Inondations, glissements de terrain, tremblements de terre, désertification, érosion des côtes et autres incendies de forêts : les catastrophes et menaces naturelles ne manquent pas en Tunisie. Etat des lieux...
Par Fadhel Harzalli*
Les catastrophes, survenues à travers l'histoire en Tunisie, ont prouvé que notre pays n'est pas à l'abri des risques naturels. En effet, les inondations, qui se sont abattues sur la Tunisie, et les tremblements de terre, qui l'ont secouée, sont encore ancrés dans les mémoires. La désertification est aussi une menace sérieuse. Une tentative de catégorisation des risques naturels qui touchent la Tunisie nous permet de distinguer:
- des risques ponctuels ou localisés dans l'espace tels que les glissements de terrain et les tremblements de terre;
- des risques assez généralisés dans l'espace telles que les crues, les inondations l'érosion et la désertification;
- des risques ponctuels et occasionnels tels que les orages de grêle, la foudre et la sécheresse;
- des risques appelés «majeurs» tels que les incendies de forêts.
Les glissements de terrain détruisentles routes.
Les inondations
En Tunisie, les crues sont de type monogénique c'est-à-dire ayant une seule cause. Selon Paskoff (1985, p. 110), une crue-type en Tunisie peut être exprimée par un hydrogramme, représentation graphique de l'événement. La crue monte toujours plus vite qu'elle ne descend. Le temps de concentration écoulé entre le début de la pluie et l'apparition de la crue est très court ce qui explique les fréquentes pertes dues à des véhicules qui s'avancent imprudemment dans des lits d'oueds à des moments de fortes précipitations et qui sont surpris par le front de la masse d'eau déferlante. Les dommages des crues ont souvent été élevés.
Il apparaît que les très fortes pluies sont un phénomène qui a toujours existé en Tunisie. Ces pluies sont une des manifestations du caractère irrégulier, brutal et excessif du climat méditerranéen. Le proverbe tunisien «Lamente-toi s'il pleut, lamente- toi s'il ne pleut pas» résume bien cette extrême irrégularité.
Sécheresse et désertification.
Les pluies très importantes ne sont pas un fait exceptionnel en Tunisie; chaque année, dans quelques régions du pays, des orages d'une violence particulière peuvent déverser des trombes d'eau en un laps de temps très court. L'essentiel des pluies en Tunisie Tellienne est le résultat des courants perturbés du N-W car l'apport d'eau par perturbations du N-E est spatialement plus limité (régions orientales et versants exposés) (F. Kassab, 1979, p. 221). Les dégâts matériels et humains des crues et des inondations sont parfois importants.
Les inondations en Tunisie et leurs dommages. Tableau récapitulatif élaboré à partir des données citées dans le projet du document de la politique et de la stratégie nationale en matière de prévention et de lutte contre les catastrophes (ministère de l'Intérieur, Direction de la protection civile, 1958, p. 17) et l'ouvrage de Oueslati, 1999, p. 71-73
*= données non disponibles
Une terre sismique
Contrairement à la croyance commune qui se représente la Tunisie calme sur le plan tectonique, et à l'abri des secousses telluriques, l'histoire signale l'occurrence de séismes importants surtout au Centre et au Nord du pays.
D'après les spécialistes tel que Paskoff (1985), la séismicité de la Tunisie relève de la tectonique des plaques. Elle est en relation avec l'affrontement de deux plaques, celle de l'Afrique et celle de l'Eurasie, la première remontant vers la deuxième avec une vitesse d'environ 1 à 1,5 cm par an. Les tremblements de terre en Tunisie s'expliquent aussi par la présence de certaines failles actives.
La Tunisie, pays appartenant au monde méditerranéen qui connaît le risque séismique, n'est pas épargnée. Les articles de presse des dernières années montrent que tout le territoire, sauf sa partie proprement saharienne, peut être affecté par des secousses séismiques. Les régions qui ont connu des tremblements de terre sont Tunis, Ben Arous, Nabeul, Bizerte, Monastir, El Kef, Jendouba, Sidi-Bouzid, Tozeur et la liste n'est pas complète.
L'érosion des sols
Plusieurs facteurs favorisent l'érosion des sols en Tunisie. Le climat méditerranéen caractérisé par des contrastes saisonniers marqués, pluviométriques ou thermiques, est très agressif. En effet, pendant la saison chaude et sèche, les sols ont tendance à se fendiller surtout lorsqu'ils sont argileux, ce qui favorise leur érosion pendant la saison fraîche, lorsque s'abattent des pluies concentrées et abondantes, de caractère torrentiel.
Incendie de forêts.
Pendant l'été, les sols asséchés peuvent être affectés par la déflation éolienne, surtout au Sud du pays suite au remplacement de la charrue traditionnelle (l'araire) par la charrue polydisque. Ce nouvel outil, signe d'une mécanisation plus poussée, pénètre profondément dans le sol, creuse des sillons plus profonds et favorise par-là l'érosion éolienne.
Aussi, ne pouvons-nous pas oublier la dégradation de la couverture végétale en Tunisie suite à plusieurs facteurs dont les incendies, le prélèvement excessif de bois par l'Homme et le surpâturage.
Beaucoup de paysages, notamment dans le Haut Tell, présentent partout les traits d'une dégradation avancée du milieu agro-pédologique. En effet, la densité des réseaux de ravins caractéristiques des zones de montagnes, de collines et de glacis ainsi que l'affleurement de la croûte calcaire sur de larges surfaces traduisent l'intensité de l'énergie érosive des eaux de ruissellement. La dégradation est aussi le résultat de l'ampleur de la vague de défrichement depuis le début du XXe siècle suite à l'expansion de la céréaliculture moderne et la surexploitation des terres en pente par une paysannerie refoulée et nombreuse (A. Chérif, 1991, p. 33).
Selon A. M. Gammar (1984), la forte pression coloniale et démographique sur le sol du Haut Tell «friguien» a étendu la céréaliculture entraînant le défrichement en moins d'un siècle d'environ le 1/3 de la superficie totale. Le paysage actuel serait le résultat d'un aménagement inadéquat, spontané et non planifié, lequel a exposé les versants à une grave crise d'érosion.
En Tunisie, la perte en terre fertile peut être évaluée à 1.500 ha/an perdant 20 cm de leur épaisseur, soit 45 tonnes/10 millions ha (A. Bel Hédi, 1992, p. 66). L'érosion hydrique s'établit à 45 tonnes/an si l'on se réfère au débit solide des cours d'eau tandis que l'indice d'érosion potentielle de la FAO dépasse 50 tonnes dans les Khmers, Mogods et Hdhil, 40-50 tonnes dans le Haut Tell et le Teil Moyen du N-E, 20-40 tonnes dans la Dorsale, le Kairouannais et le Sahel, 10-20 tonnes dans les Hautes et Basses Steppes et la Jeffara (A. Hentati, 1983).
M. Bourgou a étudié dans la quatrième partie de sa thèse publiée en 1993 les composantes de la géodynamique dans le bassin-versant du Kébir-Miliane (Tunisie nord-orientale). Il a divisé les conditions favorables au déclenchement et au développement du phénomène érosion en deux catégories: des conditions d'ordre naturel et des conditions d'ordre anthropique. Selon l'auteur, les données naturelles qui favorisent l'érosion dans ce secteur sont d'ordre lithologique, topographique, biogéographique et surtout climatique.
En effet, l'érosion est favorisée par :
- l'extension du substratum meuble et des formations quaternaires non encroûtées, ce qui donne un milieu fragile;
- l'importance des pentes fortes qui peuvent atteindre 35%, ce qui favorise l'érosion d'autant plus qu'on a affaire à un terrain où la couverture végétale a reculé devant l'emprise de l'Homme ;
- la discontinuité et le faible taux de recouvrement végétal, ce qui favorise la concentration rapide des eaux de ruissellement et accélère le phénomène d'ablation;
- l'irrégularité et l'agressivité des pluies qui constituent la principale source météorique d'apport en eau. L'énergie que ces pluies libèrent en tombant et la puissance qu'elles donnent au ruissellement font d'elles un facteur décisif de l'érosion hydrique.
Mais sans trop minimiser le rôle de ces facteurs naturels, M. Bourgou a insisté sur le fait que les ravages de l'érosion seraient limités si l'Homme n'était pas intervenu en fragilisant davantage le milieu naturel. Il est donc permis de penser que les responsabilités de l'Homme dans la crise érosive que connaît la Tunisie à l'heure actuelle sont importantes.
En effet, les interventions agro-sylvo-pastorales récentes ont eu un impact nocif sur le milieu. La période 1940-1958 a vu le paysage rural se transformer sous l'effet de l'ampleur des défrichements qui ont atteint par endroits jusqu'à 100%. A. M. Gammar (1984) a imputé la destruction anarchique du couvert végétal spontané aux actions des paysans mus par la recherche d'extension de leurs champs de culture et la recherche de grandes quantités de bois pour remédier à la crise énergétique survenue dans le pays pendant la deuxième guerre mondiale.
L'érosion des plages
Beaucoup de travaux sur les plages de la Tunisie ont été réalisés. Nous en citons ceux de Miossec et Paskoff (1979 a et 1979 b), ceux de Nouri et Paskoff (1980) et ceux de Oueslati (1980,1993).
Ces auteurs s'accordent sur le fait que les installations portuaires, industrielles et touristiques ajoutées à l'élévation du niveau de la mer et à l'impact érosif des tempêtes, ont altéré la dynamique côtière en Tunisie et, en perturbant gravement le transit des matériaux, ont modifié de façon appréciable la morphologie du rivage.
Les eaux usées des installations touristiques ont participé à la destruction des herbiers à Posidonies au large de Gabès et du golfe de Tunis.
La dégradation de ces herbiers a contribué au recul du rivage.
En outre, le prélèvement sur les plages du sable et des galets pour satisfaire les besoins incessants de la construction, a accéléré la récession des plages suite à la destruction de la dune bordière (H. Sethom, 1995, p. 124). Les exemples de plages qui accusent une érosion importante ne manquent pas.
Premier exemple, les plages de Jerba et de Zarzis : les plages de Jerba ont été soumises à une sévère érosion (Miossec et Paskoff, 1979 a). Sur presque toute la côte nord-est de l'île le retrait est rapide: un hôtel construit en 1958 a perdu entièrement son estran sableux et, en 1978, il a fallu abattre sa façade, atteinte par les vagues, sur plusieurs mètres de largeur (Paskoff, 1981).
La conjoncture est également critique sur la côte sud-orientale de Jerba où, en certains endroits, la plage a déjà complètement disparu (Oueslati, 1980). Au nord de Zarzis, deux secteurs montrent des indices incontestables de recul (Miossec et Paskoff, 1979 b): l'un au Sud du marabout Lalla Meriem où des nebkas buissonnantes sont attaquées par les vagues, l'autre à proximité de la zone des hôtels de Zarzis où des constructions sont touchées par l'érosion des vagues.
Deuxième exemple, les plages du golfe de Tunis : toutes les plages du fond du golfe de Tunis ont connu, jusqu'à une époque historique récente, un bilan sédimentaire largement excédentaire qui a favorisé leur engraissement. Dans le renversement de la situation au cours des dernières décennies, les Hommes ont leur part de responsabilité, notamment par la destruction de la dune bordière (Paskoff, 1981; Oueslati, 1993) et la perturbation du transit littoral.
Ces exemples permettent de conclure sur la nécessité d'enrayer le mal qu'est l'érosion des plages en Tunisie à l'aide de travaux qui s'attaquent à la racine du mal qui est un déficit sédimentaire. La situation est d'autant plus alarmante si l'on sait qu'en Tunisie, le tourisme balnéaire, favorisé par la grande extension des plages, s'est considérablement développé au point de devenir un élément fondamental de la vie économique du pays.
Nous pouvons affirmer à l'instar de Oueslati (1993) que les côtes de la Tunisie présentent, à l'heure actuelle, plusieurs faiblesses et sont le siège de risques naturels parfois très sérieux. Le plus inquiétant c'est que, dans l'ensemble, ce sont les régions les plus densément peuplées qui sont les plus menacées. La région de Tunis et de Sfax viennent en tête de ce point de vue car la fragilité et la dynamique du milieu n'ont pas été toujours considérées dans les travaux d'aménagement et ont été souvent accentuées par ces travaux.
* Maître-assistant, Université de Jendouba.