à l’exercice du droit de propriété privée.

Conscients qu'ils sont les acquéreurs de terrains par nature incessibles et intransmissibles, les propriétaires de ces terrains se laissent livrer à l’escroquerie et aux manœuvres frauduleuses des courtiers peu soucieux des considérations culturelles.

L’absence d’une «conscience archéologique»

La beauté du lieu et le charme des sites ne doivent nullement occulter la nécessité impérieuse pour l’Etat d’identifier des solutions idoines permettant aux citoyens de se doter de logements décents à proximité de ces lieux, a-t-il préconisé.

L’absence d’une «conscience archéologique» chez les citoyens est due essentiellement à l'échec des politiques publiques en matière d'enseignement qui n'ont pas accordé à l'étude de la Cité de Carthage, toute l'attention requise.

Face au phénomène de l'expansion urbaine illégale, et au «statu quo social» irréversible qui en découle, les décideurs publics sont appelés plus que jamais à identifier les mécanismes appropriés afin de protéger ces sites et relancer leur dimension économique, dans le cadre d’une action concertée avec l’Unesco, principal organisme onusien dans le domaine.

Les composantes de la société civile auront également une grande part de responsabilité en matière de préservation du patrimoine archéologique de la région, à travers des campagnes de sensibilisation auprès des citoyens et mettre fin au phénomène de la construction anarchique, privé de réseaux d’évacuation sanitaire et d’infrastructure de base nécessaires.

Nul ne peut nier les efforts déployés par la municipalité de Carthage en vue de délivrer ce patrimoine archéologique de la ruine et de la perdition, a-t-il affirmé, précisant que la modicité des ressources financières dont dispose cette municipalité commande impérativement de trouver des moyens de financement adéquats pour accroître ses revenus et partant faire face aux exigences de la gestion locale.

Source : Tap.