Toute la classe politique est sortie perdante de la triste journée d'audition des ministres Karboul et Sfar, dont les retombées économiques et sociales seront désastreuses.
Par Mohamed Ridha Bouguerra*
Après avoir suivi, toute la journée du vendredi 9 mai, jusque tard dans la soirée, la transmission en direct, à la télévision, des débats de l'Assemblée nationale constituante (ANC), suite au dépôt de deux motions de censure contre la ministre du Tourisme, Amel Karboul, et celui de la Sécurité, Ridha Sfar, quelques questions s'imposent. Dont celles-ci: Qu'avons-nous gagné de ce long et pénible calvaire de plusieurs heures imposé à ces deux membres du gouvernement sous le fallacieux prétexte de les auditionner à propos de l'entrée sur le territoire national de quelques visiteurs israéliens? À qui a profité cette plénière? Quelle image garderont les citoyens de leurs élus et de la politique en général?
Le jeu démocratique détourné
Force est de constater, d'abord, qu'au sein de l'auguste Assemblée, le jeu démocratique a été, encore une fois, détourné de ses véritables objectifs, dont l'un des plus importants est celui d'éclairer l'opinion publique sur la marche des affaires du pays.
Les spectateurs les moins avertis de la scène politique ne pouvaient conclure du triste spectacle qui a été étalé sous leurs yeux qu'ils n'ont eu droit, en réalité, qu'à un débat où une démocratie de façade a pris la place d'un véritable face-à-face politique courtois et respectueux de l'autre.
En effet, sous couvert d'une demande d'explications à adresser aux deux ministres, certains élus nous ont, tout simplement, organisé un show politique qu'ils ont réussi à arracher à la dernière minute à des fins purement électoralistes et bassement politiciennes.
La noble cause palestinienne et le refus partagé par tous les Tunisiens de toute normalisation avec l'entité sioniste ont été cyniquement instrumentalisés dans cette affaire par laquelle on escomptait, principalement, gêner aux entournures le gouvernement Mahdi Jomaa. Et, subsidiairement, prouver à l'équipe gouvernementale apolitique en place qu'elle demeure sous la coupe d'une Assemblée devenue pourtant caduque depuis l'adoption de la nouvelle constitution et le vote de la loi électorale. Sans que les intéressés perdent de vue, évidemment, les échéances politiques à venir et les voix qu'ils espèrent engranger en épousant une cause si chère à nos cœurs!
Une indignation sélective
Les honorables élus du peuple à l'origine de ces deux motions de censure et si prompts à se courroucer à cause d'une circulaire interne qui n'a fait que confirmer une démarche administrative suivie sous les gouvernements précédents, y compris ceux dirigés par les islamistes Jebali et Larayedh, ont-ils déjà entendu parler de l'usage de cartouches de chevrotines contre de jeunes citoyens tunisiens à Siliana?
À cette douloureuse occasion, dont les corps et les yeux de quelques-uns de nos compatriotes gardent encore des traces indélébiles, avaient-ils tenté de s'adresser au gouvernement d'alors et, plus précisément, au ministre de l'Intérieur de l'époque, Ali Larayedh, pour leur exprimer toute leur juste et légitime indignation? À moins que l'indignation de ces représentants du peuple ne soit sélective et ne dépende de la couleur de ceux qui sont aux commandes!
On pourrait leur demander encore s'ils ont exigé de l'actuel ministre de l'Intérieur qu'il rende compte de la fatale «négligence» dont ses services et quelques-uns de ses subordonnés du premier cercle ont fait preuve dans le traitement de l'avertissement émanant de la CIA et concernant les menaces qui pesaient, nommément, sur le défunt député Mohamed Brahmi?
Croire que le bon peuple n'arrive pas à saisir qu'il y a là, de la part de quelques élus, un comportement à géométrie variable avec les faits, c'est mésestimer l'intelligence politique des Tunisiens! Il n'échappera pas à nos compatriotes que c'est une femme qui a réussi dans son domaine ainsi que le ministre qui a su, plus que d'autres, juguler l'hydre terroriste qui ont été les victimes visées par cette séance à l'ANC.
Ces charlatans de la politique
Ce qui est encore sûr, c'est que si l'on cherchait à dégoûter les Tunisiens de la politique et de toutes élections à venir, on ne ferait pas autrement que cette élue du peuple qui a osé mettre publiquement en doute, au cours des débats, le patriotisme et le sens des responsabilités des deux membres du gouvernement présents dans l'hémicycle du Bardo!
L'absence de courtoisie et de ménagement, voire l'agressivité, de certains députés lors de leur prise de parole étaient telles que l'on avait l'impression par moments que l'on avait affaire à de vulgaires accusés assis sur le banc de l'infamie et non à deux dignes, dévoués et honorables représentants de l'État !
Aussi, pourrait-on conclure, sans grand risque d'erreur, que c'est toute la classe politique qui est sortie perdante de cette triste journée dont les retombées économiques et sociales seront désastreuses ! Car, la démocratie n'a rien à voir, n'en déplaise à certains, avec ce continuel et désolant spectacle, où ne manquent ni les scènes guignolesques ni celles de pugilat, dont nous gratifie de plus en plus cette Assemblée qui n'a plus aucune raison d'être.
D'ores et déjà, l'on pourrait parier que le taux de participation aux élections de 2014 sera, hélas, dérisoire! L'électeur lambda sera tenté, en effet, de ne pas accorder sa voix aux charlatans de la politique. Ainsi, il renverra les politiciens à leur jeu d'une démocratie biaisée, voire fausse et seulement de façade, au service de démagogues qui prétendent vouloir nous gouverner!
Vous avez parlé de transition démocratique ?
*Universitaire.
{flike}