Les démocrates doivent établir, dans le débat public, une opposition claire et nette entre un islam modéré à l’image de la Tunisie moderne et un islam radical et fanatique à l’image de celui dominant en Afghanistan.

Par Dhafer Charrad*


Avant les élections du 23 octobre 2011, Ennahdha avait malicieusement centré le débat politique sur la religion et avait alors réussi à donner, à une large frange des ceux qui ont effectivement voté, la fausse impression que l’élection était une sorte de croisade contre les mécréants et que leur vote était une contribution à la victoire des musulmans.

Cette idée de guerre contre les mécréants a été matraquée et enfoncée dans les esprits simples à travers tous les discours des pro Ennahdha et surtout lors des prêches dans les mosquées, bien que ce soit légalement interdit.

Les démocrates doivent miser sur l’islam modéré

Les partis démocrates n’ont pas mesuré l’ampleur et l’importance de cette tactique; ils n’ont pas contré avec assez de véhémence ceux qui les accusaient de mécréance et de «kofr» et se sont défendus trop mollement contre leur «takfir», pourtant interdit par l’islam.

Ceci a constitué une erreur politique et stratégique d’autant plus que la quasi-totalité des membres de ces partis démocrates, tout comme tous les Tunisiens, étaient aussi musulmans que ceux d’Ennahdha, avec l’avantage par rapport à ces derniers d’être des musulmans modérés.

Pour rectifier le tir, cet islam modéré, qui fait partie de l’identité des Tunisiens, doit constituer un atout considérable qu’il faut fructifier et rentabiliser à fond par les démocrates car combiné à leur respect de l’Etat de droit, il impliquera un refus catégorique des excès de tout courant radical et violent, incarné par un courant salafiste jihadiste, venu d’un autre monde, qui effraye et sème la terreur partout où il se manifeste.

Les Tunisiens sont tous déjà conscients qu’Ennahdha ne voudra et ne pourra jamais faire face à ce courant violent qui bénéficie d’une incompréhensible impunité et qui va en s’amplifiant. Pourtant, il suffit d’avoir la simple volonté d’appliquer justement et rigoureusement la loi, pour y faire face et pour mettre fin à ses actions de plus en plus fréquentes et violentes sur le terrain.

Pour Ennahdha, il est déjà trop tard et il ne sera pas crédible si maintenant, ou à l’approche des élections, elle essaye de changer de cap en déclarant vouloir et pouvoir faire ce qu’elle a toujours refusé de faire contre le fanatisme religieux et est donc mal placé pour défendre notre islam modéré.

D’ici les prochaines élections, Ennahdha ne pourra bien entendu pas se suicider politiquement en se prévalant du bilan trop maigre de son gouvernement, qui représente un véritable boulet de canon trop lourd et impossible à trainer.

Ne pas céder le champ de la religion à Ennahdha

Ennahdha en est conscient et il évitera d’en parler. Il ne peut espérer gagner qu’en utilisant les mêmes ingrédients et les mêmes recettes qui lui ont permis une victoire qui a de fortes chances de s’avérer éphémère.

A cet effet, les partis démocrates doivent se préparer dès aujourd’hui à trouver la parade, en ne laissant pas le champ libre à Ennahdha, pour parler seul de religion et d’islam car ce n’est tout de même pas sa chasse gardée.

L’un des sujets majeures, à imposer obligatoirement sur la scène politique par les partis démocrates, doit être une opposition claire et nette entre un islam modéré à l’image de la Tunisie moderne et un islam radical et fanatique à l’image de celui dominant en Afghanistan, avec tous les excès et les violences qui se multiplieront mais resteront presque tolérés et impunis.

A cette fin, les partis démocrates doivent commencer à rallier à leur rang des islamistes modérés nationalement reconnus comme Abdelfattah Mourou qui sera dans son élément dans ce débat pour défendre cette cause et je ne pense pas que ça soit irréalisable, impossible et farfelu.

Abdelfattah  Mourou, qui a une ambition légitime et déclarée de faire de la politique, veut être visible et veut servir utilement son pays, il constitue l’un des défenseurs acharnés et convaincants d’un islam modéré et il a donc le profil idéal pour jouer, lui est ses semblables, un rôle primordial dans ce contexte.

Lui et ceux qui partagent ses idées ont une chance unique de rentrer dans l’histoire en préférant, bien qu’étant islamistes, contribuer à éviter la division du peuple tunisien et l’«afghanisation» du pays plutôt que d’aider simplement un parti à gagner.

Abdelfattah Mourou, depuis des années ignoré et même rejeté par les dirigeants du parti Ennahdha, est assez intelligent pour comprendre que si, brusquement et miraculeusement, on lui ouvre de nouveau les portes d’Ennahdha, ça sera uniquement pour qu’il se taise et n’aille pas ailleurs.

Une éventuelle réintégration d’Ennahdha sera peu glorieuse pour lui car il fondra banalement dans le moule compact du parti Ennahdha et son importance, sa visibilité et son apport sur la scène politique seront minimes et je ne pense pas que ça soit son souhait, son ambition et son intérêt.

A bon entendeur…

* Diplômé en sciences économiques et planification.

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